« Elle est partie en Leucémie
Elle m’a laissé tous ses livres, elle est partie vivre
À Chimiothérapie, à Chimiothérapie
C’est un nouveau pays »

On est soufflé dès la première écoute. Les images de la chanson « La fièvre des fleurs » sont extrêmement frappantes, presque violentes. Le ton est donné. Elle est comme ça, Klô Pelgag : elle raconte sans faire aucun compromis. Elle noircit le papier en utilisant des associations saugrenues. Son écriture automatique réussit à faire rire, à déstabiliser et même à émouvoir.

Klô Pelgag – Chloé Pelletier-Gagnon pour l’état civil – a 23 ans et possède déjà une personnalité forte, une signature. Elle appartient à une classe à part, elle capte l’oreille avec sa voix éthérée et ses textes déboussolants.

Son premier album L’Alchimie des monstres, sorti en septembre, est unique, difficile à comparer à autre chose. On pense tout de même à Pierre Lapointe qui, dès le départ, s’est imposé avec son style personnel. Mais le parallèle s’arrête ici. Comment pourrait-elle se décrire? Klô Pelgag semble déstabilisée par la question, mais se prête au jeu : « Je suis quelqu’un qui essaie d’être libre, qui fait de la chanson poético-éclatée, “avec pas d’casque”. Je suis quelqu’un qui aime prendre des risques. »

Fille de deux travailleurs sociaux installés à Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie, Klô Pelgag retournera plus tard avec toute sa famille à Rivière-Ouelle, près de La Pocatière. « Quand je vais en campagne, je ne sais pas pourquoi, tout à coup, je respire mieux, et j’écris plus facilement, » affirme-t-elle. Et on sent le Bas-Saint-Laurent partout sur son disque. Les références à la mer et à la nature sont omniprésentes sur L’Alchimie des monstres. En plus, la jeune femme a enregistré l’album dans son coin de pays, dans la chapelle du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière.

« Je suis quelqu’un qui essaie d’être libre, qui fait de la chanson automatique avec pas d’casque. »

Klô Pelgag aurait voulu être brigadière, mais la lecture de L’Écume des jours de Boris Vian changera à tout jamais son existence. Enfin, la littérature pouvait être « amusante », elle se plonge alors avec délectation dans l’absurde. Elle succombe à Eugène Ionesco et aux textes de Claude Gauvreau pendant ses études en théâtre. Elle adore la peinture de Salvador Dali, de Fernando Botero, de René Magritte. Elle écoute Gentle Giant, L’Infonie et Raôul Duguay, Aut’ Chose… Même adolescente, Klô Pelgag avait des goûts qui détonnaient.

Toute menue, timide au premier abord, Klô ne manque cependant pas de bagout. Elle s’emporte même lorsqu’on lui demande d’expliquer la signification de ses textes. « Ce n’est pas réfléchi, je n’aime pas m’analyser. Et là, je fais des entrevues et je dois analyser mes trucs. Normalement, je ne le ferais pas. Ça reste des chansons de “moments”. J’écris différemment tout dépendant de l’état dans lequel je suis. »

Klô Pelgag est fascinée par le corps, ce thème est récurrent sur le disque. Il est démembré, malade… Elle parle de taxidermie, et pour elle, le « soleil est incontinent » et le « silence est épouvantail ». « Comme des rames » est une jolie chanson d’amour, mais où elle casse un aviron sur la tête de son amoureux. Klô Pelgag est particulièrement fière d’avoir fait chanter à un chœur de personnes âgées, sur « Rayon X » : « tu vas trouver Dieu dans ton diagnostic, c’est lui qui te fait mal quand il te crache son eau bénite ». « Les mots prennent un autre sens lorsqu’ils chantent, » souligne-t-elle, visiblement contente de son idée.

L’Alchimie des monstres est un album aux arrangements soignés. Klô Pelgag a travaillé d’arrache-pied pendant deux ans avec son frère Mathieu Pelletier-Gagnon pour peaufiner ses compositions. Chacune des 13 pièces est un univers en soi. Klô Pelgag doit une fière chandelle à son frère pour ce résultat. « Je collabore avec Mathieu depuis l’âge de 17 ans. Je n’avais pas de notion de musique, d’arrangements. Je ne pouvais pas écrire des arrangements. J’ai l’oreille, j’ai un sens mélodique…. mais je n’avais pas les moyens pour les réaliser. Mon frère, lui, pouvait faire ça. »

L’Alchimie des monstres n’est qu’une première étape pour elle. Bien sûr, elle promènera ses chansons au Québec et aussi en France dans un spectacle mis en scène par le danseur Dave St-Pierre. La jeune femme promet plusieurs surprises, parce qu’elle aime s’amuser. Elle n’hésite pas à faire de la magie sur scène, à préparer un gâteau ou à faire voler un avion téléguidé… Son public doit vraiment se préparer à tout.

Alors qu’elle vient de lancer son premier disque, elle pense déjà au deuxième. Elle entend poursuivre son chemin, sans trop se préoccuper de la célébrité et de l’industrie : « Je fais de la musique parce que c’est naturel pour moi. Ça me rend heureuse. Je ne fais pas ça pour être la fille la plus connue au monde, pour que les gens s’évanouissent en me voyant. » Et si elle continue à faire à sa tête, nous serons de plus en plus nombreux à embarquer dans son univers déjanté. On gage?