Naya AliSur Godspeed: Baptism (Prelude), première partie d’un album qui paraîtra dans quelques mois, Naya Ali rappelle que tout vient à point à qui sait attendre.

L’adage est connu, voire galvaudé, mais la rappeuse montréalaise l’incarne avec sincérité dans chacune (ou presque) de ses paroles de chansons ou de ses interventions. Et sa philosophie ne change pas en ces temps de crise sanitaire mondiale, même si tous ses plans promotionnels ont pris le bord, notamment un spectacle de lancement qui devait avoir lieu au festival SXSW il y a quelques jours. « On a revu l’exécution de nos stratégies. Pas le choix, car à ce moment-ci, même notre été est incertain. But I trust in the process… Je fais confiance à l’univers », dit la rappeuse anglophone d’origine éthiopienne, dont le français s’est grandement amélioré depuis notre dernier entretien, en janvier 2019.

Énième manifestation de ces forces universelles qui, avec le temps, finissent par arranger les choses : l’existence même de ce double-album. « Au début, je voulais que mon album vive en un seul morceau, mais pour des raisons que je préfère garder pour moi, on a dû réviser notre façon de faire. Finalement, avec tout ce qui se passe, c’est une excellente chose, car ça va permettre à l’album d’avoir un autre souffle plus tard dans l’année, quand la deuxième partie sera lancée. »

Cela nous mènera probablement à l’automne 2020, soit deux ans après la sortie du premier EP Higher Self, qui l’a révélée avec fracas sur la scène rap québécoise, et un an après l’échéance qu’elle s’était fixée au départ pour ce premier album. « Mais j’ai tellement eu un gros été sur la route ! C’était presque impossible de trouver le temps de créer et de sortir un produit consistant. Aussi, je dois dire que j’ai eu de la difficulté à trouver des producteurs au début. Certains m’ignoraient ou ne me prenaient pas au sérieux, car j’étais nouvelle sur la scène. Maintenant, ils veulent tous travailler avec moi… »

Certains comme Chase.Wav, Kevin Figs, Benny Adam et Banx & Ranx ont eu du flair. C’est notamment avec ces compositeurs montréalais qu’Ali a concocté ce prélude à Godspeed: Baptism. « Ça a été un vrai challenge, car avant ça, je n’avais travaillé qu’avec une seule personne », explique-t-elle en référant à Kevin Dave, qui avait signé les six pièces de Higher Self. « Il était rendu à L.A. (…) et, pour moi, c’est vraiment important de travailler physiquement aux côtés d’une personne. Pour moi, recevoir des beats, ce n’est pas une façon de créer. Il faut créer les chansons ensemble, à partir de zéro. »

En résulte un opus beaucoup plus diversifié que son prédécesseur. Sans délaisser le côté trap brut et plutôt sombre avec lequel elle s’est fait connaître, la rappeuse mise sur des mélodies plus riches et se sert davantage de sa voix comme d’un instrument harmonique que d’un ensemble de percussions. C’est tout particulièrement le cas sur For Yuh, chanson d’amour aux teintes pop et dancehall produite par les Montréalais Clipz et Nomis. « Oui, ça peut être surprenant comme chanson (venant de moi), mais elle montre une autre de mes facettes. Je ne suis pas une personne unidimensionnelle », insiste-t-elle. « Elle a quelque chose de très spécial pour moi, car elle a été écrite il y a longtemps et qu’elle porte sur une personne précise. Même si les émotions que je ressentais à l’époque ne sont plus les mêmes, la chanson me touche, car elle a évolué et qu’elle suit maintenant sa propre voie. »

Shea Butter a aussi une signification toute particulière pour la jeune trentenaire. Évoquant ce symbole de lumière, de douceur et de croissance qu’est le beurre de karité, un arbre qui pousse notamment dans son pays d’origine, la chanson aux textures cloud rap a nécessité plusieurs réécritures et restructurations en compagnie de Kevin Figs. « On a fait quatre ébauches de chansons pour finalement en arriver là. Je voulais que ça ressemble à l’univers musical du film Drive. »

Au contraire, Godspeed (également produite par Figs) a été conçue très rapidement, « en un peu plus de deux heures», signe que la rappeuse avait les idées claires par rapport à ce concept de «vitesse divine» qui traverse les propos de l’album. « C’est l’idée de faire confiance au timing des affaires », nous répond-elle, lorsqu’on lui demande de nous résumer cette notion. « Pendant des années, j’ai senti que ça allait me prendre une éternité pour trouver mon chemin… Tout ça jusqu’au jour de mes 29 ans, quand j’ai décidé de changer ma vie au lieu de poursuivre le chemin sécuritaire, c’est-à-dire celui de mes études et de mon travail en marketing. Au lieu de mettre mes énergies dans le travail des autres, j’ai choisi de toutes les mettre sur moi (…) J’ai choisi de faire confiance à l’univers et, tranquillement, la musique a pris une place plus importante de ma vie. À partir de ce moment, les choses ont déboulé très vite, à la vitesse de la lumière. »

Et, encore une fois, même si ses ambitions sont bien réelles, Naya Ali refuse de se mettre une quelconque pression. Il faut laisser le temps au temps. « Je n’ai pas d’objectifs clairs avec des dates précises. C’est l’univers qui va décider de tout ça. En attendant, je m’assure d’être la meilleure artiste et la meilleure personne que je peux être. »