Ah, les relations à longue distance. Quiconque a vécu de telles relations et éprouvé le romantisme qu’elles recèlent peut attester des défis émotionnels et logistiques qu’elles soulèvent. Comme il est difficile de les concrétiser!

Cette règle s’applique aussi aux collaborations créatives à longue distance. Quelques membres en vue de la SOCAN (et quelques-uns de leurs collègues à l’étranger) entretiennent actuellement de telles relations d’écriture et d’enregistrement. Mais comment font-ils pour entretenir leur flamme?  Des technologies relativement nouvelles comme le partage de fichiers et Skype ont été adoptées avidement par certains auteurs-compositeurs comme de précieux outils pour leurs affaires, alors que d’autres continuent d’insister pour les rencontres directes, en personne.

Compte tenu de ses origines rurales ontariennes, on pourrait s’attendre à ce que le chanteur-auteur-compositeur et producteur très en demande Hawksley Workman soit un ardent défenseur des collaborations créatives en ligne. Pas du tout. Produisant actuellement un grand impact sur le super groupe rock indépendant, les Mounties, avec les Vancouverois Steve Bays (Hot Hot Heat) et Ryan Dahle (Limblifter, Age of Electric), Workman insiste sur le fait qu’une communication en personne est cruciale.

« Je suis convaincu que l’on peut parfaitement écrire des chansons par le biais d’Internet, mais la musique qui nous a inspiré jusqu’ici est une expérience humaine collective. » — Hawksley Workman, du groupe Mounties

« Notre formation en est surtout une de scène, dit-il. Comme batteur, ma participation au processus de création est d’animer l’atmosphère, ce qui est à peu près infaisable par le partage de fichiers. Je suis convaincu que l’on peut parfaitement écrire des chansons par le biais d’Internet, mais la musique qui nous a inspiré jusqu’ici est une expérience humaine collective. Elle parle de gens présents dans une même salle qui peuvent même sentir l’odeur de sueur les uns des autres. »

Workman utilise rarement les communications en ligne dans son travail de production (dont les clients célèbres sont Serena Ryder, Tegan and Sara, et Great Big Sea). « J’envoie mes mixages par courriel en autant que la capacité ridicule de mon réseau rural le permet, explique-t-il, mais je ne serai probablement jamais un type branché. »

L’auteur-compositeur-interprète de country Tim Hicks, dont l’étoile ne cesse de monter, est plus ouvert à la collaboration en ligne. Ayant décroché récemment un prix SOCAN n° 1 pour son succès « Get By », une chanson coécrite avec Casey Marshall, Neil Sanderson (Three Days Grace), Tyler Hubbard et Brian Kelley (tous deux de Florida Georgia Line), Hicks coécrit régulièrement à distance avec Sanderson et Marshall. « Je suis tout le temps sur la route, dit-il, ou bien j’ai les enfants les jours où mon épouse travaille. Si je peux profiter d’une courte session à distance pour maintenir l’inspiration créatrice, ça fait toute la différence. »

Hicks se rappelle qu’une tentative de réunion pour une session dans la salle d’écriture Sound Lounge des bureaux torontois de la SOCAN s’est transformée en barrage routier : . « Neil devait arriver du nord de Toronto, et je venais de St. Catharine, mais il y avait un orage terrible ce jour-là. C’était impossible de rouler, mais le pauvre Casey n’a pas été averti à temps et s’est rendu à la SOCAN. Je suis allé sur Skype avec Neil, qui, de son côté, a contacté Casey sur FaceTime avec son iPhone ou iPad. On a étiré la technologie au maximum pour réussir cette session mais on a quand même terminé avec une nouvelle chanson! »

« J’écris tout le temps avec d’autres gars de Vancouver et Nashville au moyen de Skype ou FaceTime, dit Hicks. C’est parfois difficile à cause du délai mais ça va sûrement s’améliorer avec le temps. » Il a aussi profité de sessions d’écriture plus conventionnelles en personne à Nashville. « Ils sont plongés dans la tradition là-bas et cette approche a fonctionné durant des années pour moi, » dit-il.

Fearing & White est clairement une collaboration à longue distance, entre le Canada et l’Australie. Le vétéran de la musique roots Stephen Fearing, de Halifax, jongle avec une carrière prolifique d’enregistrement en solo, sa participation au groupe Blackie and the Rodeo Kings et, depuis 2008, son duo avec son confrère auteur-compositeur-interprète Andy White. Ce dernier, d’origine irlandaise, vit maintenant en Australie, ce qui soulève d’évidents défis. Mais le duo est parvenu malgré tout à sortir deux albums : le premier, un disque homonyme en 2011 et le second intitulé Tea and Confidences en 2014. Deux de leurs compositions communes se retrouvent sur les albums de BARK.



Groupe à géométrie variable (et au nom tout aussi changeant), le Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra effectue ses premiers pas en 1999. C’est en janvier dernier que l’imprévisible clan faisait paraître un septième album complet, Fuck Off Get Free We Pour Light On Everything. Dense, urgent, furieusement échevelé (particulièrement sur « Austerity Blues ») et dédié en partie à la ville de Montréal, l’assaut sonique surprend l’auditeur lors de la première écoute.

Auteur des textes (souvent fortement politisés) de la brigade Mt. Zion, Efrim Menuck (guitares, piano, voix) croit détenir la clé de l’énigme : « Nous sommes un quintette depuis maintenant six ans. C’est la première fois que nous écrivons des chansons pour un album dans un format quintette. Ce n’était pas comme ça pour les autres albums. Je crois que le fait d’avoir écrit ces chansons avec un plus petit nombre d’individus a contribué à l’effet vital et énergique que l’on retrouve sur ce disque. Également, on a beaucoup joué live au cours des dernières années. Être constamment sur la route a certainement déteint sur ce disque. »

« Il n’y a plus de styles de composition. On a abattu les barrières. Tous les musiciens de la terre ont une palette incroyable à leur disposition. »

Avec ses éléments blues, métal et garage, le nouvel opus s’éloigne de plus en plus des fondements post-rock de la bande, un terme que Menuck ne peut blairer. « En réalité, nos racines sont punk-rock! Ce que l’on cultive est une saine méfiance de tout ce qui n’est pas local. Dès qu’un doute croise notre esprit, on dit non. C’est aussi simple que ça. Même si on peut parfois paraître rudes aux yeux des gens, c’est simplement qu’on est timides et suspicieux, » laisse-t-il tomber.

Complété par Thierry Amar (basse, contrebasse, voix), Sophie Trudeau (violon, voix), Jessica Moss (violon, voix) et David Payant (batterie, voix), le quintette élabore ses longs et sombres morceaux de manière très démocratique. Menuck : « C’est ce qu’il faut retenir. Ça débute avec un riff, une ligne mélodique ou simplement une poignée d’accords qui peuvent provenir d’un jam et on démarre avec ces fondations. Ça peut venir de n’importe qui. Puis, on passe beaucoup de temps à trouver un segment de musique simple et à édifier autant de variations que l’on peut imaginer jusqu’à ce qu’on arrive avec une chanson d’une quarantaine de minutes. Par la suite, on coupe afin d’obtenir une pièce d’une durée plus raisonnable. On discute des arrangements en groupe. Parfois, un individu aura une opinion forte et tentera d’imposer sa vision. Puis, les trois joueurs de cordes (Thierry, Jessica et Sophie) apportent parfois un aspect “musique de chambre” à ce qui est produit. La musique vient toujours en premier lieu. C’est incontournable. Lorsqu’on arrive à un point où la pièce instrumentale tient la route, je m’assois et je tente de trouver des mots qui appuient le tout. »

Si plus de la moitié des membres du groupe (Menuck, Amar et Trudeau) se joignent également aux rangs de Godspeed You! Black Emperor sur une base régulière, tous les cinq sont musiciens à plein temps. Vies de débauche et de rock stars? Pas tout à fait. « On est chanceux parce qu’on travaille avec les mêmes gens en qui on a confiance depuis nos débuts et ce sont des amis. Essentiellement, on gagne notre vie en étant sur la route, mais tout le monde est sur la route de nos jours et la compétition est féroce. On aime ce qu’on fait et je crois qu’il est important de penser petit (think small). Nous n’avons pas de manager. Nous ne faisons pas de tournées extravagantes. On fait tout nous-mêmes. L’approche est très artisanale, nous gardons les coûts bas et tranchons la petite tarte en peu de morceaux. Tout ce qu’on tente de faire est de gagner nos vies honorablement. Et c’est dur. Ça devient de plus en plus difficile. Parfois, je songe à quitter le milieu musical pour faire autre chose, mais je fais ça depuis 20 ans. À cette étape de ma vie, je ne sais pas ce que je pourrais faire d’autre. Sur mon curriculum vitae, c’est indiqué “musicien” et c’est tout, » avoue Menuck, un brin penaud.

La locomotive Mt. Zion poursuit son chemin jusqu’à l’automne. L’amateur de guitares incisives et de violons tonitruants était heureux d’apprendre la parution d’un EP en mai, puis d’un autre au cours de l’année. Et toujours pas question de céder aux compromis. « En 2014, il n’y a plus de styles de composition. On a abattu les barrières. Tous les musiciens de la terre ont une palette incroyable à leur disposition. Ils peuvent faire de la musique librement sans avoir le sentiment de faire une déclaration profonde et formelle. C’est l’une des bonnes raisons de faire de la musique de nos jours. On peut faire ce que l’on veut. Lorsqu’on roule sa bosse dans ce milieu depuis de nombreuses années, comme nous, on a besoin de se trouver une piste pour nous motiver à poursuivre. »



Ses parents avaient déménagé au milieu de nulle part pour s’assurer qu’elle, ses sœurs et son frère ne feraient pas de bêtises. Mais même transplantée au cœur des plaines manitobaines, dans le petit village rural d’Aubigny, marijosée (sans majuscule) n’avait rien perdu de la fougue de ses cinq ans. En cachette, elle remplissait son sac à dos de nourriture, la première étape de son plan d’évasion. Puis elle franchissait la porte d’entrée pour s’engager dans le chemin privé menant à la route. « Mais je finissais toujours par faire demi-tour avant même de me rendre à la rue tellement c’était loin, » se souvient la musicienne qui vient de faire paraître son premier album complet, Pas tout cuit dans l’bec.

La musique est arrivée dans sa vie à la même époque. Franco-manitobains, ses parents trainaient la marmaille à la messe tous les dimanches. « Mon père chantait dans la chorale de l’église. Sa voix était tellement forte qu’il enterrait tout le monde, c’était presque gênant. Il a fini par m’inscrire dans la chorale à mon tour. Mes parents tenaient à ce qu’on chante en français. Lors des longs trajets en voiture, ils nous forçaient à traduire nos chansons anglophones préférées. C’est comme ça que “Lean On Me” de Bill Withers est devenue “Penche-toi sur moi”!» La démarche a porté fruit. Perceptible en entrevue, l’accent anglophone de marijosée est quasi impossible à déceler sur disque, comme si elle avait assimilé sans trop s’en rendre compte toute la musicalité de la langue française.

« À chaque deux ans, je changeais de concentration. J’ai donc étudié le chant classique, pop, jazz et même country. »

Puis ce fut les traditionnelles leçons de piano. Avant chaque cours, l’adolescente devait coller sa gomme usagée sur le dessus de son piano parce que son professeur refusait qu’elle mâchouille en pianotant. Après avoir accumulé une collection impressionnante de petites boules multicolores, elle s’est tournée vers le chant, mais suivant toujours une démarche atypique. « À chaque deux ans, je changeais de concentration. J’ai donc étudié le chant classique, pop, jazz et même country. Ça me donnait de nouvelles idées et de nouvelles techniques dans lesquelles piger pour trouver ma propre voix. Mais au final, je crois que c’est le chant jazz qui m’a le plus marquée. Il y a une liberté dans ce style qui me plaît énormément, parce que je peux improviser ou changer de rythme subitement. Disons que ça cadre bien avec ma personnalité limite TDA. »

Les influences jazz sont d’ailleurs bien présentes sur Pas tout cuit dans l’bec, un album qui diffère des influences plus électro entendues sur Rebondir, le premier maxi de marijosée, paru en 2011. Cette fois, son chant imprévisible ou très chaleureux témoigne bien de son amour pour le jazz, tout comme les lignes de contrebasse et la nervosité des percussions omniprésentes sur l’album.

« C’est l’autre grand coup de cœur de ma carrière. Lorsque j’ai abandonné les leçons de chant pour des cours de percussion, ma voix et mon phrasé ont changé. Je me suis mise à avoir plus de rythme dans mon chant, à couper davantage les mots, à jouer avec les sonorités, » explique celle qui compose même ses mélodies vocales à partir de rythmes qu’elle tape sur n’importe quel objet qui lui tombe sous la main. « J’ai composé la pièce titre de l’album à partir d’un beat qui me faisait de l’effet. La chanson raconte comment ma famille m’a surtout transmis l’envie de manger plutôt que celui de faire carrière en musique. »

« Pas tout cuit dans l’bec » n’est pas la seule chanson abordant son métier d’auteure-compositrice-interprète. « Promesse de la fontaine » répond à tous ceux qui lui ont conseillé de déménager au Québec pour donner plus de chance à sa carrière. « C’est pas que je refuse de quitter le Manitoba. Parce que dans un sens, c’est vrai qu’il manque d’outils ici. On a beau recevoir des subventions, je n’ai pas de maison de disques ou d’équipe de gérance à ma disposition. Mais en même temps, je ne veux pas partir pour simplement tenter ma chance au Québec. Si on m’offre quelque chose de concret, je pourrais faire le saut, mais aller à Montréal pour me croiser les doigts et m’installer avec mon chapeau et ma guitare au coin de rue… ça ne m’intéresse pas. »

Et si la majorité des autres chansons du disque font état des rapports complexes entre marijosée et les hommes, c’est qu’elle estime n’avoir rencontré que des « cons » depuis sa rupture avec son ancien mari. Mais ça, c’est une autre histoire. « Vous saurez à la sortie de mon deuxième album si j’ai finalement rencontré le bon gars, » blague la musicienne qui, d’ici là, défendra ses chansons un peu partout à travers le Canada et même en Europe, où elle jouera cet été en France et en Suisse.