Francophones de leur état, Matt Lang et Laurie LeBlanc lorgnent le Klondike du country en se risquant à des albums dans la langue de Shania. Une offensive de charme destinée au reste du Canada et au vaste monde.

Ils n’abordent pas la musique et l’amour de la même manière, mais ces deux membres SOCAN sont animés par les mêmes choses. Les mêmes visées, surtout. Le Québécois Matt Lang n’en est pas à son premier fait d’armes en anglais. Son opus précédent, un EP homonyme, s’est même faufilé jusqu’à la pôle position du top country national sur Apple Music.

L’Acadien Laurie LeBlanc, lui, n’avait jamais tenté sa chance dans sa seconde langue avant la sortie du simple The Bigger The Better. Un morceau offert par l’Irlandais Don Mescall, son nouveau pote croisé au détour d’un congrès de danse et de musique country en France. Comme si tous les chemins menaient à l’anglais. Comme si, pour Laurie, il en allait d’une fatalité.

« Je viens de Cap Pelé, on a déménagé à Bouctouche quand j’avais dix ans. Ici, le monde aime tellement le country ! Dans ma jeunesse, mes parents et mes grands-parents écoutaient du Charley Pride, du Kenny Rogers, des chanteurs de leur génération. Moi c’est plutôt ceux des années 90 qui m’ont influencé. C’est les débuts de Alan Jackson, puis de Zac Brown et tous les autres. C’est sûr que j’ai commencé en écoutant des chansons en anglais. »

Matt Lang, ou Mathieu Langevin pour ceux qui sont allés à l’école avec lui à Maniwaki, a aussi grandi en écoutant l’offre musicale de nos voisins du Sud. Son truc à lui, c’est le new country, le son actuel du Tennessee. Pourtant, à son arrivée à Nashville en 2018, le gaillard de la Vallée-de-la-Gatineau ne parlait pas un traître mot d’anglais.

« Au début, c’était quand même difficile. Je n’étais pas bon en anglais, genre vraiment pas. J’avais une base, j’ai quand même été élevé proche d’une réserve indienne et j’avais des chums qui parlaient anglais. Mais je ne sais pas, c’était peut-être de la gêne… En tout cas, j’ai vraiment appris mon anglais en allant rester à Nashville. C’est sûr qu’aujourd’hui, quand je parle, j’ai un accent. Quand je chante, par contre, je sais qu’il n’est pas vraiment là. C’était beaucoup de travail, j’ai quand même eu trois coachs pour le vocal et la prononciation. Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain ! »

Une autre version de soi-même

Laurie LeBlanc

Laurie LeBlanc

Préalablement à l’enregistrement des chansons pour When It’s Right It’s Right, Laurie LeBlanc s’est fait connaître avec Moi itou Mojito et une poignée d’autres ritournelles savoureusement pince-sans-rire. Or, en anglais, les mots que le Néo-Brunswickois se met en bouche sont plus sérieux. Ses paroles se font graves, posées et même romantiques. Sur Another Night Like This, il implore sa nouvelle flamme de le revoir, de donner suite à leur première date. Sur The Bigger The Better, le personnage auquel il prête sa voix vit une rupture et part noyer sa peine au bar. On ne lui connaissait pas ce goût du drame.

« Sans dire que Don Mescall écrit d’une manière plus sombre, sa plume est moins festive que la mienne, mais j’aime ce que ça donne. […] Honnêtement, je dois aussi dire que ce premier album en anglais mélange plein d’influences du country pop et peut-être du country rock. On a discuté moi et mon réalisateur Jason Barry… Peut-être que je recherche aussi mon son anglophone. En français, j’ai mon son depuis un album ou deux. »

Modeste comme peu d’autres, Laurie LeBlanc ne se coupe pas de ses rêves pour autant. Ambition et prétention ne cohabitent pas toujours au cœur d’un homme. Et la plage 1 traite, justement, des opportunités que le musicien s’efforce de saisir.

À l’instar de son collègue des Maritimes, Matt Lang met cartes sur tables et dès le premier titre, dès les premières mesures de More, la chanson titre. Avide de succès, ses quêtes le consument et il n’hésite pas à défoncer des portes. « Je le dis très humblement, je ne suis pas un gars qui se pète les bretelles dans la vie, mais honnêtement, je pense que je suis quelqu’un qui a beaucoup de drive. On dirait que je ne suis pas capable de rester chez nous et de ne rien faire. Je ne suis pas capable d’attendre les coups de téléphone. Je crée mes propres opportunités, mais tout en respectant le monde, par exemple. Je suis un gars d’équipe, je l’ai toujours été. »

Ne pas oublier d’où on vient

Matt Lang

Matt Lang

Ce n’est pas parce qu’ils osent un rapprochement avec le ROC que Laurie LeBlanc et Matt Lang renient leur vraie nature. L’authenticité est une valeur chère au country, une des composantes principales de ce genre musical et les deux gars ne s’y refusent pas. Bien au contraire. Avec Belle of the Ball et All In, LeBlanc saupoudre les arrangements de violon frétillant, des reels emblématiques du Pays de la Sagouine.

Le Maniwakien, de son côté, évoque l’éloignement géographique de son patelin dans les textes de Getcha (un genre fantasme de mécanicien en bordure d’une route isolée) et Better When I Drink. La ville, plutôt qu’un idéal de vie au quotidien, est synonyme d’occasions spéciales, de fêtes bien arrosées. Dans la carrière et la prose de Lang, cette dualité entre milieux citadins et ruraux s’impose comme une préoccupation constante.

« Tous les réseaux de télé au Québec sont à Montréal. Quand on vient de loin, de la Gaspésie, de l’Abitibi ou peu importe, on dirait que le rêve est comme plus ou moins atteignable. Quand tu viens d’une région, tu sens que tu n’es pas capable de te rendre là [où tu veux]. Moi, j’ai toujours voulu prouver que ce n’était pas vrai ! »

Comme lui, Laurie LeBlanc souhaite se propulser au-delà des frontières auxquelles il s’était préalablement conscrit. Déjà très populaire chez les Franco-canadiens, il sait qu’il devra gravir les échelons une seconde fois en passant à l’Ouest. N’eût été son prix remporté aux Josie Music Awards l’an dernier, il lui faudrait (presque) tout recommencer. Une rumeur favorable le précède, il en va d’un fait assez indéniable, mais n’entre pas dans la ligue canado-américaine qui veut. Les chanteurs y sont tellement plus nombreux.

« Je dois avouer que l’anglophone, c’est un méchant gros marché ! Quand tu écoutes les radios, il y a des artistes que je ne connais même pas qui sortent des choses et c’est de la très bonne production. En Acadie, notre monde nous aime et nous supporte. On est contents et on est chanceux. Disons que, chez nous, les opportunités se présentent à nous plus rapidement. […] Dans les radios, maintenant, je vais être en compétition avec Brett Kissel et tous les autres, contre des gros labels. On va voir comment ça va aller, mais on est contents du produit. »

Laurie LeBlanc n’a pas été « élevé aux five courses meals », il en va même d’un refrain de son répertoire, mais le musicien autoproduit se voit déjà épaulé par des ténors du country américain. Dallas Davidson (auteur pour Blake Shelton), Don Shlitz et Mike Reid s’ajoutent à sa prestigieuse liste de collaborateurs – deux gars qui ont gagné des Grammys. De grandes pointures soutiennent aussi Matt Lang, Tebey et Danick Dupelle parmi tant d’autres, de précieux collaborateurs qui devinent en lui une éventuelle grande vedette.

Comme si, finalement, le futur du country au Canada se lisait avec un petit accent frenchie.



Vedette de la musique country canadienne depuis plusieurs années, Madeline Merlo a à son actif un album qui a bien marché, des singles à succès, un prix CCMA Rising Star et des tournées avec Willie Nelson et Keith Urban. Plus tôt ce printemps, la nouvelle Nashvilloise semblait promise à un grand avenir aux États-Unis également. En avril, sa victoire au concours de téléréalité Songland – où des auteurs-compositeurs en émergence proposent une de leurs chansons à un groupe de grosses pointures de l’interprétation et de la production – a permis au groupe country Lady Antebellum de remporter un vif succès avec sa chanson « Champagne Night ». Tout de suite après, la COVID-19 empêchait Merlo de partir en tournée.

Les événements se sont précipités, mais l’autrice-compositrice-interprète prend les choses du bon côté. « Ce que j’aime dans le spectacle – le contact avec le public, le temps passé avec mes musiciens, rencontrer des gens – n’existe plus. Mais je me considère chanceuse de pouvoir continuer d’écrire des chansons et d’en co-écrire sur Zoom », reconnaît-elle. « Et puis, on a beaucoup parlé de moi depuis Songland, et ça m’a permis d’entrer en studio avec des gens avec qui je voulais composer des chansons depuis longtemps. »

Merlo a grandi à Maple Ridge, en C.-B., dans une famille musicale – son père était un musicien funk, sa mère aimait la musique country, sa sœur aînée écoutait de la musique pop. Elle adorait chanter et savait déjà qu’elle écrirait un jour des chansons, et elle a choisi la musique country pour deux raisons. La première, c’est que sa mère l’avait déjà emmenée à un concert de Shania Twain et qu’elle avait alors senti qu’une femme artiste pouvait faire preuve de force et de maîtrise. La seconde, c’était le genre de paroles qu’on entend dans les chansons country. »

« J’étais une passionnée des mots, de la poésie, et j’étais ravie de voir à quel point les paroles et les histoires sont importantes en musique country », explique Merlo. « La pop est une affaire de rythme, de production, mais la musique country porte sur des histoires que tu essaies de raconter. Dans une chanson pop, tu reprends souvent le premier verset dans le deuxième, et personne ne s’en rend même compte. C’est une chose qu’on ne laisserait jamais passer dans une chanson country. L’éditeur te rappellerait qu’il faut que “tu écrives un deuxième verset.” »

« Ça  m’a permis d’entrer en studio avec des gens avec qui je voulais composer des chansons depuis longtemps »

Lorsqu’on regarde l’épisode concerné de l’émission Songland, il est passionnant de voir la chanson de Merlo, qui s’intitulait au départ « I’ll Drink to That », adopter, puis perdre, un rythme reggae et subir diverses métamorphoses avant de devenir « Champagne Night ». « C’est très Lady A », observe-t-elle. « Ils ont réellement pulvérisé la production, et c’est devenu une chanson faite sur mesure pour eux – ce qu’elle était déjà, d’une certaine manière. »

Même si Merlo parle avec enthousiasme de son expérience sur Songland, il a quand même dû être difficile pour elle de confier sa chanson au groupe et au producteur Shane McAnally et de leur faire confiance.

Songland : Un concours musical télévisé d’un nouveau genre
Merlo pense qu’une émission comme Songland est une excellente façon d’attirer l’attention sur les auteurs-compositeurs. « Ils restent généralement invisibles », regrette-t-elle. « Les gens parlent de leur chanson préférée à vie, mais ils n’ont aucune idée d’où elle vient, ils n’y pensent même pas. Cette émission pourrait faire beaucoup pour les auteurs-compositeurs. Il n’y aurait pas de musique à la radio s’il n’y avait pas d’auteurs pour aider les artistes à se raconter, et ça a été cool de pouvoir participer à ce processus. »

« Ça a quand même été assez stressant », admet-elle en riant. « Ils m’ont appelée un bon soir pour me dire “Félicitations, ton avion décolle à 6 heures demain matin.” Puis je me suis retrouvée devant tout ce monde-là. Mais j’étais consciente qu’à partir du moment où je proposais ma chanson à Lady Antebellum, ce n’était déjà plus mon œuvre, mais celle du groupe, et qu’ils en feraient une chanson de style Lady Antebellum. Je savais que de nombreux changements allaient être apportés – mais, ce qu’on ne montre pas dans l’émission, c’est que nous nous sommes tous installés dans le studio pendant huit heures et que nous avons refait la chanson tous ensemble. Et Shane, le producteur, a été incroyable. Je me sens donc très près de la nouvelle version également.

« D’ailleurs, je n’aurais probablement pas essayé de leur vendre une chanson aussi personnelle que « War Paint » [qui fait référence à un ami qui souffre d’une maladie mentale], par exemple. C’est un conseil que je donnerais à quelqu’un qui serait invité à passer à l’émission. »

Ce n’est pas sans déception que Merlo se retrouve dans l’impossibilité de se constituer une    équipe de musiciens et de partir en tournée, mais elle continue quand même à composer et à enregistrer – elle a lancé les trois nouvelles chansons « If You Never Broke My Heart », « It Didn’t » et « Kiss Kiss » en mars – et elle pourrait même pondre un album le printemps prochain.

« J’ai l’impression d’être mieux préparée maintenant quand je me présente dans une séance d’écriture parce que j’ai eu plus de temps pour travailler des idées », reconnaît-elle. « En plus, l’Internet est une chose merveilleuse, et je ferai l’impossible pour promouvoir mes chansons à partir de mon salon. Et puis, je passe mes journées à écrire parce que c’est la seule chose que je peux faire ces temps-ci. »



La musique nous rassemble; elle aide à la guérison dans des périodes difficiles comme celle que nous vivons en ce moment.  Les artistes et leurs chansons meublent nos vies quand nous sommes en proie au vide et à l’incertitude. Aaron Allen, un artiste de London, en Ontario, est un des nombreux musiciens qui ont répondu à la soif de nouvelle musique exprimée par les auditeurs pendant la pandémie actuelle. Cloué à la maison après la fermeture de son entreprise de tatouage – The Taste of Ink (voir l’encadré) – il passe du bon temps avec sa femme et leurs deux enfants et compose de la musique pour tuer le temps.

« Je n’ai jamais été aussi occupé », confie Allen, qui vient de faire l’objet de deux nominations pour le gala de la Country Music Association of Ontario (CMAO) dans les catégories Meilleur artiste masculin et Étoile montante de l’année. « Nous, les auteurs-compositeurs, Skipe ne nous intéresse normalement pas, mais maintenant, ça nous rassemble tous dans la même pièce, et je démarre sur les chapeaux de roue chaque matin, tous les jours, je co-écris des tas de choses pour moi-même et pour d’autres artistes. »

La 3 avril, Allen lançait Highway Mile, un EP de 6 chansons coproduit avec Jeff Dalziel, lauréat du prix CMAO du producteur de l’année. Il avait un peu peur de lancer ses nouvelles œuvres en pleine crise de COVID-19, mais il s’est dit que le risque en valait la peine.

« Je serais probablement en prison si je ne pouvais pas écrire des chansons »

The Taste of Ink: Tattoo Artist on the Side

Il y a une dizaine d’années, Allen et sa femme ouvraient un salon de coiffure et un salon de tatouage et puis, comme ce dernier était plus rentable, ils en ont fait The Taste of Ink. Allen affirme que la musique est une carrière où on ne cesse jamais d’apprendre et de s’améliorer. L’auteur-compositeur arbore fièrement sur sa personne des images qui témoignent de sa passion pour le tatouage. Lorsqu’on lui demande ce qu’elles signifient, il répond en riant : « Quand on a ouvert le salon, nos apprentis avaient besoin de se pratiquer sur quelqu’un, et je me suis porté volontaire… Je n’aurais pas autant de tatouages si j’avais été obligé de les payer! » Il y a des moments où les deux vocations d’Allen se rencontrent : les gens viennent le voir au salon, ils lui racontent une histoire, et celle-ci se retrouver un jour dans une de ses chansons. Une des chansons les plus remarquables du nouvel EP, « Good Tattoo », est une ode à sa femme et à leur amour éternel : « Notre amour est comme un bon tatouage / Il pourra pâlir un peu avec le temps, mais crois-moi, chérie, il ne disparaîtra jamais. »

« Les gens n’ont jamais autant eu besoin de musique », affirme-t-il. La stratégie a fonctionné : les exécutions en ligne du nouvel enregistrement dépassent déjà le million de diffusions, et le chiffre continue de croître. La chanson à laquelle le public s’identifie le plus et qui tourne actuellement à la radio, « Can We Go Back », enregistrée en à peine deux semaines juste avant l’éclosion de la pandémie, est une chanson d’amour adressée à sa femme. Il y jette un regard en arrière sur les années de jeunesse où elle et lui baignaient dans le bonheur et l’insouciance. Allen chante : « Existe-t-il encore l’arbre / Sur lequel nous gravions nos initiales / Quand nous étions enfants/ On ne pensait jamais à rien / quand on se tenait par la main. »

Comme si le nouvel EP ne suffisait pas, au mois de mai, Allen a ajouté à son CV la signature d’un contrat d’édition avec Arts & Crafts Music. Il est impatient d’enrichir son répertoire, d’explorer davantage les synthétiseurs, de composer d’autres genres de musique et de prendre ses distances par rapport aux formules et à la rigidité qu’on retrouve parfois dans les chansons à la Nashville. « Avec les synthés, tu peux désobéir à certaines règles et dire certaines choses que tu ne peux pas exprimer en musique country », explique-t-il. « J’adore composer des chansons… C’est agréable d’essayer quelque chose de différent et d’apprendre quelque chose de nouveau. »

Durant ses jeunes années à London, Allen a commencé à écrire des chansons pour exprimer ses sentiments. C’est rapidement devenu une bouée de sauvetage. Quand il a eu 13 ans, sa mère est tombée malade, et Allen a été durement ébranlé. « Elle a souffert pendant plusieurs années d’un cancer non opérable, et je l’ai très mal pris », admet-il. « J’étais vraiment en colère. Je haïssais l’école. Je m’enfermais dans ma chambre avec ma guitare et j’oubliais tout en écrivant mes chansons. »

Vingt-cinq ans plus tard, Allen passe encore de longues heures seul dans son studio à domicile à composer des chansons pour tuer le temps. « Ça fait partie de moi », insiste-t-il. « Ça m’a sauvé la vie quand j’étais jeune, puis ça fait du bien. Je serais probablement en prison si je ne pouvais pas faire des chansons. »