Révélation de la foisonnante scène de Québec, Narcisse déconstruit certaines de nos idées préconçues les plus tenaces sur La fin n’arrive jamais, un album concept qui mélange électro-pop, spoken word et musique documentaire.

NarcisseÇa peut paraître surprenant, mais la première inspiration qui a guidé Jorie Pedneault dans l’élaboration de ce premier opus est un album pop punk des années 2000.

« J’ai découvert la musique avec American Idiot de Green Day. C’est un album phare, concept, qui a donné lieu à une comédie musicale sur Broadway. On est en pleine période Bush, et on raconte l’histoire d’adolescents en quête de quelque chose. Ils quittent la banlieue pour découvrir la ville et ils vont en quelque sorte se perdre là-dedans. C’est le genre de choses qu’on vit au début de la vingtaine », explique l’auteur-compositeur-interprète qui incarne Narcisse.

Le projet inclut également le bassiste Michaël Lavoie, la saxophoniste Frédérique-Anne Desmarais, le performeur Philippe Després, l’artiste visuel Gabriel Paquet, le vidéaste Félix Deconinck et la scénographe Laurie Foster.

Sans copier l’œuvre du trio américain, Jorie Pedneault a imaginé un album concept – avec un début, une fin et des interludes. Un album concept classique, bref, mais avec des thèmes foncièrement contemporains, en phase avec les réflexions qui habitent au quotidien Jorie et son entourage. « Il y a beaucoup de concepts que j’ai voulu déconstruire, notamment le rapport à l’identité de genre et au polyamour. Également notre rapport à l’hétéronormativité et à la monogamie. »

Ajoutons à cette liste de déconstructions sociales évoquées sur l’album : le concept stéréotypé et très romancé des âmes sœurs. « On en a fait quelque chose de romantique, on associe ça à l’amour, à quelqu’un avec qui tu vas passer toute ta vie. Mais moi j’aime le voir d’une autre manière : on peut rencontrer plusieurs âmes sœurs dans une vie. Ça peut être des amis, des partenaires de travail. Ceux avec qui je travaille, par exemple, ce sont des âmes sœurs, car ça avait tellement de sens de les rencontrer au moment où je les ai rencontrées. »

De là l’idée de donner la parole à ces âmes sœurs tout au long de cet album. Constitué de quatorze titres, La fin n’arrive jamais est divisé par une série de quatre courtes pièces intitulée Interstice. Influencé par la musique documentaire de Flavien Berger, artiste français qui alliait pop expérimental et ambient à des enregistrements minimalistes d’entrevues et de narration sur son album Radio Contre-Temps en 2019, Jorie laisse parler les gens qui gravitent autour de lui. « Ça fait trois ans que je travaille sur l’album, mais c’est vraiment l’été passé qu’il y a eu un changement de cap dans l’angle de l’histoire. J’ai commencé à me promener avec un enregistreur, pour passer des gens en entrevue, selon les sujets de l’album. C’est l’histoire de mes proches, des jeunes de ma génération. »

En cours de route, Jorie Pedneault a jugé bon d’ajouter sa voix à ces témoignages en interstice, après avoir écouté les conseils de l’artiste multidisciplinaire Olivier Arteau, crédité comme dramaturge de l’album. « Il voulait vraiment m’entendre, comme on entend tous les autres. Il voulait sentir l’humain derrière le personnage. »

En est ressortie l’une des plus belles et puissantes phrases de l’album, placée à la toute fin de l’Interstice C : « C’est ben beau tomber en amour toujours avec une autre personne, mais calice man, à un moment donné, il faudrait que je tombe en amour avec moi-même. »

« C’est une phrase que j’ai sortie au milieu d’une conversation [et qui représente bien le projet] », explique Jorie Pedneault. « Au début, quand je conceptualisais Narcisse, je me suis demandé si je devais jouer un personnage imbu de sa personne. Pis je me suis rapidement dit que c’était vraiment pas pertinent de jouer ce genre de personnage dans l’espace public. C’est devenu clair que Narcisse, ça devait plutôt être une manière de faire réaliser aux gens l’importance de l’amour de soi. »

Au-delà des concepts de déconstruction, c’est donc l’amour de soi qui est au centre des thématiques de l’album. Comme une façon de rejeter la violence ambiante, notamment en ce qui a trait à la diversité sexuelle et de genre. « La non-binarité existait déjà au début du projet. Mais durant les dernières années, j’ai changé mon pronom pour ‘’il’’ et mon prénom pour Jorie. Pour mon entourage proche, c’est acquis [de m’appeler comme ça]. Ça fait du bien. Mais quand je vais à l’épicerie et que la caissière m’appelle ‘’elle’’, c’est sûr que ça crée de la violence. »

Narcisse est donc une réponse à cette violence, même si son intention n’est pas nécessairement militante. « On fait juste chanter à propos de nos réalités. Et ça se trouve que ces réalités-là sont politiques. »

La participation de la formation à la finale des Francouvertes, en 2020, a permis de donner une vitrine inattendue à la propagation de ces réalités essentiellement politiques. « On est un projet qui revendique des choses. Mais on sait que ça peut fermer des portes, ce genre de proposition. Les Francouvertes nous ont donné la conscience que ce projet pouvait exister, que les gens allaient être là pour le recevoir. Je ne suis pas sûr que l’industrie aurait été prête à ça il y a 10 ans. »

À la toute fin de l’album, Devenir fleur ouvre le dialogue par rapport à Narcisse. Narré par Gabriel Paquet, l’épilogue fait directement référence au mythe grec de Narcisse, ce jeune homme qui, obnubilé par son reflet dans l’eau, finit par périr et se changer en fleur.

« Y’a un feeling de mise à mort et de résurrection. Parce que j’ai justement l’impression d’avoir vécu ça dernièrement », confie Jorie Pedneault. « La fleur symbolise aussi le printemps, car cet album-là, c’est la fin d’un cycle, mais c’est aussi le début de quelque chose. C’est la première carte qui va nous donner plein de belles choses dans les prochaines années. Une façon de dire : nous voici parmi vous. »