Comme comédien, Noah Reid (dans Schitt’s Creek) incarne un personnage; dans chaque nouveau rôle, il adopte une personnalité et suit un scénario. Comme auteur-compositeur, cet artiste de 33 ans crée des chansons qui viennent du cœur. Aucun jeu. Aucun scénario. Des récits qui remontent à des expériences vécues  dont plusieurs peuvent toutefois refléter ses expériences comme comédien. Pour expliquer comment il réconcilie les professions d’acteur et d’auteur-compositeur, il pose la question : «  Si je suis le personnage, comment puis-je explorer cet univers? » Cette question rhétorique, il la posait chez lui à Toronto à peine deux semaines après son mariage, auquel n’ont assisté que les membres de sa famille proche en respectant les règles de distanciation sociale sur une plage du lac Huron.

Reid a grandi dans la Ville Reine, mais il partage aujourd’hui son temps entre Toronto et Los Angeles en fonction de ses obligations professionnelles. Il a pris des leçons de piano dès l’enfance et se souvient d’avoir participé aux concours Kiwanis annuels d’écriture de chansons et d’avoir passé beaucoup de temps à en composer au piano. Comme la profession d’acteur le fascinait, il a choisi d’adopter cette démarche artistique, mais il a toujours continué de créer et de faire de la musique.

« Pendant longtemps, j’ai écrit des chansons sans m’en servir »

En 2015, Reid a rencontré à Stratford, en Ontario, l’auteur-compositeur-interprète Matthew Barber, un vétéran de l’industrie titulaire d’une nomination aux prix JUNO, et le courant est passé. Bien que Reid lui ait dit en blaguant que l’écriture de chansons n’était qu’un « passe-temps » pour lui, Barber l’a persuadé de faire un disque. Ils ont passé deux jours ensemble en studio, et l’album Songs from a Broken Chair (2016) a vu le jour.

« Je me suis dit “Wow, j’aime ça” », s’exclame Reid. « Pendant longtemps, j’ai écrit des chansons sans m’en servir. C’était juste un endroit où mettre mes pensées et mes émotions. »

Le succès de la série comique primée Schitt’s Creek – dans laquelle Reid joue le rôle de Patrick, le petit-ami de David – lui a laissé peu de temps pour lancer un autre album. Mais lorsque la série a pris fin en 2019, Reid a appelé Barber et est retourné en studio. Le 29 mai, son second album, Gemini, sortait. Les douze chansons qu’il contient sont des compositions saisissantes sur un fond de musique de piano qui font voir un nouveau côté du talent de Reid. Sans surprise, l’équilibre entre ses deux passions et ses autres dualités sont des réalités auxquelles l’auteur-compositeur réfléchit davantage, maintenant qu’il est dans la trentaine.

Une mémorable reprise de « The Best »
La saison quatre de Schitt’s Creek a donné lieu à un moment particulièrement émouvant lorsque Reid, dans le rôle de Patrick, a chanté à David (rôle interprété par Dan Levy) une version acoustique de la chanson « The Best » de Tina Turner.  Une version numérique de cette reprise a atteint la 3e position du palmarès iTunes Canada Top 10 Singles. Ce qui est plus important pour Reid, c’est l’effet durable créé par ce moment télévisuel privilégié. « Je n’aurais jamais pensé qu’autant de téléspectateurs auraient pu être touchés à ce point par cette scène », avoue Reid. « Je savais que nous avions une occasion de rejoindre le public qui regarde l’émission, et aussi que les moments de ce genre sont extrêmement rares dans la communauté LGBTQ… Ça été incroyablement gratifiant de participer à ce moment pour une communauté qui ne considère pas être représentée adéquatement à la télé. »

« Le fait d’être cool et les aspects “sociaux” de la vie sont des choses qui me préoccupent moins aujourd’hui que quand j’étais dans la vingtaine », affirme-t-il.  « Ce qui m’intéresse maintenant, c’est de trouver un équilibre à mesure que je découvre les dualités de ma vie. Trouver le juste milieu entre laisser les choses se produire et aider les choses à se produire… Plusieurs de mes chansons réalisent un équilibre entre deux choses et démontrent que deux choses peuvent exister en même temps, et que c’est bien comme ça. »

Les chansons et les auteurs-compositeurs que Reid affectionne particulièrement sont ceux qui révèlent un côté humain : une âpreté et une vulnérabilité qu’on ne retrouve pas toujours dans la pop électronique actuelle.  Il a un faible pour des auteurs-compositeurs-interprètes des années 1970 comme Tom Waits, Bob Dylan, Neil Young, Carole King et Paul Simon.

La chanson « Underwater », une des plus franches de Gemini, est une des compositions préférées de Reid, et elle a reçu une excellente critique de la part d’une certaine covedette de Schitt’s Creek.

« L’enregistrement dégage un dynamisme extraordinaire », reconnaît-il. « Quand j’ai écrit cette chanson, j’ai fait un pas en avant comme auteur-compositeur… Je créais un son dont je ne me serais pas senti capable. C’était quelque chose d’honnête. L’univers de la chanson est en expansion. Je me souviens d’avoir fait écouter un des premiers mix à Catherine O’Hara dans un aéroport quelque part. Elle a enlevé ses écouteurs et m’a dit : “Noah, c’est extraordinaire. Les paroles sont très tristes, mais les arrangements sont pleins d’espoir.” »

 



Quand l’émission de télévision Queer Eye for the Straight Guy est entrée dans nos vies en 2003, elle s’est présentée avec une fabuleuse chanson-thème intitulée « All Things (Just Keep Getting Better) ». Cette piste dance-pop avait été écrite par les auteurs-compositeurs canadiens Ian Nieman et Rachid Wehbi, qui enregistrent également sous le nom de WIDELIFE, et elle met en vedette la chanteuse torontoise Simone Denny.

À l’instar de cette émission de transformation, la chanson « All Things » a connu un succès monstre, tourné dans les clubs et les radios du monde entier et remporté le JUNO de l’enregistrement dance de l’année en 2005. On s’en est même moqué à l’émission d’animation pour adultes South Park. En 2018, Netflix a relancé Queer Eye, ce qui a donné une seconde vie à la piste de Neiman et de Wahbi.

Commençons par le commencement. Qu’est-ce qui a amené les réalisateurs de Queer Eye à vous demander de soumettre une chanson-thème?
Ian : En 2002, Rachid et moi avons produit une chanson intitulée « I Don’t Want U » qui a été enregistrée par Nervous Records à New York. Cette chanson s’est hissée à la première position du palmarès Billboard Dance aux États-Unis. Un employé de Scout Productions qui adorait notre chanson nous a contactés pour nous demander si nous étions intéressés à poser notre candidature pour cette toute nouvelle émission.

Cette personne était-elle un superviseur musical?
Ian : En fait, c’était un graphiste de la société. D’après ce que je comprends, c’est lui qui a eu l’idée de nous contacter. Notre candidature a été sélectionnée parmi plus de 10 autres, et on a décroché le mandat.

Quel genre d’orientation vous a-t-on fourni?
Rachid : Ils ont seulement mentionné le titre et le thème de l’émission. Ian et moi n’avions jamais fait d’émission de télévision. Je me souviens très bien d’en avoir parlé avec Ian et qu’on s’est demandé comment on allait faire pour mettre toutes les chances de notre côté. Je sais qu’on voulait écrire une musique avec des paroles. En nous référant au thème de l’émission, on a songé aux paroles « Quand tu es là, tout va toujours de mieux en mieux ». Au départ, on a seulement écrit ce qu’on appelle la version télé, juste le premier couplet et un refrain.

Comment la chanson est-elle devenue un succès radiophonique?
Rachid : Il y a à New York une station de radio qui s’appelle KTU, et je pense que ce que KTU et d’autres stations à travers le pays faisaient, c’était de faire jouer deux fois de suite le thème d’ouverture de 58 secondes qu’on avait écrit pour l’émission. Genre, pour créer une chanson populaire de deux minutes. Parce que les auditeurs appelaient la station en disant : « On aime cette émission. Pouvez-vous faire jouer cette chanson? » Et je pense que c’est ça qui attiré l’attention des maisons de disques et les a amenées à demander la réalisation d’un simple en bonne et due forme.
Ian : Le simple a été sélectionné par Capitol Records à L.A., puis ils ont fait une bande-son, et ensuite on a fait un vidéoclip. Ils ont fermé le pont de Brooklyn à New York, et, Rachid et moi, on s’amuse comme des fous dans le clip. C’est à ce moment-là que c’est devenu plus qu’un thème d’émission de télévision. On avait eu du succès auparavant, mais là, c’était à un autre niveau.

La chanson a eu une seconde vie en 2018 quand Netflix a ressuscité l’émission Queer Eye. Qu’est-ce qui a amené la chanteuse australienne Betty Who à en faire une nouvelle version?
Ian : Je l’ai appris en regardant son vidéoclip sur Netflix.

C’est un autre aspect du métier, non?
Ian : Oui, malheureusement. Si je pouvais revenir en arrière jusqu’à l’année 2003 avec ce que je sais aujourd’hui, il y a des chances que je ferais les choses un peu autrement. La SOCAN a été excellente pour nous depuis le début, et je tiens à la remercier de son aide.
Rachid : Nous possédons toujours 100 % de la part des auteurs. Mais la part de l’éditeur est allée à la société de production télévisuelle.
Ian : Ce qui n’est pas grave. Il faut parfois sauter sur une occasion au lieu de conserver 100 % des droits à tout prix.

Pourquoi croyez-vous que « Tout va toujours de mieux en mieux » est un message qui est toujours d’actualité?
Ian : Parce qu’il donne de l’espoir. On a besoin de rester positif, qu’on soit gai, hétéro, marié ou célibataire. Je pense que Netflix nous a rendu hommage en décidant d’utiliser la chanson-thème originale [pour la relance de l’émission] parce que notre message était toujours d’actualité en 2018.



Il y a deux mois, la famille d’Isaiah Faber (alias Powfu) quittait la ville de Mission, en Colombie-Britannique, pour aller s’installer à Chilliwack. La nouvelle maison devra comporter une salle de trophées spéciale pour permettre au jeune interprète/auteur-compositeur/producteur de 21 ans d’exposer toutes les plaques de platine qu’il collectionne grâce au méga-succès international de la piste « death bed (coffee for your head) ».

« La première plaque [pour une certification platine américaine] est arrivée la semaine dernière », raconte Powfu. « C’est fou de voir ça. » Et il y en aura d’autres puisque l’enregistrement vient d’être officiellement certifié double disque de platine au Canada et en Irlande, et disque de platine en Australie, en Suède, au Mexique, en Nouvelle-Zélande, en Italie et en Norvège.

« La chanson a obtenu des tonnes de vues sur YouTube, puis TikTok a continué de la populariser »

D’abord lancé en 2019, ce tube s’est hissé au Top 25 du palmarès Hot 100 de Billboard et a été diffusé en direct à plus d’un milliard de reprises, et ce n’est qu’un début. Son succès est un exemple de la façon dont des plateformes comme YouTube, SoundCloud et TikTok peuvent faire connaître une chanson.

Powfu se souvient que tout a commencé quand « death bed » a été téléversée sur YouTube. « La chanson a obtenu des tonnes de vues [178 millions à ce jour], puis TikTok l’a découverte et l’a popularisée », explique Powfu. Plus d’un million de TikToks ont été créés avec la chanson, et ce phénomène a été suivi par des diffusions en continu massives sur Spotify et d’autres plateformes. Un récent remix de « death bed » par le poids lourd pop-punk américain Blink-182 a également contribué à l’élan de la chanson.

Les paroles poignantes de « death bed » touchent profondément ses admirateurs. « Ce qui comptait le plus pour moi dans ce projet, c’était le thème, le fait de parler de la mort », explique Powfu. « Je n’ai jamais entendu de chanson sur ce genre de thème. Les gens aiment la mélodie et les paroles de rap, donc j’imagine que c’était une recette gagnante. »

Une affaire de famille
Le père de Powfu, David Faber, qui a remporté un succès national avec son groupe rock, Faber Drive, sert maintenant de gérant à son fils. « Isaiah et moi écrivons tout le temps ensemble depuis qu’il a atteint l’âge de sept ans », raconte Faber. « Il a récemment coécrit une chanson acoustique que Faber Drive a lancée sous le titre de “Payday” ». Powfu lui-même a incorporé une chanson de Faber Drive, « More Than Perfect », à sa chanson « Letters in December » mettant en vedette Rxseboy. « À mon avis, il a amélioré les paroles », insiste le fier papa. « Quand j’étais petit », explique Powfu, « je prenais mon père comme modèle dans tout ce que je faisais. Il m’a enseigné les rudiments de l’écriture de chansons et de la pratique des instruments de musique… Il remportait beaucoup de succès, donc tous mes amis en avaient entendu parler et s’attendaient à ce que je fasse comme lui. Je me sentais un peu obligé de l’égaler ou de le dépasser. » La sœur cadette de Powfu, Patience Faber (alias  sleep.ing), est choriste sur Poems Of The Past et lance également ses propres œuvres musicales.

Powfu a d’abord découvert le beat de la chanson, signé Otterpop, sur SoundCloud, puis il a utilisé un échantillon de l’artiste anglaise Beabadoobee (puisé dans sa chanson « Coffee »), mais la matière lyrique de la chanson est de son cru. « Ça été écrit, comme plusieurs de mes chansons, dans les souliers de quelqu’un d’autre », reconnaît Powfu. « Je mène une existence plus terne que celle de bien des gens, donc j’aime lire des histoires et regarder des films qui racontent la vie des autres. »

L’impact de « death bed » a permis à Powfu de négocier avec Columbia Records un contrat aux termes duquel il vient de lancer une première œuvre, le EP Poems Of The Past. Tout comme les œuvres que Powfu a précédemment lancées comme artiste indépendant, celle-ci est d’un style éclectique rassemblant des éléments hip-hop, punk et pop. « Je fais des chansons de plusieurs styles de manière à ce que mes fans puissent avoir leur piste préférée en fonction de leurs goûts particuliers », explique-t-il. « Je donne à mon son le nom de “lo-fi hip-hop punk” ».

Le matériel artisanal utilisé par Powfu fait de lui un compositeur de « pop de chambre à coucher ». « J’ai un bureau dans un coin de ma chambre, et c’est là que mon ordinateur est installé », explique-t-il. « J’ai essayé les grands studios, mais je trouve qu’enregistrer dans ma chambre, c’est plus confortable. »

Il décrit ainsi sa démarche d’auteur-compositeur : « Je trouve d’abord un beat dont j’aime le son, puis je le recouvre de flux ou de mélodies freestyle. Si je crée une mélodie que je trouve cool, alors j’essaie d’écrire des paroles sur cet air-là. »

Il est encourageant de constater que le succès peut être aussi simple que ça.