« Définitivement heureux », dit Junia-T au sujet de sa présence sur la courte liste (10 finalistes) de l’édition 2020 du prestigieux Prix de musique Polaris. Le polyvalent producteur audionumérique, ingénieur, auteur-compositeur et MC a célébré avec un verre de champagne et entouré de quelques amis l’annonce faite par CBC Music que son album Studio Monk était ainsi salué.

Il faut dire que c’est son approche collective qui a assuré le succès de l’album de 13 chansons. On y retrouve des collègues de renom comme Jessie Reyez, River Tiber et Sean Leon, des apparitions par les chanteuses torontoises Faiza et STORRY et des contributions d’artistes américains — Elijah Dax, Miloh Smith — et britanniques — Benjamin A.D. — qui, tous ensemble, ont créé un tout cohérent assuré par le processus de création méthodique de Junia-T.

L’enregistrement de Studio Monk est arrivé presque dix ans dans le parcours professionnel de Junia-T dont le processus créatif fait par ailleurs l’objet d’un nouveau mini-documentaire. À l’aide d’images datant de ses débuts, notamment lorsqu’il a eu la chance de visiter le légendaire Tuff Gong Studios de Bob Marley, jusqu’aux « jam sessions » où tout pouvait arriver du studio Flock House à Chattanooga, au Tennessee, on comprend rapidement que l’approche collaborative est le fil d’Ariane de sa carrière.

Il a peaufiné cette méthode en 2017 lorsqu’il a participé à une session sur invitation seulement au Riot Club de Los Angeles qui visait à réunir des artistes ayant la même vision et qui, autrement, ne parviennent jamais à travailler ensemble en raison de leurs horaires respectifs. Un bon exemple de cette approche très relax est celui de la participation de sa collègue de longue date Jessie Reyez (il est le MC et DJ de Reyez en tournée) qui a eu lieu au moment même ou le simple « Figures » de la chanteuse commençait à générer beaucoup d’intérêt.

« Elle est arrivée chez moi, il devait être deux heures du matin », raconte Junia-T. « Je suis allongé sur un “bean bag” pour m’étirer le dos. Je suis là, sur le plancher de mon salon et Jessie entre comme si de rien n’était et me regarde en disant “Yo, Junia ? T’es mort ?” Je lui réponds que je suis encore vivant et elle me lance, “alors, t’es prêt à cuisiner ou quoi ?” »

À 7 h du matin, la paire avait pratiquement terminé ce qui allait devenir les pièces « Sad Face Emojis » et « Complicated », le duo avec Adam Bomb (de Freedom Writers et Natural Born Strangers), une autre des pièces de Studio Monk. Énergisé par cette expérience, il a vite compris qu’il devait recréer cet environnement créatif pour créer la meilleure musique possible. Quand Pirates Blend lui a offert un contrat de disques, il a fait inclure à l’entente qu’il devait avoir accès à un studio.

« Je devais avoir un studio où créer, parce que je savais que j’y passerais tellement de temps », dit-il. « Tu vois, si je dois stresser parce que j’ai besoin d’argent pour louer un endroit, je ne parviendrai pas à être créatif. Ce fut une sensation très libératrice d’avoir ce studio à L.A. où tout ce que j’avais à faire, c’était d’inviter les gens. Et je n’avais pas à les presser de partir parce que le temps était compté… c’est à ce moment que la musique est devenue vraiment bonne.

« Tout ce que j’avais à faire, c’était d’inviter les gens, et je n’avais pas à les presser de partir »

Fort de cet espace créatif dans ce qui était auparavant The Hive (et qui aujourd’hui se nomme Soleil Sound), Junia-T s’est assuré que son approche créative soit constante. Cela signifiait souvent de discuter en partageant un repas pendant quelques heures. « Des fois ça prenait quatre heures pour faire une chanson, d’autres fois huit », dit-il. « Mais ce n’était pas nécessairement huit heures de travail acharné sur des chansons, c’était quatre heures pour apprendre à se connaître et juste être nous-mêmes, et la partie musicale allait très vite ensuite… »

La chanteuse Faiza, qui participe à trois de 13 titres de Studio Monk, a d’abord connecté avec Junia-T en studio après un séjour créatif à Atlanta qui l’a laissée sur sa faim. À peine 30 minutes après son arrivée, ils avaient déjà complété la pièce « Make It », et pour Faiza, c’était une toute nouvelle façon de travailler. « Il aime beaucoup que ses invités aillent dans la cabine d’enregistrement sans nécessairement avoir de texte ou du moins sans passer une tonne de temps à écrire quelque chose ou à trop y réfléchir », dit-elle. « Il n’a aucun intérêt à faire un million de prises, c’est habituellement dans les quelques premières prises qu’il trouve ce qu’il cherche. »

“Il m’a aidé à surmonter certaines de mes embûches en tant qu’auteure-compositrice, parce que jusqu’à ce moment, j’essayais vraiment de me conformer à un moule. J’avais l’impression qu’on ne me voyait pas, qu’on ne m’entendait pas, mais la musique qu’on a créée ensemble m’a fait sentir que j’étais vraiment moi-même.” C’est cette attitude que Faiza a insufflée dans « Puzzles », une chanson qui raconte sans réserve son expérience de femme noire dans un véritable tour de force d’écriture. Faiza raconte que « les mots sortaient tout seuls » et Junia-T, fidèle à lui-même, a tout capté en une seule prise.

À l’instar de « Know Better », « Ooo Wee », « Thinking Over » et « Home Team », « Puzzles » a également eu droit à son propre vidéoclip. Réalisé par Dan LeMoyne (The Weeknd, k-os, Diplo), on y voit Faiza déambuler dans les rues désertes de Toronto telle une figure mystique, évoquant le confinement qui est notre lot pour la majeure partie de 2020.

La perspective de Junia-T sur la signification plus élargie de la chanson le ramène à la vision globale de Studio Monk, c’est-à-dire qu’il se voit comme un membre d’une équipe. « C’est ma responsabilité d’être là pour soutenir ma sœur et ce message – et pas simplement parce que c’est ma sœur, mais parce que je partage les mêmes convictions », dit Junia-T. « Je suis honoré d’y contribuer et de soutenir ce message. »