L’une des chansons les plus accrocheuses sur le sixième album du quintette vancouvérois Mother Mother intitulé No Culture est sans contredit l’envoûtante et entraînante « Back in School ».

De prime abord, la chanson pop-rock semble invoquer le même type de désobéissance scolaire qu’« Another Brick in the Wall Pt. 2 » de Pink Floyd ou « School’s Out » d’Alice Cooper. Pourtant, si on s’y attarde un tant soit peu, il y a une bonne dose d’introspection derrière cette bravade, quelque chose qui est plutôt dans la lignée de « Bullet with Butterfly Wings » des Smashing Pumpkins que dans un quelconque pied de nez narquois au système d’éducation.

Ryan Guldemond, le chanteur, guitariste et membre fondateur de Mother Mother, en compagnie de sa sœur Molly Guldemond, explique que la chanson parle plutôt d’une autre sorte d’école.

« Cette chanson parle de retourner à l’école du Soi, ce que je vivais au moment de sa création », dit-il en compagnie de Molly dans un café du West End de Toronto, deux semaines avant le lancement de No Culture, le 10 février prochain. « Cette idée d’être dans la salle de classe de votre propre âme, et vous ne comprenez rien de ce qu’on vous y enseigne. Vous regardez le tableau, et rien de ce qui y est écrit n’a du sens parce que votre cerveau ne fonctionne plus. La chanson combine donc l’angoisse face à l’école de ces classiques et y ajoute une couche de crise identitaire de l’âge adulte. »

Cette remise en question identitaire est un des thèmes centraux de No Culture. Il y a déjà trois ans que Mother Mother a lancé son album précédent, Very Good Bad Thing, et cet hiatus a été une période de profonde réflexion pour Ryan.

« L’album s’articule autour des thèmes de l’identité, tout particulièrement en ce qui concerne l’authenticité versus le paraître », explique Ryan, et nous utilisons le terme « culture » de manière péjorative, afin de suggérer que c’est une chose que l’on adopte et qui nous éloigne de notre véritable nature. Il en découle donc que nous décrivons un processus où l’on se débarrasse de notre culture, des influences qui nous éloignent de qui nous sommes vraiment. Cette idée m’est venue alors que j’étais moi-même aux prises avec ma propre crise identitaire. »

Il peut sembler surprenant qu’un groupe comme Mother Mother vive une crise de foi. Le groupe, après tout, n’a pas assez de deux mains pour compter toutes les nominations aux JUNOs et aux MuchMusic Video Award grâce à sa maîtrise hors du commun des codes de la radio rock moderne. Pas moins de 12 de leurs chansons se sont inscrites sur les palmarès alternatifs canadiens, dont notamment « The Stand » en 2011 et « Let’s Fall in Love », qui s’est rendue jusqu’en 3e position en 2012. Et c’est sans compter que ce surprenant groupe — qui comprend également comme membres la claviériste et chanteuse Jasmin Parker, le batteur Ali Siadat et le bassiste Mike Young — a à ce jour cumulé plus de 1,3 million de visionnements sur YouTube.

Hereusement, les crises qu’a vécues Mother Mother ne sont pas toutes existentielles. Prenez le premier simple tiré de No Culture, « The Drugs ».

« Je crois qu’elle n’a pas besoin d’explication », poursuit Molly au sujet de cette chanson. « Elle parle de l’amour, de soi ou d’une autre personne, ce “high” qu’il vous procure et qui est bien mieux que celui de n’importe quel autre vice. Il est plus durable, plus vrai. »

« On passe beaucoup de temps, durant notre jeunesse, à la recherche de ce sentiment exaltant à travers d’autres sources, d’autres formes de réalité. On essaie un peu de tout. Puis, un jour, on réalise que ce que l’on ressentait n’avait aucune fondation concrète, que ce sont des moments vides et sans signification. Ce que vous cherchiez vraiment, c’est cette sensation qui vous remplit. »

Bon nombre de chansons sur No Culture s’inscrivent dans la même veine introspective et personnelle. La pièce qui ouvre l’album, « Free » n’est rien de moins qu’un énoncé de mission avec son message qui nous invite à libérer l’amour. Le deuxième simple, « Love Stuck », poursuit dans la même lancée. Plus loin, « Baby Boy » et « Mouth of the Devil », avec leurs allusions respectives à la perte de soi et le glissement vers des habitudes néfastes, explorent l’envers de la médaille du sentiment d’amour que Mother Mother poursuit habituellement.

« Je crois que toutes les chansons [sur No Culture] expriment ce concept de différentes manières », avance Ryan.

La plupart des chansons sur No Culture partagent également une génétique sonore. Bien que la musique du groupe soit fermement ancrée dans la contemporanéité de la pop radiophonique alternative, on y retrouve également ci et là des éclats qui rappellent une collection de disques des années 80. « Baby Boy » propose des envolées claviéristiques dignes du rock progressif qui n’auraient pas détonnées sur un album de Rush, à l’époque, « Mouth of the Devil » a une ligne de guitare digne d’un certain Chris Isaak, « Free », à sa façon, pourrait partager la scène avec les plus récentes productions de Def Leppard, tandis que « Love Stuck » sonne carrément comme une descendante du « Tubthumping » de Chumbawamba.

Ces références n’étaient toutefois pas un geste délibéré, bien que Ryan avait une idée très claire du son qu’il recherchait. « Je me souviens avoir eu très envie de citer la ligne de basse de “Someone Great” par LCD Soundsystem pour la chanson “Mouth of the Devil” », avoue-t-il. « C’était quelque chose que je voulais reproduire consciemment. Ce synthé de basse en staccato avec un “decay” de trois secondes. Je voulais ça et je l’ai recherché. »

Cette référence à LCD Soundsystem est tout à fait avenue lorsque l’on considère l’évolution de Mother Mother depuis sa formation en 2005. Dans sa phase initiale, les Guldemonds et l’ancienne membre Debra-Jean Creelman se livraient à une gymnastique d’harmonies vocales folk-rockisantes. L’arc évolutif de leur son n’est pas sans rappeler celui de Tegan & Sara, se rapprochant graduellement d’un son rock et pop pur, ce qui stimulait d’autant leur popularité. Toutefois, dans les mots mêmes de Ryan, le groupe a perdu un peu de son « audace » vocale pour adopter le style plus lisse du rock moderne.

« Nous avons commencé humblement, avec une instrumentation limitée et une énergie entièrement au service des chansons », poursuit-il. « Je crois que notre désir d’élargir notre sonorité a toujours été motivé par une curiosité avide qui s’est infiltrée dans nos chansons. Elle se traduit par des effets pus élaborés sur les guitares, l’ajout de synthés, de programmation de rythmes et une plus grande palette d’outils en studio. Tout cela semble prendre de plus en plus d’expansion avec chaque album que nous enregistrons. Cet album est en quelque sorte le zénith de toute cette expérimentation. »

« Nous cherchons à offrir deux expériences aux gens : quelque chose d’animal et de primal, et quelque chose de cérébral. »—Ryan Guldemond de Mother Mother

Il y a lieu de croire que cette croissance musicale que vit Mother Mother est au moins en partie attribuable au nombre grandissant de projets parallèles de Ryan. Au cours des dernières années, il a aidé à la production de musique par Hannah Georgas (avec qui il partage un Prix No. 1 SOCAN pour la création du « hit » « Don » Go’ de Georgas, par l’artiste hip-hop Kyprios, Jocelyn Alice ainsi que la chanteuse canado-suisse Rykka. Il a également trouvé de l’emploi dans le monde ultra compétitif de création de « jingles » pour la télé, signant des mélodies pour Kraft, Sunrype et Wireless Wave, entre autres.

L’arrivée de Ryan dans ce domaine est une question d’avoir été au bon endroit, au bon moment. « La production était ce que je voulais faire », dit-il. « Je travaillais avec Hannah [Georgas] sur son album This Is Good, et son gérant, qui connaissait quelqu’un dans le domaine de la pub à New York, m’a passé un coup de fil. Il m’a dit “pouvez-vous arrêter la production de l’album et prendre 12 heures pour me proposer un ‘jingle’ pour la rentrée scolaire destiné à Walmart ?” Ce que nous avons fait, et nous avons été choisis, et ç’a été une révélation. Ce quelqu’un du milieu de la pub et moi sommes devenus de bons amis. À chaque fois qu’une occasion se présentait, il me passait un coup de fil et je tentais ma chance. »

Mother Mother

Le groupe en a également tiré un avantage : la concentration. « Apprendre la valeur d’aller droit au but grâce aux “jingles” se transpose dans l’écriture de chansons, car elle permet de mettre en valeur une bonne idée dans la diluer », affirme Ryan.

Malgré toute cette crise identitaire et cette introspection qu’a vécue Mother Mother durant la création de No Culture, la réponse que les membres du groupe attendent du public est quant à elle très simple.

« J’aimerais qu’il laisse la musique les envahir, qu’ils aient une réaction viscérale, physique, l’envie de danser, de bouger, de ressentir quelque chose, inexplicablement, sans avoir l’impression qu’ils doivent la définir », dit Ryan.

« Mais tout cela en même temps qu’ils se trouvent devant un portail qui leur permet de travailler sur un niveau intellectuel et interpersonnel. Nous cherchons à offrir deux expériences aux gens : quelque chose d’animal et de primal, et quelque chose de cérébral. Mais nous voulons que la réaction initiale soit la réaction physique. Après tout, une bonne chanson devrait donner aux gens l’envie de bouger. »