Jeff MoranJeff Moran ne prend pas la plume à la légère. L’auteur-compositeur-interprète québécois aime écrire. Il le fait depuis si longtemps. Il donne des ateliers d’écriture, partageant son amour de l’art de créer. Il cultive les moments précieux durant lesquels les mots prennent le pouvoir. « Je protège ce phénomène qu’est l’écriture. De plus en plus, je laisse les mots me guider, je me laisse aller », confie-t-il. Suite de la sortie de son quatrième album, Le silence des chiens, Moran constate que son style devient de plus en plus personnel. Pour ce nouveau projet, il a décidé de laisser ses textes donner le ton aux musiques, livrant un recueil de treize moments intimes et directs.

La poésie de Jeff Moran reste volontairement mystérieuse. « J’aime les images qu’un Léo Ferré lançait dans ses grandes envolées. J’aime cette impression de flou qui permet d’interpréter différentes choses. » L’auteur dit ne pas s’inquiéter de ce que ses auditeurs saisissent, une part de l’œuvre leur appartenant, comme lorsqu’on observe la toile d’un peintre impressionniste.

Chanter n’a pas été quelque chose de facile pour Moran. Il en était incapable pendant les trente premières années de sa vie, et a dû affronter ses peurs, faire face à son insécurité. C’est en proposant ses chansons à Francine Raymond, il y a plusieurs années, que le déclic s’est fait. « Tes chansons sont superbes, mais tellement personnelles. Il va falloir que tu t’en occupes toi-même », lui avait-elle lancé, en substance. Ce conseil l’a marqué et l’auteur est devenu chanteur. Aujourd’hui, il est fier du chemin parcouru, avec lucidité. « J’aurais aimé avoir la voix de Robert Plant, mais j’ai la voix que j’ai, avec ses limites et son charme. Chanter m’a rendu moins sauvage, plus ouvert. J’étais – et je suis encore – un gars plutôt timide. Plus le genre qui écoute, mais qui est capable de parler de soi lorsque vient le moment. »

Et ces moments, il les capture au vol lorsque l’inspiration point, dans le tourbillon de la vie. Aujourd’hui père de quatre enfants, de la première qui vient de vivre son bal de finissants du secondaire au petit dernier, né à peine quelques jours avant cette entrevue, Moran garde les écoutilles ouvertes presque en tout temps. La guitare, un stylo et du papier sous la main, il s’inspire de sa vie heureuse, mais mouvementée, bien entourée d’enfants et d’amis, aux côtés de Catherine Major, elle aussi auteure-compositrice-interprète à la carrière bien remplie depuis une vingtaine d’années.

Sa musique, créée en étroite collaboration avec son complice, le guitariste Thomas Carbou, devient de plus en plus épurée au fil des albums. Si Sans abri, paru en 2012, était plus un trip de musique progressive, auquel le batteur Sylvain Coulombe s’était greffé, le nouvel opus est un moment plus tranquille, plus personnel. Moran nomme Daniel Lanois parmi ses principales influences musicales, et ça se sent clairement sur Le silence des chiens, et particulièrement sur la chanson Corruption : les ambiances, les effets, les guitares, l’intimité qu’on sent dès les premières notes qu’il laisse sonner…

Moran ne manque pas de souligner la virtuosité de son collaborateur des huit dernières années. « Thomas Carbou travaille beaucoup! Il a une banque d’idées inépuisables, il est une référence musicale impressionnante. Il me connaît tellement bien, qu’il arrive à respecter qui je suis, tout en restant ouvert et constructif, amenant des idées, des sons, tout à fait naturellement. » Les deux musiciens ont enregistré seuls les treize chansons de l’album, en septembre dernier, de façon très simple. Chaque matin après que ces deux pères de famille aient déposé la marmaille à la garderie ou à l’école, ils planchaient sur une chanson le matin, l’enregistrant et la mixant l’après-midi.

Jeff Moran est un homme humble qui prend un grand plaisir à créer. Il s’émerveille devant ses chansons, comme devant ses enfants. Après quatre albums et un recueil de textes (Dans ma tête), l’envie lui prend de faire quelque chose de différent. La chanson L’orgueil, qui est la plus personnelle de son répertoire, pourrait être un tournant dans sa façon de s’exprimer. Un projet musical complètement différent, toujours avec Thomas Carbou, pourrait le mener vers une musique plus électronique, plus viscérale… Qui sait. Pour le moment, Moran continue de savourer la vie, et de s’en inspirer.