Confrontée à la chute de la vente d’albums, l’industrie de la musique a dû s’adapter en diversifiant ses sources de revenus. Depuis quelques années, l’une d’entre elles s’est considérablement accrue : la synchronisation des œuvres enregistrées pour utilisation dans les séries télévisées, au cinéma et dans les campagnes publicitaires, une activité économique qui implique directement l’auteur-compositeur et son allié, l’éditeur musical. Et, d’une certaine manière, le fan, qui a parfois fait preuve d’hostilité à l’endroit des musiciens acceptant de « vendre » une de leurs chansons pour faire la promotion d’un produit dans une publicité. État des lieux.
« On le sait, on se le dit dans l’industrie : l’argent circule beaucoup via la synchronisation » des œuvres musicales enregistrées, affirme Patrick Curley, président et directeur juridique de Third Side Music, maison d’édition fondée en 2005 et qui gère aujourd’hui un catalogue de plus de 40 000 titres, dont ceux d’un bon nombre d’artistes québécois, Malajube, Radio Radio, Lisa Leblanc, Champion et Groenland, pour ne nommer qu’eux.
L’éditeur québécois est aujourd’hui en pleine expansion. Avec plus d’une quinzaine d’employés et un bureau à Los Angeles, Third Side Music fait partie de la « courte liste » des éditeurs vers qui se tournent les producteurs audiovisuels (pub, télé, cinéma) américains à la recherche de la chanson idéale. Grâce à son antenne californienne, l’éditeur est rapidement mis au courant des productions audiovisuelles en cours et de leurs besoins musicaux; une liste est ensuite dressée à l’endroit des « music supervisors » qui assurent la direction musicale desdites productions.
Et ça marche : Third Side Music peut « placer » entre 50 et 100 chansons par mois dans différentes productions, principalement aux États-Unis, un marché qui représente près de 70% de son chiffre d’affaires. « Nos profits sont en croissance chaque année », ainsi que les redevances aux créateurs, dit son président, qui surfe sur une vague transportant toute l’industrie.
Pour l’année 2014, la Fédération internationale de l’Industrie phonographique (IFPI) mesurait dans le monde une augmentation moyenne des revenus tirés de la synchronisation de 8,4% , certains marchés ayant davantage profité de la manne – en France, par exemple, l’augmentation pour 2014 est de 46,4%! Les revenus tirés de la synchronisation représentent ainsi 2% des revenus de l’industrie de la musique mondiale.
« C’est sûr que j’ai réfléchi longtemps avant d’accepter que ma chanson serve à une publicité » – Patrice Michaud
L’industrie canadienne semble aussi profiter de cette croissance. Les plus récentes données fournies par la SODRAC indiquent que, pour l’année 2013, les perceptions pour « la 1ere intégration (synchronisation) des œuvres aux productions télévisuelles et aux vidéoclips ont progressé pour atteindre 701 852$, alors qu’elles totalisaient 579 856$ en 2012 ».
Les exemples québécois venant appuyer cette croissance sont faciles à trouver lorsqu’on allume le téléviseur. Ces dernières années, Radio Radio (Télus) ou encore Misteur Valaire (Vidéotron) ont accompagné les images crées par les publicitaires. Patrick Watson a vu sa chanson The Great Escape être utilisée dans un épisode de la populaire série Dre Grey, leçons d’anatomie, puis dans une campagne publicitaire pour les jus Tropicana.
De son côté, l’auteur-compositeur-interprète Patrice Michaud a accompli un véritable exploit : sa chanson Mécaniques générales fut coup sur coup utilisée par Pepsi pour une campagne publicitaire, puis par Honda. « La chanson avait quand même beaucoup tourné à la radio il y a un an, et ça, c’était important pour moi, explique le musicien. Elle avait presque terminé son cycle de vie lorsqu’on l’a demandée pour la publicité télé » qui représente ainsi une forme d’alternative à la diffusion radiophonique en accordant beaucoup de temps d’antenne aux heureux élus de la musique publicitaire.
Dans le cas de Patrice Michaud – qui est son propre éditeur, mais qui confie la gestion de son catalogue à des professionnels – on peut dire que la chance lui a souri : jamais n’a-t-il eu à faire des démarches pour proposer ses chansons aux publicitaires. Ce sont eux qui l’ont contacté avec l’intention précise d’utiliser Mécaniques générales.
Le procédé serait « assez rare », selon l’éditeur Patrick Curley : « Généralement, c’est le travail de l’éditeur de suggérer des chansons selon les besoins spécifiques des productions audiovisuelles. » Par exemple, c’est Third Side Music qui a « placé » la chanson « Our Hearts Like Gold » du groupe Groenland dans une publicité pour le dernier modèle de l’iPad d’Apple. Une publicité vantant les capacités de production et d’édition vidéo de l’appareil, réalisée par Martin Scorsese et diffusée en primeur pendant la cérémonie des Oscars en février dernier.
« Nous maintenons une bonne relation avec la boîte de production qui assure toutes les publicités d’Apple, résume Curley. Nous avions dressé une liste d’une dizaine de chansons qui aurait pu servir à leur concept, et c’est eux qui ont fait le choix. Nous sommes très fiers de ce coup-là! »
« Placer » une chanson dans une publicité peut cependant être une opération risquée. En 2006, lorsque Malajube a accordé aux publicitaires de Zellers le droit d’utiliser Ton plat favori dans sa campagne, les musiciens avaient dû se défendre devant des fans courroucés . En 2011, ce fut au tour de Karkwa de devoir répondre à ses détracteurs lorsque sa chanson « Pyromanes » fut entendue dans une campagne publicitaire de Coca-Cola.
« C’est sûr que j’ai réfléchi longtemps avant d’accepter que ma chanson serve à une publicité, concède Patrice Michaud. Pour moi, c’est une chanson pop d’amour, un vers d’oreille, je ne vois pas de contradiction avec l’idée qu’elle puisse servir dans une publicité. Au final, tout ça a eu un impact certain sur les ventes d’album et sur les ventes de places de spectacles. Beaucoup de gens ont découvert la chanson grâce à ces publicités. Après, la question que je me pose, c’est : qu’adviendra-t-il de cette chanson ? Est-ce que les gens seront tannés de l’entendre ? En tous cas, une chose est certaine : elle ne pourra plus servir dans une autre publicité. »