Il n’est pas rare que des artistes de chez nous connaissent plus de succès à l’étranger qu’ici. On peut penser à quelques exemples comme Saga en Allemagne ou The Tea Party en Australie. Eh! bien nous pouvons maintenant ajouter Neon Dreams en Afrique du Sud à cette liste.

Le duo pop alternatif haligonien composé du chanteur et guitariste Frank Kadillac et du batteur Adrian Morris a connu un succès respectable au Canada depuis sa création en 2015. En 2020, Neon Dreams a remporté le JUNO de la Découverte de l’année après avoir vu un de ses simples « Marching Bands » (2016) certifié or en plus d’avoir collaboré avec Kardinal Offishall et cumulé des dizaines de millions d’écoutes en ligne.

Depuis un an, cependant, l’Afrique du Sud est devenue un deuxième « chez soi » pour Neon Dreams, et c’est là que leur simple « Life Without Fantasies » a été certifié Platine. Figurant sur l’album Sweet Dreams Till Sunbeams (2019), cette chanson a eu un impact minimal au Canada, mais elle a ensuite connu un succès retentissant en Afrique du Sud, ce qui a piqué la curiosité de Neon Dreams.

Actuellement basé au Cap, Frank Kadillac nous raconte la trajectoire peu commune de la chanson. « Adrian suit de très près où nos chansons sont populaires et il m’a dit qu’on avait un pic important en Afrique du Sud avec “Life Without Fantasies”. Elle n’arrêtait pas de grimper dans le palmarès, alors j’ai attrapé mon ukulélé pour en faire une nouvelle version afin de remercier nos fans. C’est ma chanson préférée et j’étais sincèrement reconnaissant de leur soutien. La vidéo est devenue virale parce que, ce que j’ignorais, c’est que la musique au ukulélé est super populaire en Afrique du Sud. »

Cette opportunité sud-africaine était comme une bouée à la mer pour Neon Dreams qui, comme tous les artistes, traversait une période difficile. « Au beau milieu de cette pandémie, on arrivait à peine à survivre en tant qu’artistes », avoue Kadillac, « et là on voyait une lueur d’espoir. Nos fans nous disaient qu’on ne comprenait pas à quel point notre musique les faisait vibrer et leur remontait le moral. Craignant que ce soit risqué, Neon Dreams a tout de même organisé une tournée de 16 spectacles là-bas en mai 2021 et tous les soirs se sont déroulés à guichets fermés et sans anicroche. Ils ont remettront ça en avril 2022 avec une visite de 11 dates avant d’effectuer une tournée au Canada.

« Nos fans là-bas nous disaient qu’ils avaient de musique comme la nôtre pour les aider à passer à travers leurs journées » – Frank Kadillac de Neon Dreams

Le degré d’enthousiasme de leurs fans durant cette première tournée a profondément touché Kadillac. « L’Afrique du Sud est totalement différente de l’Amérique du Nord », dit-il. « C’est encore un pays du tiers monde et nos fans là-bas nous disaient qu’ils avaient de musique comme la nôtre pour les aider à passer à travers leurs journées. »

Kadillac a décidé de rester au Cap où il continue d’écrire et d’enregistrer des chansons et de réaliser des vidéoclips. Une des chansons enregistrées là-bas, « Little Dance », vient tout juste d’être lancée internationalement et prend rapidement de l’ampleur.

Le chanteur injecte désormais une bonne dose de positivité et de messages encourageants dans sa musique. « Je veux qu’elles soient comme une petite bouteille de rayons de soleil que vous pouvez boire », dit-il tout en avouant qu’il a lui-même dû faire un peu d’introspection. « Je me suis laissé distraire dans la foulée du succès de “Marching Bands” au Canada. Je me suis engagé sur le mauvais chemin avec les mauvaises personnes et ç’a fait mal à mon esprit. J’ai retrouvé mon esprit en 2018 et maintenant, je veux aider les autres à trouver qui ils sont vraiment. »

Sa participation, en 2018, au camp de création Kenekt de la SOCAN au Nicaragua a grandement contribué à la croissance personnelle et créative de Kadillac.            C’est là qu’il a coécrit le simple « Hold Me » de Ria Mae en compagnie de cette dernière, de Lowell et de John Nathaniel. Cette expérience lui a aussi inspiré le simple de Neon Dreams « Guilty » (2018).

« Ça m’a vraiment aidé à reprendre confiance en moi et à me fier à mon instinct d’auteur-compositeur », se souvient-il. « C’était au début de ma phase de guérison. La séance de méditation et de yoga qui avait lieu tous les matins durant le camp m’a fait un bien énorme. »

Le succès de Neon Dreams s’est bâti de manière totalement autonome. Le groupe lance sa musique sur sa propre étiquette, Dreaming Out Loud Records, qui a une entente de distribution avec Warner Music Canada.

« Tous les membres de notre équipe ont grandi ensemble, on est comme une famille », explique l’artiste. « Notre gérant, Matthew Sampson, était dans le groupe, avant. Je pense qu’une bonne partie de notre succès s’explique par l’amour qu’on a les uns envers les autres. On comprend tous ce que les autres membres de l’équipe veulent et on partage les mêmes buts. »



Thus OwlsErika et Simon Angell refusent de tomber dans la musique qui est une habitude, une routine ou une répétition. En duo, leur projet Thus Owls se réinvente à chaque disque depuis près de quinze ans. Leur album double Who Would Hold You If The Sky Betrayed Us ?, paru le 4 mars explore encore davantage la route où on n’est jamais allés et sur laquelle on ne revoyagera probablement jamais.

Il y a sur ce cinquième album tellement d’éléments lancés avec la fougue profonde des artistes, qu’il sera toujours un brin utopique de prétendre rejouer les mêmes pièces dans leur forme d’origine. « On aime le lieu où se marient la composition et l’improvisation. Et on aime encore plus brouiller les lignes entre les deux », explique Erika. « À notre premier album en 2009, quand on avait notre band suédois, c’était ça notre vibe, ajoute Simon. Full circle. »

Fondé à Stockholm, Thus Owls est installé à Montréal depuis de nombreuses années maintenant. La pandémie a pourtant semé des graines de questionnement qui s’entendent dans les mots d’Erika au fil de l’album. « Toutes mes paroles, c’est mon journal, lance-t-elle. J’écris pendant des mois et je regarde les textes ensuite. J’aime improviser les mélodies en second lieu. »

« Sur le nouvel album, je voulais savoir ce que ça me faisait d’avoir changé mes racines. Être déconnectée de ma famille, de la maison, de manière plus draconienne à cause de la pandémie, ça m’a changée. Ce ne sont pas tous les humains qui, chaque jour, parlent une langue qui n’est pas la première qu’ils ont apprise. J’ai voulu savoir qui j’étais, déracinée, et c’est ce que je chante ici. »

Si on n’entend très peu le son Thus Owls au Québec, ce n’est pas nécessairement parce que c’est le son suédois, mais plutôt parce que le couple embrasse l’idéologie musicale plus large qui forme les musiciens là-bas. « C’est du free jazz », énonce d’abord Erika.  « En fait c’est que là-bas, beaucoup de styles différents vont intégrer une sorte d’improvisation jazz quand même; que ce soit pop, rock, contemporain… », ajoute Simon. « Tous mes amis avec lesquels je suis allée à l’école il y a vingt ans abordent aujourd’hui la musique avec une plus grande fluidité dans le mélange des styles. Il y a cette nécessité, qu’on entend, de ne rien mettre dans des boîtes. Ça n’a pas besoin d’avoir de nom, la musique », complète Erika.

Alors que l’ensemble de leur processus créatif semble naître au cœur d’une fanfare, dans un stade rempli, les deux dernières années ont dû au contraire ramener Erika et Simon à une expression dense et multiple de leur musique, devant presque rien.

« Quand tu joues avec un grand public, ça fait naître le plaisir, ça ouvre la porte aux possibilités et, oui, c’est comme ça qu’on aime penser notre musique », élabore Erika. « Par contre, ce qui est vraiment intéressant avec notre nouvel album, c’est que même si on a réussi à inviter des amis avec nous pour jouer (notamment les trois saxophonistes Claire Devlin (ténor), Adam Kinner (ténor) et Jason Sharp (sax basse)), l’album est construit pour qu’on puisse toujours ajouter quelqu’un sur scène sur la route, réitère Simon. C’est l’essence du projet : c’est libre. »

En studio, c’est souvent la première prise qui passe et ils ne vont « définitivement jamais au-delà de deux ou trois prises ». « L’énergie d’une chanson, c’est comme une flamme, dit Erika. Après trois takes, il n’y a plus de feu. On joue donc en studio avec tout le monde dans la même pièce sauf moi, au chant. On s’allume ensemble et on enregistre au plus près de ce qu’on ferait sur scène. »

Au début de la pandémie, Thus Owls complétait la musique du Film Woman In Car. Leur pièce Lovers Are Falling est nommée aux Prix Écrans Canadiens dans la catégorie de la meilleure chanson originale. C’est un type de projet qui sort le couple de ses procédés normaux. « Tu dois penser la musique différemment, dit Simon. L’accent n’est pas sur la musique. Tu dois la mettre en retrait. » « Quand je compose, je vois toujours des couleurs dans ma tête et des images, ajoute Erika. Là, la palette de couleurs existe déjà et il suffit de tracer les contours. »

Ainsi, malgré les sons lourds, les arrangements multiples qui se complexifient, se perfectionnent, s’additionnent, Thus Owls voyage léger : une simple idée en tête qui s’habille de toutes les possibilités rencontrées au passage. « On décide de s’écouter, assure Erika. On acquiesce devant l’imprévisible. »



Avec son neuvième album Encre rose, Corneille étale avec sincérité sa vision lucide du monde et donne vie à un rêve qu’il caresse depuis longtemps : rendre hommage à la soul et au R&B du tournant des années 1980.

Corneille« J’ai toujours voulu faire un album dans ces couleurs-là », relate le chanteur québécois, grand fan de Stevie Wonder, de Hall & Oates, de Prince, de Luther Vandross, de Shalamar et de bien d‘autres artistes américains qui ont marqué cette époque.

Dans ce cas-ci, « toujours » signifie au moins une quinzaine d’années. Quinze années durant lesquelles l’auteur-compositeur-interprète a gardé enfoui au fond de lui son désir.

Deux chansons de son précédent album (Manque de sommeil et Le bonheur) laissaient toutefois poindre à l’horizon cette direction musicale aux guitares rythmées, aux basses funky et au groove omnipotent. Enfin, Corneille allait se laisser aller.

« L’enjeu pour ma part, c’est que [la fin des années 1970 et le début des années 1980] est une période où la soul et le R&B chantaient exclusivement l’amour et que ce n’est pas vraiment dans mon ADN d’auteur d’aller vers ce thème-là. Je ne voulais pas être limité dans mon exercice », explique-t-il, quand on lui demande la raison de cette longue attente. « C’est la musique que j’écoute le plus dans mon auto, une musique avec laquelle j’ai un rapport de fan, donc j’étais extrêmement conscient du travail que ça allait nécessiter. J’avais une certaine timidité, une réserve, car je suis trop intimement lié à cette musique. »

Pour arrimer sa musique de prédilection à son ADN d’auteur, Corneille a ouvert ses horizons au monde, à tout ce qui a bousculé notre quotidien et nos sociétés depuis la sortie de Parce qu’on aime, en 2019. « J’ai trouvé l’inspiration dans cette actualité chargée émotionnellement, dans cette époque inédite où l’occident n’a jamais été aussi fragile », explique-t-il, évoquant notamment la pandémie et l’échiquier géopolitique mondial qui, dans les derniers mois, est passé d’instable à complètement chaotique. « Je ne voulais pas passer à côté d’une vraie introspection. »

Pour Corneille, ce nouvel album est à prendre comme une main tendue vers l’autre, une tentative de rebâtir les ponts. À l’image de son titre, son écriture évoque l’amour, la passion et la douceur du rose. « C’est important [d’avoir ce genre de discours], car parallèlement à la pandémie et à la crise politique, il y a eu une autre crise ; celle des mots. On était dans le vitriol, dans l’embrasement, et moi-même, je me suis laissé prendre dans ce piège-là, celui de prendre parti. Et plus j’allais dans ce sens-là, moins je me reconnaissais », admet-il. « Je me suis longtemps conforté en me disant que j’avais le dialogue facile… Jusqu’à ce que la pandémie arrive, que [la mort de] George Floyd arrive, que la dénonciation des violences sexuelles arrive… Je me suis rendu compte que j’étais comme tout le monde, que j’avais le jugement facile comme tout le monde. Plus je me laissais aller à ces élans naturellement humains, moins bien je me portais. Je me suis demandé quelle couche j’avais envie d’ajouter. Est-ce qu’on ajoute une couche de colère ? Ou on a envie d’aller ailleurs ? J’ai écrit des mots avec une seule priorité, un seul objectif : créer le dialogue. Et ça, ça passe par la bienveillance. »

« J’ai écrit des mots avec une seule priorité, un seul objectif : créer le dialogue »

Pour en arriver à ces réflexions, le chanteur a pu compter sur sa femme, Sofia de Medeiros. L’actrice, mannequin et parolière québéco-portugaise (avec qui il est marié depuis 16 ans) signe ou cosigne l’ensemble des 10 textes de cet album. « Chaque chanson est une extension d’une conversation que j’ai eue avec Sofia. En fait, la leçon principale que j’ai apprise, c’est qu’on gagnerait à gérer nos sociétés comme on gère un couple », lance-t-il, avant d’expliquer en détail sa comparaison.

« La pire chose qui puisse nous arriver dans un couple, c’est de ne pas être sur la même longueur d’onde. On peut ne pas être d’accord, mais le but, c’est d’aller se coucher en bons termes. Car on a des responsabilités, des intérêts communs. Et quand un couple fonctionne bien, c’est qu’il comprend l’intérêt commun. Dans les dernières années, on a compris que tout ce qui se passe en Chine, en Afrique et maintenant en Ukraine nous concerne. Plus que jamais, la notion d’interdépendance s’applique… De là la recherche de l’intérêt commun. Et de là l’importance de bâtir quelque chose ensemble. Cette leçon de la vie de couple peut s’appliquer partout, dans la vie de tous les jours. C’est un énorme défi, mais il est à la mesure du besoin. »

Si son couple est l’assise des réflexions qui parsèment ses nouvelles chansons, ses enfants sont largement responsables du ton qu’il emprunte. Un ton qui sait se faire optimiste, tout en restant lucide. « Ça, c’est la grande nouveauté dans mon optimisme ! » se félicite-t-il. « En étant père de deux enfants, j’ai plus le pied dans la vraie vie. Mes premiers albums, je les faisais dans l’utopie… Mais là, je dois composer avec une dimension réelle des choses. Et je trouve que l’espoir est plus fort quand il est ancré dans une réalité. »

L’espoir scintille sur plusieurs chansons, notamment les brûlantes Pause, Nouveau monde et Nouveau pouvoir. Mais c’est sur d’autres chansons, qu’on remarque peut-être moins aux premiers abords, qu’il prend un sens plus fort. Clin d’œil à une technique de boxe de Muhammad Ali, qui consiste à rester volontairement dans les câbles afin de laisser l’adversaire se fatiguer en accumulant les coups, Rope-a-dope symbolise « une approche différente de la vie », qui mise sur la résistance plutôt que l’attaque constante et forcément épuisante.

« Au début, on ne comprenait pas [ce que faisait Muhammad Ali], mais on a compris qu’il menait un combat psychologique contre l’autre, en le fatiguant physiquement. Et puis, à la toute fin, il a donné un coup qui a mis un terme au combat. C’est une belle métaphore de la vie : on a parfois l’impression qu’il faut rendre à la vie tous les coups qu’elle nous envoie. Mais des fois, l’idée, c’est d’éviter les coups et [garder notre meilleur] pour le moment opportun. C’est l’idée de faire l’économie de son temps. »

« Faire l’économie de son temps » est également le message qui ressort de Petit pas, chanson que Sofia et Corneille dédient directement à leur fils aîné, maintenant âgé de 12 ans. « C’est venu d’un constat qu’on a fait, Sofia et moi : rien ne va jamais assez vite pour lui. Il veut être arrivé avant d’être arrivé ! Et en tentant de lui montrer que tout n’était pas obligé d’aller aussi vite, on a compris qu’on était en train de nous donner nous-mêmes des leçons. »

« Comme adultes, on est tous pris dans cette culture de la course, autant dans les espaces professionnels que dans ceux plus intimes de nos vies. Mais ce qui est absurde là-dedans, c’est qu’on est en course contre des gens qui n’ont pas la même destination. Beaucoup arrivent à cette destination et ressentent le même vide qu’au début. Ils ont couru tout ce temps-là et ils ne sont même pas contents d’y être arrivés », explique-t-il. « Dans une course de 100 mètres, la destination est la même, c’est la ligne d’arrivée. Dans ce cas-là, ça a du sens d’avoir l’esprit du compétiteur. Mais tout ça est propre au sport… La vie n’est pas un sport de compétition. »

Et Corneille sait de quoi il parle quand il dit que « la vie n’est pas un sport de compétition ». Il l’a appris suite au succès fulgurant de ses deux premiers albums. « C’était en 2005-2006, au peak de ma carrière. Je faisais des arénas combles en Europe, des Zénith, des séries de spectacles à l’Olympia… Et à chaque concert, je me sentais vide. Je rentrais par la suite dans une chambre d’hôtel cinq étoiles et je me disais : ‘’Il me semble que je ne suis pas plus avancé spirituellement, dans mon bien-être, que quand j’étais dans mon appart à Longueuil avant que tout ça démarre…’’ »

« J’ai tellement mis d’efforts dans ma carrière, tellement sacrifié de choses, en me disant : ‘’Une fois que je vais être arrivé à destination, tout va être réglé!’’ Mais non seulement les problèmes ne se sont pas réglés, mais en plus, j’en ai eu des nouveaux ! Car ce n’est pas évident de gérer un succès. Personne ne t’a appris à gérer ça… » confie-t-il. « Mais c’est une leçon qui reste difficile à transmettre, un peu comme ‘’l’argent ne fait pas le bonheur’’. Je le comprends, ce désir qui pousse tout le monde à courir. »

Il le comprend… mais il a choisi de ralentir la cadence, d’y aller à petits pas. C’est un Corneille avec un nouveau pouvoir : celui de la décroissance.