Quand elle traverse Miramichi à pied ou qu’elle roule sur les routes du Nouveau-Brunswick, Maude Sonier garde toujours un crayon pas trop loin. Les idées arrivent sans prévenir, « souvent dans les pires moments possibles ». Depuis un premier EP, Demi-tour, paru en mars 2024, elle voit de plus en plus grand et planifie la suite qu’elle conçoit désormais possible. Elle écrit pour garder des traces, pour comprendre ce qui l’habite, pour ne pas exploser.
« J’ai souvent les meilleures idées de paroles de chansons quand je marche entre un cours et chez nous ou quand je suis au volant… Faut que je m’arrête pour écrire deux lignes pour ne pas crasher mon char », rigole-t-elle. C’est là, dans les interstices de l’ordinaire, que Maude compose. Elle s’assoit au piano, son instrument de toujours, et laisse venir d’un même élan les mots et les mélodies. La guitare s’invite parfois, mais c’est le clavier qui prend le plus souvent les devants, car il lui permet de tout faire elle-même, d’un seul souffle.
Elle est née à Miramichi, mais chante désormais pour toute une génération acadienne qui cherche à se reconnaître dans les marges de la scène musicale. Sur Demi-tour se succèdent les chansons qu’elle a écrites à 15 ans et qui l’ont suivie. « Les belles choses qui m’arrivent proviennent toutes de ces tounes-là, que j’ai composées quand je ne savais absolument rien », s’étonne-t-elle encore.
C’est dans cette tendresse pour la version jeune d’elle-même que réside toute sa force. Lorsqu’elle a envoyé un message sur Messenger à Miko Roy et Katherine Noël pour enregistrer ses pièces, elle ne s’attendait pas à une réponse. « Ils ont accepté immédiatement. Ce n’est pas tout le monde qui a cette chance-là. Je ne savais pas ce que je faisais et ils ont été là tout le long », dit-elle.
Depuis, le parcours s’est élargi. En participant aux Francouvertes, elle a trouvé une confiance nouvelle. « C’est subjectif, les concours. Mais ça m’a permis de me croire aussi solide que les autres, on dirait. On peut se sentir inférieur quand on vient du Nouveau-Brunswick : on n’a pas encore fait nos Quai des Brumes ou nos Pantoum… mais on a nos scènes, nous aussi, au Nouveau-Brunswick, c’est juste que l’impression de ne pas en avoir encore assez fait arrive facilement. »
Elle a aussi pris part à la Résidence d’artistes-entrepreneur·es francophones hors Québec de la Fondation SOCAN, une expérience formatrice. « Ça m’a permis d’élargir mes compétences, de comprendre où aller chercher les ressources, de mieux naviguer tout ça. » Elle a été récompensée, quelques mois plus tard, par la bourse de 5000 $ de la Fondation SOCAN, remise à un auteur-compositeur émergent. « Je suis encore surprise. C’est difficile de vivre en Acadie et de faire de la musique. Chaque geste de reconnaissance, c’est un souffle qui te pousse un peu plus loin. »

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L’Acadie, pour elle, c’est un état d’esprit à transporter, valoriser et partager. Elle rêve de scène, bien sûr, mais pas pour devenir grande — pour devenir collective. « Si un jour je fais un show et que cinq personnes chantent mes paroles, je vais me sentir comme si j’avais réussi. » Elle s’étonne d’ailleurs encore du public réceptif qui est venu l’écouter chanter au Festival La Noce, au début du mois de juillet, à Chicoutimi.
L’été 2025 a également été saupoudré de la magie de sa première participation aux Francos de Montréal comme choriste pour P’tit Belliveau. « C’était pas mes tounes, c’était celles de P’tit Belliveau, mais j’ai jamais été aussi émue, se rappelle-t-elle. Quand on a joué L’église de St. Bernard, des milliers de personnes chantaient les paroles. On parlait de la Baie Sainte-Marie… Un endroit où tout ce monde n’était jamais allé. Et les gens ne se rendaient même pas compte qu’ils avaient appris à parler l’acadjonne. »
Dans la plume de Maude Sonier se côtoient lumière et colère latente : des textes lourds sur une musique qui rebondit : « Je suis quelqu’un de très heureux. Je vois une abeille butiner une fleur et je me dis que la vie est magique… mais dans ma tête, je suis toujours fâchée de quelque chose », confie-t-elle. Ce paradoxe-là nourrit tout ce qu’elle écrit. Des morceaux sur les amitiés qu’on ne peut pas contrôler, sur les angoisses de l’avenir, sur la peur de ne pas réussir sa vie. « Je les écris pour les sortir de moi, souffle-t-elle. Pour être en paix après, je pense. »
Elle est habitée par l’héritage pop de sa génération — celle de Camp Rock et de High School Musical — et l’élan scénique du cheerleading qu’elle pratiquait à Miramichi. Son premier album complet, qu’elle prévoit pour l’automne 2026, s’annonce comme un pas ferme vers ce qu’elle est vraiment. En travaillant désormais avec la boite Acadian Embassy, elle souhaite multiplier les mains tendues vers les musiciens et musiciennes de l’Acadie « même si ça coûte plus cher les amener des Maritimes ».
« Je veux enregistrer avec des gens de chez nous, faire des tournées ailleurs, mais les amener avec moi », revendique-t-elle. Tout ça, entre deux sessions universitaires, en terminant son baccalauréat multidisciplinaire à l’Université de Moncton : des cours choisis dans plusieurs disciplines connexes à la musique et à l’entrepreneuriat pour pouvoir être la reine de son avenir musical. « Personne au bureau administratif de mon université ne comprend ce que je fais, mais moi je suis en plein contrôle », complète-t-elle en riant.
Et c’est peut-être ça, justement, la vérité de Maude Sonier : elle sait. Le tremblement du cœur qui devient chanson, elle l’accueille sans réserve. Elle avance dans son métier avec la certitude d’être à sa place, depuis l’Acadie. Même si sa voix émerge à la lisière, elle ne vacillera pas.