« Ne la laisse pas te dire qu’elle n’est pas une auteure-compositrice », me lance la claviériste et chanteuse Charlotte Command (oui, c’est leur vrai nom de famille) à propos de sa sœur Sarah juste avant de raccrocher. « Elle est une vraiment bonne auteure-compositrice. »

L’élégant duo connu sous le nom de Command Sisters et sous contrat chez 21 Entertainment/Universal (Chris Smith) se produit depuis leur enfance à Edmonton, mais c’est Charlotte qui est devenue obsédée par l’écriture de chansons. Elle dit de Sarah, qui est la guitariste du groupe, qu’elle est la « curatrice des idées ».

« La beauté de notre relation à Sarah et moi c’est qu’on est totalement comme le yin et le yang de notre groupe et de notre carrière. Nos forces sont diamétralement opposées et elles se complètent donc parfaitement », explique Sarah que nous avons interviewée séparément dans la foulée de la parution du premier EP sur un « major » des Command Sisters intitulé Rouge.

« Quand il est question de la création de notre EP », raconte Sarah, « ma sœur avait une chanson ou un riff, et après une fois qu’elle avait écrit le refrain, on avait une blague dans le groupe : Sarah est celle qui écrit tous les “oohs”, donc tous les “hooks” qui impressionnent, et moi je lui disais “Hé, Charlotte, tu devrais mettre ça dans le refrain, ou tu devrais ajouter ça ici. C’est à ce niveau qu’on collabore, après qu’elle ait eu une idée brillante. »

Sarah, de trois ans plus jeune que Charlotte, raconte comment sa sœur a écrit de nombreuses chansons de l’album chez elle, à Toronto, tard dans la nuit, avec les tramways qui passaient, les sirènes qu’on entendait au loin ; c’était très naturel pour elle. Je dois féliciter ma sœur d’avoir la capacité créative de travailler comme ça, seule chez elle », dit-elle. « C’est vraiment cool de voir comment ces chansons sont nées et comment on a tous collaboré pour en faire ce que vous entendez sur l’album. »

Ce « on », c’est essentiellement Charlotte, Sarah et le producteur et auteur-compositeur Tim Pagnotta (Weezer, Blink-182, Ellie King) ainsi que quelques collaborations qui remontent à quelques années déjà : « Trust Myself » (2019), a été coécrite avec Simon Wilcox et Brian Phillips, ainsi que « Lonely Lullaby » (2016), coécrite avec Ian Smith et Fraser TJ McGregor.

« La plupart des chansons de l’album ont été écrites il y a trois ou quatre ans dans notre condo à Toronto », explique Charlotte. « C’était donc très excitant que le label et notre équipe nous soutiennent autant et aiment notre musique. »

« Après, Tim a ajouté sa touche magique au niveau de la production. C’est merveilleux de voir ce qu’il fait avec notre matériel. Tim a coécrit certaines des plus grandes chansons alternatives de la dernière décennie, comme “It Started With A Whisper” [‘Everybody Talks (It Started With A Whisper)’ par Neon Trees]. Bref, c’était vraiment génial de travailler avec lui et je veux vraiment retravailler avec lui éventuellement. »

Six des huit chansons de Rouge – un amalgame aussi cool qu’amusant de pop rock indie sombre – ont été enregistrées au cours de l’été 2019 à Los Angeles avec Pagnotta, mais lorsque Command Sisters est retourné à L.A. au début de 2020 pour quelques soirées en marge des Oscars, elles sont allées en studio avec le producteur et coauteur Michael MacAllister pour enregistrer « Feel Good », une création de dernière minute pour un placement de synchro. Plus tard, durant le confinement, elles ont ajouté « Rain On My Parade », une chanson aussi drôle qu’elle est sinistre qui se moque de la pandémie produite et coécrite par Andrew Martino.

 “Ça nous a pris un certain temps avant de trouver notre son au fil des ans” – Charlotte Command

Plusieurs de ces chansons ont d’abord été lancées durant ledit confinement en commençant par « I Like It » en juillet 2020. Les simples les plus récents sont une pièce rock inhabituellement positive intitulée « Feel Good » – leur première chanson à la radio, selon Charlotte – et « Trust Myself », avec sa « vibe » inspirée de Billie Eilish et pour laquelle elles ont récemment tourné un vidéoclip.

« Ça nous a pris un certain temps avant de trouver notre son au fil des ans après avoir fait nos débuts dans le country pour nous diriger dans une direction complètement pop pour finalement trouver un juste milieu alt-pop avec des instrumentations très solides », explique Charlotte. « Je pense que ç’a vraiment cliqué pour nous quand on a accepté nos racines country et qu’on les a combinées à des éléments pop qu’on aimait beaucoup. »

Charlotte a toujours été très créative, d’aussi loin qu’elle se souvient : elle a toujours aimé dessiner et écrire des histoires et des poèmes et, éventuellement, elle a appris à jouer de la guitare. « Quand on était jeunes, moi j’avais 9 et Sarah 12, on chantait des chansons country au karaoké dans des petits festivals », se souvient Charlotte. « Maman nous mettait en garde de ne pas chanter des chansons trop “adulte”. »

« C’est là que j’ai eu envie de mettre mes poèmes en chanson et une fois que j’ai su jouer de la guitare et que j’étais de plus en plus à l’aise au piano, je pouvais jouer autre chose que de la musique classique et j’ai réalisé que je pouvais jouer des accords pour m’accompagner. C’est là que c’est devenu une véritable obsession pour moi. Je venais de découvrir une nouvelle façon de m’exprimer. Après, Sarah s’est dit que maintenant que j’écrivais des chansons, elle pourrait apprendre à chanter en harmonie et tout d’un coup, nous étions un groupe », poursuit Charlotte.

Il y a une dizaine d’années, les ados se sont rendues à Nashville pour travailler avec David Malloy, le coauteur du classique d’Eddie Rabbit « I Love A Rainy Night » et de plusieurs autres #1 qui avait offert un contrat d’édition et de production (échu depuis longtemps) aux jeunes femmes. « Ç’a vraiment été mon mentor. C’est presque surréaliste, maintenant, quand je pense qu’il me disait “Charlotte, t’es une très bonne auteure-compositrice”. Il me faisait une suggestion puis s’en allait pour me laisser faire mon truc à moi. C’est sans aucun doute la personne qui m’a appris autant à propos de l’écriture de chansons et qui m’a donné la confiance de poursuivre dans cette voie. »

Quand Command Sisters s’est installé à Toronto en 2016, les collaborations sont devenues de plus en plus nombreuses, mais Charlotte admet volontiers qu’elle se sent plus à l’aise quand elle travaille seule. « Je me sens vraiment à l’aise et libre quand je suis seule avec mes pensées », dit-elle. « N’empêche, j’adore la co-écriture. Ça te donne accès à tellement plus d’expérience et d’inspiration quand il y a plusieurs personnes avec leurs histoires et leurs talents respectifs autour de toi. En plus, la coécriture accélère le processus, parce que quand je suis seule, je prends vraiment tout mon temps. »

« Moi, j’exprime mes émotions et mes sentiments avec des solos de guitare. Mettre les mots de ma sœur en musique est vraiment ce qui m’inspire quand il est question de composition. Comme je disais, c’est vraiment cool que Charlotte et moi on soit passionnées par deux trucs complètement différents et totalement complémentaires, et c’est pour ça que c’est génial de former un duo avec elle et toutes ses idées merveilleuses. Après, quand on est sur scène, c’est vraiment le fun d’y aller d’un solo de guitare par-ci par-là. »



Lou-Adrianne CassidyAu matin de la parution de son deuxième album, Lou-Adriane Cassidy publiait sur les réseaux sociaux une liste des apprentissages qu’elle aura tirés de la création de Lou-Adriane Cassidy vous dit: Bonsoir. Parmi ceux-ci: « On peut toute faire dans le fond. » Puisque nous l’avons au bout du fil cet avant-midi-là, nous l’invitons à élaborer.

« J’étais avec Thierry Larose et Al [Alexandre Martel, le coréalisateur de l’album et, par ailleurs, son amoureux]. On travaillait sur une nouvelle chanson de Thierry. On avait fait une microdose de LSD et dans mon trip, j’avais écrit dans mon cell : On peut toute faire dans le fond. Je ressentais ça au plus profond de mon âme. Après, c’est comme devenu un leitmotiv pour le disque au complet. »

Son premier album, C’est la fin du monde à tous les jours (2019), était largement imprégné d’une conception du travail chansonnier davantage associée à la tradition des grandes interprètes à laquelle sa mère (Paule-Andrée Cassidy) appartient, qu’à celle de la liberté échevelée du rock. Parmi les autres apprentissages de l’autrice-compositrice, énumérée dans cette liste susmentionnée: « J’ai appris à être fière de moi. » Pas le moindre des aveux.

« C’est comme si j’avais toujours senti que ce que je faisais n’était pas en adéquation avec qui j’étais. Je me disais: ce n’est pas nécessairement grave, ton art n’est pas censé représenter l’entièreté de ce que tu es. Mais j’étais tout le temps inconfortable avec l’image que je dégageais et ce que j’avais l’impression d’être dans ma vie. » Pas étonnant que ce grisant deuxième album nous fasse le même effet qu’une euphorisante première rencontre.

 

Hubert Lenoir, dont elle a été la choriste, aura été pour elle un lumineux exemple d’artiste refusant d’être autre chose qu’entièrement lui-même, en toutes circonstances. « Un jour sur deux, je doute encore, pis je me trouve poche », précise-t-elle en riant, comme pour ne pas laisser entendre qu’elle connaît désormais tous les secrets du zen et de l’amour-propre, « mais j’ai cette certitude d’être allée au bout de ce que je voulais. J’ai compris que dans la création, ça se pouvait être fière de soi. »

Quelque part entre le soft rock des années 1970 (une référence chère à Alexandre Martel) et l’élégante gouaille d’Exile in Guyville de Liz Phair, Lou-Adriane Cassidy vous dit: Bonsoir brille non seulement grâce au bon goût et à la maîtrise de ses références, mais aussi grâce à cette sagesse rare consistant à ne pas faire durer une chanson juste pour la faire durer. « Mais ce n’est pas parce que les chansons sont courtes que ce sont des coïts interrompus », blague la chanteuse, en filant la métaphore sexuelle, vaste thème irriguant tout l’album.

Un sujet certes casse-cou, que Lou-Adriane embrasse avec cette juste conjugaison de limpidité et d’impressionnisme lui permettant (ainsi qu’à son partenaire d’écriture Alexandre Martel, encore lui) d’éviter les navrantes métaphores avec lesquelles la chose est souvent nommée. La capacité d’un homme à ne pas jouir trop vite a-t-elle déjà été célébrée de façon plus jolie que dans la ligne « Je sais que tu sais m’attendre avant d’arriver »?

 « Ça a tout le temps été un équilibre [entre flou et clarté] que j’essayais d’atteindre », dit-elle, en précisant qu’elle s’est même autorisée à écrire des textes dont le sens ne lui est apparu qu’a posteriori. J’espère encore que quelque part l’attente s’arrête, qui ouvre l’album avec la vigueur d’une ligne de guitare superbement incisive et la grâce faussement nonchalante d’une voix qui semble pouvoir tout accomplir ? Ce n’est que tout récemment que Lou-Adriane a compris que la chanson parle de l’orgasme.

« Avant, quand j’écrivais toute seule, c’était vraiment désagréable. Je n’arrivais jamais à être satisfaite. Souvent, j’abandonnais, je me disais: ça va être ça, juste parce que j’étais tannée. »

« C’est important qu’il y ait des jokes sur un album », lui a souvent répété Martel, un credo à entendre comme un rappel: c’est peut-être lorsqu’on se prend le moins au sérieux que les idées les plus fécondes émergent. « Prends-moi… pas pour une conne », chante ainsi Lou-Adriane, en assumant pleinement le jeu de mots, dans Entre mes jambes. « Tous les clins d’œil comme celui-là, je ne me les serais pas permis toute seule, parce que j’aurais trouvé ça lame. Avoir quelqu’un qui me dit « Non, il y a quelque chose là-dedans, creuse encore », ç’a été super nourrissant. »

« C’est le fun ou quoi ? », l’entend-on lancer à la toute fin de Je suis arrivée, une question accueillie par le rire d’un enfant, nommément de la fille d’Alexandre Martel, Odile, que Lou-Adriane avait fait monter sur son dos le temps d’enregistrer une piste de voix, alors que la gamine s’impatientait au terme d’une longue journée de studio. C’est le fun ou quoi ? : cette question deviendra comme un modus operandi. Constat: le plaisir que l’on prend à créer quelque chose est sans doute le seul élément sur lequel il est possible d’exercer du contrôle. Écrivons-le encore plus simplement: le fun, c’est le fun.

« Il faut apprendre à être doux avec soi-même, à mettre moins de pression sur ce qu’on crée, se répéter que ce n’est pas grave de se tromper, pense Lou-Adriane. Il faut  davantage reconnaître ses forces: quand on est bon dans quelque chose, quand ça nous semble facile, on a parfois tendance à accorder moins de valeur à cette chose-là. Mais en création, rien n’est un gage de qualité. Que tu aies écrit une chanson en six minutes ou en deux ans, ça ne veut rien dire. Oui, il faut avoir de l’ambition, de la rigueur, vouloir repousser ses limites, mais au bout du compte, on a tellement pas le contrôle sur ce que ça va donner. Mais on a le contrôle sur comment on va vivre ce processus-là. »



Dans un monde idéal, Jay Scøtt aurait continué de sortir des chansons sur sa chaîne YouTube, sans penser tout de suite à un premier album.

« Mais malheureusement, l’industrie fonctionne pas comme ça. J’aurais jamais pu mettre mon pied dans place avec juste des singles », soutient l’auteur-compositeur-interprète, derrière deux des chansons les plus populaires sur les radios commerciales ces temps-ci (Broken et Copilote, en duo avec FouKi).

Jay ScottDevant ce succès inespéré, l’artiste de 32 ans a cru bon réunir les meilleures chansons qu’il a enregistrées dans les deux dernières années sur Ses plus grands succès, un album aux allures de compilation. Des chansons essentiellement folk pop captées de manière minimale – parfois avec juste un micro au milieu de son appartement à Terrebonne – qu’il avait sorties au compte-goutte sur internet, sans même imaginer qu’elles lui ouvriraient, un jour, les grandes portes des radios. « J’ai pas conceptualisé ça comme un vrai album. Mais ça reste un premier album qui sort professionnellement. Enregistré avec tous les moyens du bord », image-t-il.

Pour un gars issu du milieu hip-hop, cette première parution officielle sous une maison de disques (117 Records, maison-sœur de Disques 7ième Ciel) a de quoi surprendre.

Révélé il y a près d’une décennie sous le pseudonyme de PL3, Jay Scøtt a également fait sa marque sur les radios de campus aux côtés de son allié Smitty Bacalley et au sein du groupe rap satirique (lire : vulgaire) Les Drogues Fortes. « C’est drôle parce qu’avant, j’utilisais beaucoup l’Auto-Tune. Et là, quand j’ai vu que tout le monde l’utilisait [au Québec], j’ai décidé d’arrêter… Et c’est depuis ce temps-là que ça a commencé à marcher, mes affaires ! » se réjouit-il, en riant.

Même si la guitare et le piano ont pris la place de l’Auto-Tune et des séquenceurs, Ses plus grands succès n’évacue pas pour autant les racines rap de Jay Scøtt. Autant inspiré par la vague emo hardcore des années 2000 que par le rap québ post-4,99 d’Alaclair Ensemble (un album qui a changé sa façon de voir la musique), le chanteur, rappeur et multi-instrumentiste garde son flow nasillard rapide et mélodieux, tout en multipliant les punchlines, les rimes multisyllabiques et les références à la culture populaire, trois éléments de base de l’écriture rap.

« Ce que j’écris, je considère ça comme du rap au niveau technique. Y’a rien qui a changé dans ma technique d’écriture », dit celui qui fait notamment référence à Limp Bizkit, Nirvana et Sans Pression, trois groupes qui incarnent bien sa génération, dans ses chansons. « Les gens se reconnaissent à travers des références [comme ça]. Ça leur permet de se retrouver dans ma musique. »

L’esthétique dépouillée de l’album permet aussi une connexion plus grande avec les textes de l’artiste, qui dévoilent comme jamais sa grande vulnérabilité. Au centre des thèmes du disque, la rupture amoureuse retentit avec un profond désarroi, mais aussi avec une résilience latente qui se révèle de manière plus franche de temps à autre (sur 42 Long notamment). L’inspiration pour ces petites histoires ne vient pas entièrement de son vécu : « Quand j’ai commencé à écrire les chansons, j’ai commencé à travailler de nuit dans un centre d’hébergement de crise en santé mentale. Y a beaucoup de chansons deep qui viennent d’histoires que j’ai entendues là-bas. Des histoires de rupture, de violence conjugale… J’arrivais chez nous, et ça m’inspirait. »

Jay Scøtt raconte aussi son dégoût de la routine et ses envies de liberté dans ses chansons. Et pour ça, il n’a pas eu besoin d’aller chercher l’inspiration bien loin. « Ça, c’est 100% moi. Chaque fois que je me levais pour aller travailler, j’en revenais pas… J’en revenais pas de devoir travailler 50 heures par semaine pour quelqu’un d’autre, histoire d’avoir des petits jours de congé. Jours durant lesquels tu dois faire ton ménage, tes repas… Bref, t’as jamais de temps pour toi ! » expose celui qui a multiplié les jobines dans sa vie en parallèle à son désir de percer dans la musique. « Mais là, ma vie a complètement switch. Je suis mon propre boss. Et c’est juste de ma faute si jamais mes affaires marchent pas. »

Pour l’instant, l’artiste connait les plus beaux moments de sa carrière, mais il est conscient que rien n’est gagné d’avance. « Ça me sert à rien de stresser avec ça. Je veux pas calculer mes moves. Ce que j’aime, c’est faire mes chansons et m’enregistrer chez nous. Tout le reste, c’est moins l’fun pour moi », admet-il. « Avec le temps, j’ai appris à me dire : une fois que je sors mes chansons, elles ne m’appartiennent plus. C’est pas moi qui décide si c’est un succès ou pas. Tu peux juste être déçu quand tu te mets cette pression-là sur les épaules. »