Philemon CimonBeau Dommage a chanté Montréal. Richard Desjardins, l’Abitibi. Dédé son Lac – et Plume Jonquière, en s’excusant -, même Trenet a chanté Québec. Curieusement, avant Philémon Cimon, personne n’avait autant chanté la plus belle région du Québec, Charlevoix, « où j’ai passé tous mes étés, plus jeune », confie-t-il. Où sa grand-mère Lucile résidait, grand-mère dont on entend la voix sur l’album Pays, disque de racines dont l’écriture et l’enregistrement fut abordé de manière quasi ethnographique.

La belle région de Charlevoix n’a toutefois pas été oubliée dans notre mémoire culturelle, relève l’auteur, compositeur et interprète. « Je crois juste qu’elle a été « chantée » différemment. Menaud, maître draveur, ça se passe à Charlevoix. Dans notre littérature, beaucoup d’événements se déroulent dans cette région : Angéline de Montbrun de Laure Conan se passe dans une espèce de lieu imaginaire, mais associé à Charlevoix puisqu’elle est originaire de La Malbaie. Puis y’a [le cinéaste] Pierre Perreault! »

Donc, poursuit l’intarissable Cimon, « c’est curieux, y’a pas vraiment de chansons devenues populaires qui évoquent Charlevoix, mais quand [l’anthropologue et folkloriste] Marius Barbeau a fait de l’ethnographie dans les années 1910, il s’est d’abord rendu aux Éboulements où il a recueilli cinq cents chansons – pas seulement des chansons traditionnelles uniquement chantées dans Charlevoix, mais certaines qui en sont originaires. C’est très étrange, la région est importante dans notre folklore, mais dans le présent, y’avait rien. »

Ce à quoi remédie Cimon avec Pays, son quatrième album paru à compte d’auteur. Un curieux album, enregistré live dans l’église de Saint-Joseph-de-la-Rive sur ruban quatre pistes. On entend le cillement du ruban magnétique emplir les silences entre les notes de guitares et de piano, entre les voix conjuguées de Cimon et d’Adèle Trottier et Josianne Boivin. On entend les bruits du village, son train panoramique qui passe à proximité, on entend des fausses notes, des rires et des bribes de conversations volées à la spontanéité du moment.

C’est Cimon qui fait du Perreault, « ma plus grosse inspiration pour cet album ». Le musicien se fait l’apôtre du légendaire réalisateur de Pour la suite du monde, créateur du cinéma direct ayant eu une influence déterminante sur la Nouvelle Vague : « Je me reconnais beaucoup dans la démarche de Perreault ». Ainsi, Philémon a fait de Pays une forme de « musique directe » avec ses chansons écrites à Montréal, mais destinées à être enregistrées dans ce pays qu’il cherche à nommer, pour paraphraser l’auteur (la chanson Les Pommiers envahis).

Ainsi, la démarche, l’enregistrement de ce répertoire est intrinsèquement lié à l’écriture et à la composition de celui-ci, comme si ces chansons ne pouvaient exister que dans cet écrin intime et imparfait. Enregistrer ainsi, « c’est vivre une expérience qui va au-delà de la musique même. En bout de ligne, la chanson devient au service de l’expérience, et ce qu’on enregistre, ce n’est plus de la musique, c’est la vie, comme disait Perreault ».

Une expérience qui trouve son sens dans une quête d’identité, la sienne et celle de son pays. « Premièrement, mon pays, ce n’est pas juste Charlevoix », tient à préciser Philémon Cimon, né à Limoilou. « C’est toute une recherche qui m’a menée à passer par Charlevoix. Au fond, mon pays, c’est mon rapport à mes racines. C’est un pays intime, affectif, qui passe nécessairement par Charlevoix parce que quand j’étais petit, j’ai vu énormément de beau là-bas. Un grand terrain de jeu, un grand terrain d’émerveillement, surtout. »

Son pays n’est pas politique, ajoute-t-il. Ni physique, indéfini par les frontières, « passée Baie-Sainte-Catherine, c’est encore mon pays. À Tadoussac, on est en dehors de Charlevoix, pourtant je me sens encore chez moi. Mon pays est lié à la recherche de qui je suis, et j’ai donc fouillé jusque dans mon enfance, et tout d’un coup, je suis allé au-delà de l’enfance, parce qu’une ce chemin-là fait [dans ma recherche], j’ai eu envie de remonter encore plus loin pour voir s’il n’y avait pas quelque chose d’intéressant. »

Ce que Philémon a trouvé l’a inspiré. L’histoire, la sienne, la nôtre. « Jusqu’à Jacques Cartier, qui s’est promené par tout, lui d’origine bretonne. Ça va jusqu’aux Premières Nations, évidemment », évoquées sur la chanson qui ouvre le disque, Charlevoix ventre infini : « Domagaya volé /Taignoagny volé /Stadaconé volé /Oshelaga volé… »