De l’infiniment petit à l’infiniment… sonore, la formule sied bien au compositeur Louis Dufort. Car à tenter de savoir ce qui inspire le créateur en électroacoustique, sans être réducteur, équivaut presque à percer le secret du Boson de Higgs ! Qu’importe, puisque dans son cas, la démarche est souvent plus importante que le résultat.

Ce n’est pas un hasard s’il n’a jamais manqué de travail depuis sa sortie de l’Université de Montréal en 1997, année où la SOCAN le récompensait pour sa pièce Concept 2018957. Quelque 60 créations originales plus tard pour les principaux ensembles de musique contemporaine, ici et en Europe, un poste d’enseignant au Conservatoire de musique de Montréal et une collaboration de presque 20 ans avec la danseuse et chorégraphe Marie Chouinard, voilà un acteur bien en vue de la scène artistique contemporaine.

Sa nouvelle création, une cinquième commande en carrière de l’Ensemble contemporain de Montréal (ECM), donne le prétexte parfait pour tenter de comprendre le maelström dans lequel plonge son esprit au moment de créer. Le 24 janvier prochain, il présentera Les corpuscules agglutinés pour 10 instruments acoustiques. Préambule et explications du principal intéressé : « Aujourd’hui, je parle beaucoup plus en termes d’énergie et de matière plutôt que simplement de structure de notes, lance Louis Dufort, qui travaille dans une certaine abstraction. Il y a un temps où je faisais de la musique à programme, comme sur mon premier album CONNEXIONS (empreintes DIGITALes), des pièces très dramatiques et narratives (Zénith, 1999, œuvre acousmatique) où l’on pouvait percevoir une histoire défilante. Je donnais à l’auditeur des vecteurs perceptifs très forts et faciles à saisir, comme du cinéma pour oreilles. J’étais dans ce paradigme, mais ça a vraiment changé. » On peut placer cette césure dans la période 2.0 du compositeur, et la situer au début des années 2000. « Ce qui a vraiment changé, c’est mon désir de trouver de la beauté dans la structure plutôt que dans un aspect extra musical. »

Musique organique et organicité

Il poursuit : « J’accède à l’intérieur du son pour entrer dans la matière et en faire d’autres sons. L’ordinateur nous permet maintenant de pénétrer la note. Par exemple, si on fait l’analyse d’une note de trompette, on se rend compte que les premières millisecondes sont du bruit, mais qui font partie du son. » Son terreau d’inspiration passe donc maintenant par l’infiniment petit, alors qu’il découvre une nouvelle sensibilité. La biologie, la configuration des éléments de la nature ramenés dans ses plus infimes détails (vus sous la loupe du microscope, notamment), les vues macroscopiques des micro-organismes et l’organisation chaotique naturelle des éléments sont devenus des modèles structurels pour les assises de sa musique.

« À force de jouer en temps réel avec l’ordinateur, on est littéralement en symbiose avec la matière ; il y a une co-émergence entre le compositeur, son écoute, sa perception, et son contrôle paramétrique sur le son. Ma main contrôle les paramètres du son, qui me renvoient une image perceptive, et cette image va contrôler les changements paramétriques que je vais faire. » Louis Dufort précise qu’il applique aussi ce processus à ses œuvres mixtes, à la vidéo dans une approche syncrétique, non littérale, avec la musique. « Le mouvement de la vidéo est entrepris par le mouvement des ondes produit par le son. À mettre deux médiums dans une même relation dynamique permet cette connexion directe et physique entre le son et l’image, alors que le visuel suit la courbe dynamique du son pour obtenir une synchronicité. »

Dans le spectre sonore

Voilà pour l’explication. Mais pour Les corpuscules agglutinés, Louis Dufort appliquera son processus d’écriture à des matériaux acoustiques. « Je remarque que mon écriture pour les instruments acoustiques devient de plus en plus épurée, dans la recherche de l’harmonique, d’une musique plus spectrale, modale, au sens des modes anciens. Et on le remarque aussi chez la communauté des jeunes compositeurs qui ne recherchent plus tant les dissonances qu’on retrouvait dans l’écriture musicale des années 60 ou 70. Ces dissonances se sont adoucies. J’ai envie (et je ne sais pas si je vais y arriver !) de créer une œuvre sur une note, poursuit-il en riant, et de travailler seulement sur le timbre, la couleur. »

Bien que l’œuvre soit encore en chantier, la spatialisation est déterminée : les musiciens ne seront pas sur scène, mais positionnées tout autour du public. « Dans Les corpuscules agglutinés, je veux rester dans le microscopique, et faire entendre des particules sonores ; la spatialisation rend possible cette musique immersive : particules sonores, corpuscules, agglutination, masse. C’est le concept global de la pièce. »

D’ici la fin de l’année scolaire, Louis Dufort travaille sur certains projets personnels en vidéo/audio qu’il aimerait bien faire circuler dans les festivals internationaux européens. Siégeant au conseil du festival Elektra, voilà une courroie de transmission idéale pour les musiques et productions visuelles technologiques qu’il explore de plus en plus. « En mai, je tire la plug pour me lancer, et aussi travailler sur des nouvelles œuvres pour un prochain album chez empreintes DIGITALes. Et puis j’ai envie de voyager, mon fils a maintenant 18 ans ! » Par ailleurs, la musique composée pour le spectacle de Marie Chouinard (Gymnopédies et Henri-Michaux : Mouvements) continuait elle aussi à voyager outre-mer en novembre et décembre ainsi que janvier prochain en France, Belgique, Pays-Bas, et Hongrie. Du reste, Louis Dufort écrit beaucoup, question de documenter ses processus de travail, et de laisser une trace en publiant le fruit de ses recherches dans des revues spécialisées. La connaissance de la création pure en musique contemporaine ne s’en portera que mieux !



Dennis Ellsworth travaillait comme cuisinier de restaurant quand il réalisa qu’il était prêt à lancer sa propre carrière musicale en solo. Cet artiste de l’Île-du-Prince-Édouard avait déjà sorti un premier album (Chesterfield Dweller of the Year) alors qu’il vivait à Toronto, où il s’était établi afin de poursuivre une formation comme chef cuisinier. De retour à Charlottetown, il commença à écrire des chansons, à chanter et à jouer de la guitare avec la formation alternative Haunted Hearts, enregistrant alors deux albums, remportant une série de prix et se constituant une base solide d’admirateurs.

Ce n’est cependant qu’après avoir quitté le monde de la restauration et s’être investi complètement avec sa formation musicale que Dennis Ellsworth réalisa qu’il pouvait s’affirmer lui-même comme musicien. Sur un coup de tête, il décida d’envoyer un courriel au musicien et producteur David Barbe (Drive-by Truckers, Bob Mould/Sugar) à Athens, en Georgie, pour lui demander s’il était intéressé à travailler avec lui. « Je m’étais dit que si jamais il disait oui, j’essaierais honnêtement de faire carrière en solo, » se rappelle Ellsworth.

Ellsworth aborde la chanson avec souplesse.

La réponse de D. Barbe eut pour résultat l’album primé d’Ellsworth en 2012, Dusk Dreams, qui non seulement consolida sa réputation d’auteur-compositeur contemplatif, mais confirma également qu’il avait choisi le bon sentier musical.

Ellsworth, qui aborde la chanson avec souplesse, laisse beaucoup d’espace à l’inspiration et à la collaboration. Il considère qu’il n’a qu’à travailler quelques minutes sur une chanson pour savoir si elle en vaut la peine. « Sinon, je passe à autre chose, » dit-il en riant.

Bien que la cuisine et la chanson soient des univers très différents, la musique permet à Ellsworth de puiser dans la créativité qui l’avait conduit à l’origine vers la gastronomie. C’est pourquoi il préfère se rendre au studio avec des chansons encore incomplètes, afin de permettre aux musiciens et aux producteurs de mettre la main à la pâte.

« J’essaie de laisser les choses arriver naturellement parce que je sens que nous suivons le même fil conducteur, » explique-t-il sur sa façon de laisser progresser ses œuvres dans l’inconnu. Par contre, sur scène, Ellsworth est libre de tenir fermement les rênes. « Quand je joue en spectacle, dit-il, j’ai la chance d’être maître de la situation. »

Parcours

  • Bien qu’il n’ait pas grandi dans une famille de musiciens, Ellsworth se rappelle avoir été attiré par la musique dès son jeune âge. Il a commencé à composer des chansons à 15 ans en jouant dans des groupes rock et punk.
  • Ellsworth a remporté le prix de l’album de l’année et de l’enregistrement roots contemporain de l’année (tous deux pour Dusk Dreams) et le prix SOCAN de l’auteur-compositeur de l’année (pour la chanson « Electric Stars ») au Gala de la musique de l’Île-du-Prince-Édouard de 2013.
  • Grâce à ses deux dernières tournées, Ellsworth commence à se constituer une base solide d’admirateurs au R.-U., notamment en partageant la scène avec l’artiste folk anglais John Smith. Tous deux se sont rencontrés à l’occasion d’un programme de musique de l’Î-P-É et ont coécrit depuis plusieurs chansons ensemble.

Faits saillants
Éditeur :
s/o
Discographie : En solo Chesterfield Dweller of the Year (2010), Strange Boat (EP) (2011), Dusk Dreams (2012), Hazy Sunshine (2013) Avec Haunted Hearts Thank You, Goodnight (2009), Howdy (2010)
Membre de la SOCAN depuis 2000
Visitez le site www.dennisellsworth.com



Paru l’automne dernier, le nouvel album de Claude Dubois, Clone, comprend deux disques qui affichent étrangement la même durée, 34 minutes et des poussières. Normal direz-vous, les deux galettes contiennent les mêmes compositions. Or, leurs versions diffèrent d’un disque à l’autre, puisque la première propose une interprétation « pop » (arrangée à la sauce moderne, programmations incluses), tandis que la deuxième immortalise les chansons dans une facture plus sobre et acoustique.

De mémoire, peu d’artistes ont tenté le coup. Michel Rivard offre bien une version solo acoustique de son dernier album, Roi de rien, mais il s’agit essentiellement de maquettes à télécharger. Retrouver deux versions d’un disque enregistrées dans le même studio était pour moi une première, un concept à explorer davantage en cette ère de studio maison. « L’idée était d’abord de me donner toute la liberté d’explorer au maximum dans les versions pop, » explique Claude Dubois. « Je ne voulais pas hésiter devant certaines sonorités plus modernes sous prétexte que mes fans de la première heure, souvent plus puristes, n’allaient pas apprécier. Donc en leur livrant une version sobre, j’étais complètement libre de pousser la pop où je le voulais. »

Dubois a découvert en cours de route un autre avantage qu’il ne soupçonnait pas, un constat qui allait davantage encore motiver sa démarche et lui donner une autre signification. « D’une version à l’autre, le sens des chansons s’est mis à se transformer. Parce qu’au départ, j’ai été assez bandit pour me dire qu’en respectant les tempos et les structures, je pourrais utiliser les mêmes pistes de voix d’une version à l’autre, mais ça ne marchait pas. Selon l’arrangement de la chanson, mon interprétation devait être modifiée. Dans un registre pop, l’esprit est plus léger, plus détendu, comme dans un carnet de voyage. Alors que dans les versions dépouillées à la guitare acoustique, les propos deviennent plus sérieux. On a l’impression de toucher davantage l’âme, et toute notre perception de la chanson change. »

« Pour écrire, je dois absolument prendre une distance avec mon métier. »

Abordant des thèmes modernes (« Textoyable »), personnels (« Tout ce que j’ai fait », « Arrache frisson ») et parfois peu exploités en chanson francophone (une relation lesbienne sur « Amoureuse d’une amoureuse »), Clone est le premier album original de Claude Dubois en dix ans. Cette longue gestation s’explique par les multiples activités professionnelles du chanteur : album en duo, de Noël, avec une chorale, tournée française, nombreux concerts au Québec, participation à La Voix. « Pour écrire, je dois absolument prendre une distance avec mon métier. Je ne dois participer à rien d’autre parce je deviens trop envahi par tout ce que j’entends autour. Au fond, écrire est pour moi quelque chose de difficile. Et la contemplation ne me facilite pas l’écriture non plus. À une certaine époque, sans doute pour justifier mes plaisirs, je partais en voyage pour écrire un album, mais à la limite, me retrouver devant un mur gris est plus payant. Je préfère profiter du magnifique lorsqu’il passe et m’en souvenir ensuite pour écrire une chanson dans laquelle je le revivrai. »

Écrit entre les quatre murs d’une cellule alors que Claude Dubois purgeait une peine pour possession et trafic d’héroïne au tournant des années 80, Sortie Dubois est sans doute le meilleur exemple de cette démarche. « Avec Sortie Dubois, je plongeais dans mes souvenirs pour m’extirper de ma médiocrité de prisonnier. Pour Clone, c’était surtout parce que j’avais ouvert ma grande trappe en disant que je pouvais enfin produire un nouveau disque après tant d’années, » lance le musicien à moitié à la blague.

Au final, Dubois aura pris quelques semaines pour produire et lancer le disque sur sa propre étiquette de disque, un processus d’autoproduction accéléré par des sociétés et associations remerciées dans la pochette du disque : la SOCAN, la SODRAC, la SOPROQ et la SPACQ. « J’ai tenu à leur rendre hommage et à mettre leur logo à l’arrière de mon disque parce que bien sûr, elles défendent le statut d’auteur-compositeur, mais surtout pour une raison encore plus premier degré que ça : elles m’ont facilité la vie tout au long de la réalisation de l’album. Lorsque tu t’autoproduis, inévitablement tu te retrouves devant des questions d’ordre juridique qui, dans le cas de Clone, me dépassaient complètement. Plutôt que d’embaucher un avocat ou de consulter des livres de lois incompréhensibles, j’ai compris que j’avais juste à appeler ces regroupements pour avoir les réponses. Le tétage, c’est pas mon trip, mais j’ai envie de dire aux musiciens d’utiliser ces ressources. Elles sont essentielles et m’ont été d’un grand secours. »