À l’instar de tous les artistes, les auteurs-compositeurs doivent être des entrepreneurs avisés s’ils souhaitent gagner leur vie avec leur art. Pourtant, les artistes ont rarement l’occasion d’apprendre des choses banales, mais cruciales comme les budgets, les stratégies de marketing et les impôts, comme si, par magie, ils étaient au-dessus de tout cela.

Rien de plus faux, affirme l’auteure-compositrice-interprète torontoise Domanique Grant : « On nous dit depuis toujours que nous sommes des artistes. Or, le problème le plus criant des artistes en émergence, c’est qu’on nous laisse croire que l’entrepreneuriat ne fait pas partie de notre carrière alors que c’est probablement la partie la plus importante de notre carrière. »

Heureusement, Grant a pu participer à un programme de la Fondation SOCAN qui change la donne. Créé en 2018, l’incubateur de créativité entrepreneuriale TD, un partenariat de la Foundation, soutient les créateurs de musique en émergence à l’aide de financement, de mentorat, d’opportunités pour des vitrines ainsi qu’une série de webinaires qui proposent des outils et des ressources visant à les aider à bâtir une carrière durable dans le domaine de la musique. Grant affirme que ce soutien l’a aidée dans la création et la production de son prochain album en plus de donner un bon coup de pouce à sa visibilité tout en lui offrant des connexions et des ressources d’une valeur inestimable.

« Ça te donne des conseils pratiques, incluant de l’argent, afin que tu puisses réellement faire avancer ta carrière », explique Grant qui est également l’hôtesse d’une série Web qui reçoit des professionnels de la musique. « J’ai pu bonifier mon catalogue de musique et collaborer avec d’autres créateurs. C’est le genre de chose qui peut être payant. En plus, ça te permet d’avoir accès à un mentor de l’industrie — dans mon cas ç’a été Ralph Singh de Universal Music Canada — qui te permet de continuer à évoluer. Obtenir de l’aide pour comprendre les droits administratifs et comprendre comment fonctionne l’édition musicale a été la clé, pour moi. »

« Le programme met l’accent sur le fait qu’être auteure-compositrice veut dire que tu es aussi entrepreneur », ajoute-t-elle. « C’est important de comprendre ça et de pouvoir compter sur soi-même pour comprendre les rouages de l’industrie et faire les choses soi-même plutôt que de remettre ça entre les mains d’une autre personne. Je crois que c’est ça qui rend l’incubateur si précieux. »

L’auteur-compositeur-interprète haligonien Dave Sampson avait déjà signé une entente d’édition lorsqu’il s’est inscrit au programme et il continue de travailler sur son nouvel album avec ses producteurs à Nashville par l’entremise de l’appli Zoom. Sampson s’est servi du soutien offert par l’incubateur pour créer son site Web et ses efforts de marketing sur les réseaux sociaux en plus de développer ses aptitudes en écriture de chansons et en réseautage en compagnie de son mentor, Joe Ferrari de Sony Music Canada.

« C’était vraiment génial de pouvoir lui poser toutes mes questions tout au long de l’année », raconte Sampson. « On se téléphonait et je lui faisais écouter mes chansons, c’était vraiment cool de pouvoir se connecter pour avoir ses commentaires. Toute notre industrie est fondée sur le réseautage et les connexions. »

Sampson a trouvé tout aussi utiles les webinaires sur les compétences en affaires. « Chaque semaine, je me connectais pendant une heure et on nous présentait des professionnels comme un gestionnaire de communautés ou quelqu’un de Canada’s Walk of Fame, un comptable qui nous explique comment produire notre rapport d’impôts ou toutes les autres tâches administratives qu’on a tendance à négliger », dit-il. « C’était comme une université en ligne où ce que tu en retires et comment tu t’en sers ne dépend que de toi. C’est comme une classe de maître sur pratiquement tous les sujets importants. »

Desirée Dawson est une auteure-compositrice-interprète de Vancouver qui a été très occupée par l’écriture et la publication de sa musique depuis qu’elle a remporté le concours CBC Searchlight en 2016. En fait, Dawson avait tellement de projets de front qu’elle s’est servi du mentorat offert par l’incubateur — l’éditrice de musique Vivian Barclay de Warner Chappell — pour se concentrer sur l’essentiel.

« On a eu d’excellentes conversations sur la direction que je veux donner à ma carrière », dit-elle. « Elle est pleine d’excellents conseils sur des sujets comme le placement de chansons et le fait d’écrire pour d’autres artistes. »

Dawson a utilisé le financement offert par l’incubateur pour payer ses enregistrements et autres frais de production et elle a de plus été sélectionnée pour aller enregistrer et présenter une vitrine à Toronto devant des professionnels de l’industrie. Elle ne tarit pas d’éloges pour la série de webinaires. « Avoir la chance d’entendre tous ces points de vue différents de gens des quatre coins de notre industrie est incroyablement utile », dit-elle. « Ça m’a motivée à foncer et j’ai compris que si j’ai besoin d’aide, je sais où en trouver. »

« J’ai compris que je ne suis pas seule même si je suis une artiste indépendante qui fait essentiellement tout toute seule. Ça fait du bien de garder à l’esprit qu’il y a d’autres artistes dans la même position et que nous avons accès à des ressources pour bâtir notre entreprise. »

Le programme a été lancé par Charlie Wall-Andrews, directrice générale de la Fondation SOCAN, en consultation avec des artistes et des leaders de l’industrie, afin de concevoir un programme qui donne aux créateurs de musique les moyens de devenir des artistes entrepreneurs et de faire en sorte que leur passion et leur talent se traduisent par des carrières réussies et durables. L’incubateur de créativité entrepreneuriale TD acceptera les mises en candidatures pour sa prochaine cohorte au début de 2021. Vous trouverez plus d’information à l’adresse www.musicincubator.ca.



Durant sa dernière année au secondaire, Nostalgix a été à son premier concert de musique électronique, et les choses ne seraient plus jamais les mêmes après. « Ma vie a complètement changé ce soir-là », confie la DJ et artiste EDM vancouvéroise. « Je me sentais comme si j’avais enfin trouvé un endroit auquel j’appartenais vraiment. Je suis tombée en amour avec la musique et avec la quantité de plaisir que tout le monde avait. »

Nostalgix s’est acheté une console de mixage et a entrepris d’apprendre l’art du DJing dans sa chambre des résidences de l’université de la Colombie-Britannique jusqu’au jour où elle a décroché un engagement au pub du campus. De fil en aiguille, elle a commencé à jouer dans de plus grandes salles et des festivals avant de commencer à écrire sa propre musique. « J’ai joué dans un spectacle de très grande envergure et je me souviens être sortie de scène en me disant que le temps était venu pour moi d’écrire mes chansons pour faire danser les gens », dit-elle.

C’est il y a environ trois ans qu’elle a lancé ses premières chansons, dont notamment l’irrésistible et éminemment entraînante « Alien Invasion » ainsi que la bombe « Basics ». À mesure que ses aptitudes techniques de production se solidifiaient, elle a trouvé le courage d’inclure des voix à ses compositions.

« Je peux créer une pièce et la lancer sans aucune crainte, mais si j’y rajoute ma voix, ça devient beaucoup plus personnel. J’étais vraiment très nerveuse », confie-t-elle. Aucune trace de nervosité, toutefois, sur son plus récent EP, Act Out, paru en novembre 2020 sur étiquette Night Bass et sur lequel, notamment sur la pièce titre, Nostalgix rappe avec aplomb.

Nostalgix a été amplement louangée, mise sous contrat par l’étiquette Dim Mak de Steve Aoki, incluse à la liste des « 12 artistes en émergence » de DJ Mag, et elle a fait l’objet d’un article dans Forbes magazine. En 2020, elle a passé le plus de temps possible en studio afin de peaufiner ses pistes de voix, composer de nouvelles pièces et même apprendre le piano, chose que, de son propre aveu, elle n’aurait jamais faite, n’eût été le confinement. « Ç’a été une année de hauts et de bas », dit-elle, « et j’ai réalisé que je devais y aller au jour le jour et créer de la musique en attendant de pouvoir retourner dans le monde. »



Les frères Simon et Henri Kinkead visitent la Migration sous toutes ses formes dans un premier album paru en octobre et titré ainsi par cette action de quitter les lieux. Les questionnements, les changements que l’on choisit ou non, l’évolution nécessaire de l’enfance vers la vie adulte : le duo, épaulé par Simon Kearney à la réalisation propose dix chansons qui accompagnent la mi-vingtaine aussi bien que le café accompagne les lundis matin.

KinkeadLes oiseaux quittent pour l’hiver, mais finissent par rentrer à la maison. Les jumeaux Kinkead essaient de regarder devant en faisant le deuil de ce qu’ils laissent derrière. « La COVID nous fait vivre une crise existentielle dans un contexte où tout le monde est en crise. C’est difficile de démêler ce qui vient de nous et ce qui vient de la pandémie dans le stress qu’on vit », rapporte Henri. La confusion est entière.

« L’anxiété nous assiège de toute part sauf que la société continue à progresser, parfois dans le mauvais sens et les questionnements sont permis, même s’il faut gérer une crise plus grande que nous, répond Simon. Il y a moyen de s’y perdre et l’équilibre est difficile à trouver. »

Les jeunes adultes d’aujourd’hui ont grandi avec les réseaux sociaux et ils se sont définis à travers eux, ce qui les rend enclins à souffrir de la surexposition de soi dans un contexte d’isolement. « Pour nous, après, ça va de soi, de parler de tout ce qu’on vit et de mettre un aspect très personnel dans nos chansons », avoue Simon. Abordant sans détour d’autres traits identitaires comme les orientations et appartenances sexuelles, ils ne se formalisent pas et disent les choses telles qu’elles sont.

« On ne cherche pas à provoquer, poursuit Simon. On ne se prend pas pour Hubert Lenoir, mais on sait qu’on représente un autre modèle de différence. On est un autre vecteur de ce message-là qui mériterait d’être partagé le plus possible. Plus il y aura de modèles, plus les gens qui ne se sentent pas représentés vont se sentir bien. »

Selon Henri, Simon Kearney a cimenté les propos de Kinkead en coulant une fondation à cette maison du groove qu’est leur album.  « Il nous a donné une cohérence stylistique. On est davantage des songwriters donc on travaille plus avec la guitare et la voix, puis en studio, on lui a parlé de nos inspirations et il nous a trouvé une identité sonore. »

Et si certains pensent que les jumeaux ont un sixième sens pour communiquer sans rien dire, peut-être que les frères Kinkead ont ce petit don ésotérique pour la cohésion. « Notre télépathie, c’est que l’on connait les limites de l’autre. On ne met pas de bâtons dans les roues de l’autre parce qu’on est en symbiose totale », dit Henri.

Et même si la clé de leur succès est dans leur vision commune, ils savent reconnaître les forces qui les distinguent l’un de l’autre. « Henri a plus l’instinct du hook pop que moi, admet Simon. Moi je m’intéresse aux mots et aux façons de dire les choses, d’optimiser un texte. Je suis plus vulnérable et sensible, disons. » « Simon, c’est le emo du groupe, rigole Henri. On aime aussi beaucoup rebondir sur une idée de l’autre et laisser aller l’inspiration et la suivre jusqu’au bout. Pour la chanson Atomic Suzie, j’avais l’idée d’une femme transe qui entre dans un karaoké et qui domine. C’est venu après un jam de drum et de bass. »

Dans l’idée de la migration, au-delà de l’évolution de l’humain vers sa version préférée de lui-même, persiste également la nécessité de croître dans un environnement où il fera bon vivre. « La crise climatique c’est une chose, mais de participer à une transition vers un système politique et économique qui va nous permettre de survivre en évitant de ne profiter qu’à une infime partie de la population, ça, c’est nécessaire, dit Henri. Au lieu que 10 % des gens puissent aller vivre sur Mars, on pourrait essayer de faire en sorte que tout le monde ait accès à l’eau potable sans que ça vire en guerre civile. » « C’est vraiment difficile de faire ça, une révolution, renchérit son frère. Il faut trouver l’équilibre entre toutes les choses importantes pour nous et celles qui sont nécessaires pour permettre à l’autre de vivre aussi. »

Et après la révolution, la non-fin du monde, le bout de la pandémie, il restera encore un désir : celui de faire entendre cette musique vectrice de changement. « La musique existe grâce aux échanges, croit Henri. On a la chance d’avoir eu un accueil favorable sans lancement physique. Ça met la table pour la suite. On a la chance d’être jeunes et d’avoir l’énergie de continuer. On est optimistes. On va avoir une bonne swing quand le temps sera venu. » « On va aller travailler chez Normandin en attendant, en continuant de se nourrir artistiquement, poursuit Simon. Il n’y a rien pour nous arrêter. »