« Il y a une façon de jouer sûr, sans risque, d’utiliser des trucs, et il y a la façon dont j’aime jouer, dangereusement, où on prend le risque de faire des erreurs afin de créer quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant. »

Feu Dave Brubeck n’était pas Canadien, pas plus qu’il n’était membre de la SOCAN, mais la citation qu’on lui attribue pourrait s’appliquer à bon nombre de membres de la SOCAN qui explorent le jazz et qui amènent ce genre dans de nouvelles directions audacieuses et innovatrices.

« Je me suis placée dans la tradition ce ceux qui ont trouvé des façons de monter et de diriger des big-bands. » – Darcy James Argue

Le Canada a été béni d’artistes avant-gardistes comme le pianiste Oscar Peterson, l’arrangeur Gil Evans, le guitariste Lenny Breau et le tromboniste meneur de big-band Rob McConnell qui se sont forgé des réputations hors des sentiers battus dans le passé, mais 2014 recèle aussi sa part d’innovateurs : des groupes comme Bad Bad Not Good avec leur sensibilité hip-hop, des compositeurs et expérimentateurs soul-jazz comme Elizabeth Shepherd, Kellylee Evans, dont les interprétations rap à couper le souffle nous font écarquiller les yeux, la formation de cuivres The Heavyweights Brass Band qui confère une saveur d’antan à des standards contemporains et à de nouvelles pièces originales et le trio aventureux Myriad3 qui en est à forger son propre lexique.

Et il y a aussi ces quatre-là : La Secret Society de Darcy James Argue, ainsi que Christine Jensen, Colin Stetson et le dernier projet de Jane Bunnett intitulé Maqueque (prononcé ma-ké-ké).

Du côté des big-bands, Darcy James Argue, de Vancouver, et la Montréalaise Christine Jensen offrent chacun une façon distinctive de gérer ce format musical à 18 membres dans leurs récents efforts Brooklyn Babylon et Habitat, respectivement, louangés par la critique internationale.

Argue, qui a été deux fois en nomination aux Prix Grammy pour le disque de 2010 Infernal Machines et celui de 2013 Brooklyn, est fier de qualifier sa musique de « big-band steampunk », une sonorité qui évoque plus ou moins l’ère Thad Jones-Mel Lewis, en passant par le favori de Monty Python comme John Philip Sousa, et va du minimalisme à un style funk explosif.

« J’ai utilisé une technologie musicale de la vieille école, celle des cuivres, et je l’ai détournée, lui faisant faire ce pour quoi elle n’était pas destinée à l’origine, » explique Argue de sa maison de New York. « Le big-band est fortement associé à une époque et à un lieu particuliers dans l’histoire, mais il y a toujours eu des énergumènes et des originaux dans le monde du jazz pour s’accrocher et trouver des utilisations innovatrices pour cette instrumentation particulière qui s’écarte largement de la sonorité de l’époque big-band. En revendiquant ce genre, je me suis placé dans la tradition ce ceux qui ont trouvé de nouvelles façons de monter et de diriger des big-bands. »

Argue, qui a suivi des études musicales à l’Université McGill, à Montréal, a été invité par le tromboniste Bob Brookmeyer – « un véritable mentor pour moi et un maître de la composition pour grands orchestres, » dit Argue – à étudier au Conservatoire de musique de Nouvelle-Angleterre.

« Ils avaient quelque chose d’absolument unique : un big-band d’étudiants, entièrement voué à leurs compositions, et qui se réunissait chaque semaine, raconte Argue. Ç’a été pour moi une occasion exceptionnelle d’aiguiser mon talent. »

Argue admet qu’il n’avait jamais eu l’intention de se spécialiser dans le big-band, mais le temps qu’il a passé au Conservatoire de Nouvelle-Angleterre l’a aidé à préciser sa sonorité.

« J’ai été littéralement enchanté par les possibilités de l’écriture musicale à grande échelle, de pouvoir jouer sur une grande densité harmonique et de contrepoint, et de disposer d’une palette de tonalités tellement plus large que celle d’un petit orchestre, » affirme Argue.  Il y a aussi toute la complexité et la puissance brute qui émerge d’un groupe de quatorze cuivres et instruments à vent qui vous soufflent en pleine face. C’est une expérience absolument unique. C’est devenu quelque chose dont je ne peux plus me passer. »

C’est un cheminement semblable qui a conduit de fil en aiguille Christine Jensen vers un grand ensemble, bien que cette saxophoniste alto préfère l’expression d’« orchestre de jazz » à celle de « big-band ».

« C’est ma musique et elle est un peu contemporaine, explique-t-elle. Elle n’est pas d’une écoute très facile – il y a des défis dans la composition pour permettre à l’auditeur d’entendre de nouvelles idées. »

Encensée par la critique internationale et honorée d’un prix JUNO pour son dernier album Habitat, Christine Jensen – sœur de la renommée trompettiste canadienne Ingrid Jensen (qui joue dans la Secret Society d’Argue) – dit que l’inspiration de cet album lui est venue d’une parution de son ancien petit ensemble, Treeline.