L’été est la saison de la route pour Karl Wolf, et 2016 ne fait pas exception à la règle, comme l’explique l’auteur-compositeur-interprète et producteur établi à Toronto, avouant du même souffle manquer de sommeil. Il est très occupé, mais cet état de fait semble plutôt perpétuel pour Wolf.

Prolifique et ambitieux, il a commencé sa carrière en tant qu’auteur-compositeur et producteur avant de prendre l’avant-scène au tournant du siècle en tant que membre du groupe pop Sky. C’est avec son collègue de Sky, Antoine Sicotte, qu’il a ensuite collaboré à l’immensément populaire télé-réalité Star Académie et à deux albums parus dans la foulée de l’émission de télé, Star Acade?mie I et II, dont le premier a été certifié quintuple platine au Canada. Depuis, il a remporté de nombreux Prix SOCAN, incluant 2 pour sa version du succès de Toto, « Africa », qui a connu un succès international dans la foulée de la parution de son album de 2008, Bite the Bullet.

Le succès de « Africa » a permis à sa carrière de passer à un niveau supérieur. En tout et partout, il a lancé six albums solo avant la parution de son plus récent EP, The Export Vol. 1 — le premier d’une série de trois devant paraître sur l’étiquette britanno-colombienne indépendante Cordova Bay Records. Tous les endroits qu’il a déjà appelés chez lui sont devenus des marchés où il est apprécié : le Canada, bien entendu, mais également son Liban natal, et Dubai et les Émirats arabes unis, où sa famille s’est réfugiée dans les années 80 pour fuir la brutale guerre civile au Liban et où il a vécu jusqu’à ce qu’il émigre à Montréal en 1995.

Actuellement porté par la vague du succès international d’OMI, « Hula Hoop », qu’il a coécrite avec Jenson Vaughan, il n’est pourtant pas question de respirer un peu pour Karl Wolf. Non, il a plutôt décidé de se lancer dans la création de The Export, créant une quarantaine de chansons parmi lesquelles choisir entre la fin 2015 et 2016.

« C’est important pour moi d’exprimer mon bagage culturel à travers ma musique. »

Le premier de ces trois disques démontre bien le désir de l’artiste d’exprimer une perspective positive du monde, mais il est également révélateur de l’homme en tant qu’artiste et individu. « Je voulais donner un sens du voyage, une histoire, à ce EP, et ces six chansons sont réellement une expression de mon histoire », confie-t-il.

Les chansons sur The Export Vol. 1 vont de la chanson touchante offrant un aperçu de la vie et de l’histoire de Karl Wolf à la « toune de party » par excellence, et ces chansons, il les a créées en collaboration avec son producteur Mastertrak ainsi que d’autres artistes tels que Brandon Unis, Kardinal Offishall et Jenson Vaughan.

L’éventail des chansons qu’on y trouve est, de son propre aveu, le reflet de ce qu’il est convaincu que les gens ont besoin d’entendre, c’est à dire un équilibre entre chansons qui remontent le moral tout en offrant à ses fans un regard sur l’homme derrière l’artiste.

Cela devient très évident sur la pièce titre du disque, « The Export », une chanson dont Wolf affirme qu’elle est le reflet de son voyage du Liban à Toronto en passant par Dubai et Montréal. En fin de compte, elle se veut le reflet du fait qu’il n’appartient pas à un seul endroit, mais à plusieurs.

Sur The Export Vol. 1, il amalgame des influences musicales orientales et occidentales de manière tout aussi dosée et subtile. « C’est crucial pour moi », explique-t-il. « C’est important pour moi d’exprimer mon bagage culturel à travers ma musique. C’est une sorte d’ancre pour moi, c’est un équilibre, la rencontre de l’est et de l’ouest… C’est une sonorité unique. »

Mais au-delà de la sonorité, ce disque démontre clairement son désir d’évoluer professionnellement et sur le plan personnel. Le premier extrait, « Amateur at Love », en est le porte-étendard, une chanson qu’il considère comme une des plus sincères qu’il ait écrite et dans laquelle il avoue avoir de la difficulté à se commettre à une seule personne.

Il a inclus deux versions de la pièce sur son disque?; l’originale et une version remixée mettant en vedette Kardinal Offishall. « J’ai fait le remix en même temps que l’originale et j’ai choisi de les inclure toutes les deux, car j’avais le sentiment que le disque avait besoin d’un peu plus de légèreté », raconte l’artiste. Chaque version de la chanson touche l’auditeur d’une manière différente, ce que Wolf apprécie particulièrement. Il est conscient qu’en altérant une chanson, elle peut avoir le même impact émotif, mais avec une ambiance différente qui va chercher des auditeurs différents. « Le remix est en feu, au Canada et sur Spotify… On compte plus de 11?000 diffusions par jour. »

Et puisque nous voilà enfin en été, Wolf est reparti en tournée, il lâche son fou et s’amuse avec ses amis et, pour l’instant, les grandes questions sont de moindre importance. « C’est le temps d’être heureux et de répandre des bonnes “vibes” autour de nous », lance-t-il.

Il n’en demeure pas moins que ses expériences personnelles ont toujours informé son écriture et sa composition. Ses jeunes années ont été marquées par la guerre et l’exil et il y a tellement de noirceur dans notre monde que, pour lui, les gens ont besoin de se faire remonter le moral et il planche à créer des chansons qui rendront les gens heureux, les feront bouger et, espérons-le, les aideront à oublier leurs soucis quelques instants. « Je veux être un de ces artistes qui répand la lumière autour d’eux », dit-il en guise de conclusion.



Carol Ryan, lauréate 2016 du prix Christopher J-Reed remis annuellement par l’APEM (Association des professionnels de l’édition musicale), semble surprise par la nouvelle. « J’opère dans un milieu qui ne ressemble pas beaucoup à celui de mes compatriotes », s’excuse-t-elle. Pourtant, celle qui est aujourd’hui directrice de la gestion des droits musicaux pour le Cirque du Soleil présente une feuille de route impressionnante. Alors que Ryan fait ses débuts chez les disques PolyGram à la fin des années 70, elle s’initie à l’univers de l’édition en travaillant au service des membres à la SDE, ancêtre de la SOCAN. « Ce fut pour moi un passage déterminant. J’ai beaucoup appris. Ces connaissances, tout ce bagage théorique, m’ont ensuite permise d’avoir en main les outils nécessaires pour travailler au Cirque du Soleil. »

À son arrivée au Cirque à la fin des années 90, Carole Ryan relève de nombreux défis, dont la mise en place de Créations Méandres, une équipe et structure de gestion de droits musicaux. Ce travail, qui se réalise dans un milieu atypique, met en lumière la singularité du parcours de Carol Ryan. « Travailler les droits musicaux au sein d’une entreprise, c’est en marge de tous les éditeurs indépendants qui opèrent au Québec et qui m’ont sélectionnée pour ce prix. Cela me touche d’autant plus. Les réalités sont différentes. Je ne travaille pas avec des vedettes. Et la musique n’est pas au coeur des activités du Cirque, non plus. Oui, nous sommes un élément important, mais nous ne sommes pas au centre de tout. »

« Comment réussit-on à gagner sa vie si l’équation marchande se transforme autant ? Où trouvera-t-on les revenus ? »

Carol Ryan n’a qu’à exposer la liste de ses intervenants quotidiens pour révéler la complexité du milieu de travail que peut offrir le Cirque du Soleil, une entreprise aussi créative que tentaculaire. « Je me retrouve à travailler avec des commanditaires, des médias, des tourneurs, sur des projets qui ont des  déploiements multiples, sur différents continents. En plus d’entretenir une relation avec le compositeur qui livre la musique d’un spectacle, il faut aussi desservir le reste de l’entreprise qui s’affaire à déployer les outils promotionnels et le contenu additionnel, que ce soit un documentaire, une captation de spectacle, un album, un DVD. Cela va bien au-delà d’établir une relation avec un artiste et d’apprivoiser un nouveau répertoire. » Carol Ryan, qui gère aujourd’hui plus de 2 000 titres actifs, souligne la nécessité de se trouver en mode solution, une forme de capacité à s’ajuster aux changements. Cette souplesse est d’autant plus nécessaire que plusieurs cultures sont ici réunies. La culture du cirque se déploie de manières différentes à travers le monde que ce soit en Europe ou en Chine. Carol Ryan dialogue aussi avec une culture d’entreprise qui mise avant tout sur la créativité.

Carol Ryan, David Murphy, Daniel Lafrance, Jehan V. Valiquet

Carol Ryan entourée des lauréats précédents du Prix Christopher-J.-Reed : David Murphy (à gauche), Daniel Lafrance (à droite de Mme Ryan), et Jehan V. Valiquet (à droite)

Au cours des vingt dernières années, il a aussi fallu s’adapter aux géométries variables de l’entreprise. Lors des années d’expansion du Cirque du Soleil, Carol Ryan opérait les licences de droits pour trois spectacles en simultané : Ô, La Numba et Dralion. Ces projets sur de multiples territoires ont généré autant de pressions que de contentement. « Au finale, on est fier d’avoir traversé tout ça. » Créations Méandres avait alors doublé son personnel de 3 à 6 employés. Dernièrement, de nouveaux changements sévissent au sein de l’entreprise. En 2015, le cirque a été vendu à des intérêts étrangers, américains et chinois, laissant ainsi souffler sur l’entreprise un vent d’incertitude. Mais Carol Ryan confirme que le cœur de l’entreprise reste intact et que les calendriers de création et de production vont bon train. « La priorité est toujours sur le spectacle, ce qui est une très bonne chose. »

Fidèle à sa disposition de regarder vers l’avant, Carol Ryan envisage les multiples enjeux auxquels font face l’édition musicale avec positivisme.  « Le cirque a gagné un prix dernièrement sur une expérience en réalité virtuelle. On se familiarise perpétuellement à de nouvelles réalités. Et ceux qui ont nié ces changements ne sont plus là aujourd’hui. Maintenant, j’ai hâte de voir comment les choses vont évoluer pour cette génération qui met tout en ligne gratuitement. Comment réussit-on à gagner sa vie si l’équation marchande se transforme autant ? Où trouvera-t-on les revenus ? Les éditeurs ont trouvé des solutions à travers les placements de pièces musicales. Mais il y a encore d’autres solutions à trouver. Moi, je ne suis pas alarmée. Quand ce dossier- là sera réglé, un nouveau émergera. Le mouvement est la nature même de la vie. »

 



Ça y est, c’est fait! Alexandre Désilets a lancé, le 15 juin dernier, au Gesù à Montréal, son quatrième album, dans le cadre des FrancoFolies de Montréal. Intitulé Windigo, cet ambitieux projet orchestral marque pour l’auteur-compositeur-interprète la fin d’un cycle. Constitué de douze titres, l’album propose deux nouvelles chansons et en revisite dix. « En retournant aux maquettes d’origine, j’ai eu l’impression que pour certaines chansons, je n’étais pas allé au bout du trip. Je sentais qu’elles étaient restées inachevées. Une toune, c’est pas parce que tu la graves sur un disque qu’elle est finie. Un peu comme un peintre qui, des années plus tard, se donnerait la liberté d’aller ajouter un élément sur un tableau. »

Enregistré en mars dernier au Studio 12 de Radio-Canada avec la complicité de dix-sept musiciens, dont Olivier Langevin, Robbie Kuster et François Richard (piano, orgue, arrangements, coréalisation), le résultat est magnifique. Une grande importance a été accordée à la voix, jamais enterrée sous l’orchestre. « Le mot d’ordre, c’était que la voix et le texte soient mis à l’avant. Je n’avais jamais autant travaillé cet aspect, ce sont mes meilleurs takes à vie. Je me suis entraîné, je suis allé voir ma prof de chant et je n’ai pas fait de compromis. Durant l’enregistrement, je me suis senti enveloppé par l’orchestre. Les instruments n’empiètent jamais sur la voix. On l’a utilisée comme un instrument, justement, pour créer un mur de son qui arrive jusqu’à toi. »

« Être trop premier degré dans les textes quand tu fais de la pop, c’est comme ajouter du sucre dans des céréales sucrées. »

Alors qu’elle concluait le précédent album Fancy Ghetto, Tout est perdu apparaît cette fois en deuxième position dans l’alignement et donne le frisson, c’est vraiment un petit bijou de chanson douce-amère. Les textes impressionnistes témoignent des tourments intérieurs du narrateur; on n’est pas dans la frivolité avec Alexandre Désilets.

« Au premier abord, on pourrait croire qu’il s’agit d’une histoire d’amour, mais en creusant on trouve autre chose. Être trop premier degré dans les textes quand tu fais de la pop, c’est comme ajouter du sucre dans des céréales sucrées. Quand j’écris les paroles avec Mathieu Leclerc, ça fait déjà quelques mois que je vis avec les musiques. On crée un univers; les chansons sont comme les chapitres d’une histoire. Puis je me retrouve avec des thèmes qui sont au diapason de l’émotion brute qui se dégage de la musique. Quand vient le temps d’écrire, c’est souvent un choc pour moi.

Alexandre Désilets Et le windigo qui donne son nom à l’album, d’où sort-il? « C’est l’archétype qui pouvait lier toutes ces chansons provenant de différents albums sous un même parapluie. Selon la légende amérindienne, le windigo est une bête affamée, un peu cannibale, qui hante les forêts et mange de la chair. Là, c’est comme si on avait enlevé les forêts, mais que la bête était restée. Mes personnages ont en commun d’errer dans la ville. Ils ont soif et faim de quelque chose, un appétit somme toute insatiable. C’est une métaphore de notre société actuelle, qui va trop vite et n’en a jamais assez. Elle n’est jamais rassasiée et ne produit pas son propre amour ni sa propre chaleur. Elle va la chercher partout ailleurs et ne redonne pas beaucoup. »

Dans On sème, l’une des deux nouvelles pièces, Alexandre joue habilement sur la phonétique d’un mot. On entend « on s’aime », mais il est question de semer la haine. « On avance avec tellement d’insouciance devant ce que Mère Nature nous a offert. On a fissuré l’atome pour partir en guerre, sans égards aux répercussions, comme si on était seuls sur Terre. On sème le germe de haine et c’est ce qu’on récolte. »

Le jour de l’entrevue, Alexandre portait un t-shirt avec pour motif, un ciel de nuit étoilé. À 41 ans, il est sur le point d’avoir un premier enfant et vient de lancer un album qui fait advenir la beauté dans ce monde pas toujours beau. Il chante :

Je crois en la beauté, mais elle n’est plus la même
Elle ne s’est pas montrée, et ça, depuis des années
Longtemps j’ai laissé tourner la vie
Comme un vieux disque
Mais j’ai faussé sur l’hymne à la joie

L’auteur d’Hymne à la joie serait-il pessimiste? « Quand j’écris, c’est la partie mélancolique en moi qui s’exprime, mais j’ai confiance en notre capacité de nous sortir de la merde. Je m’intéresse aux énergies alternatives. Grâce aux nouveaux modes de communications, des scientifiques arrivent à échanger rapidement des informations-clés. Il y a les panneaux solaires, des moteurs qui fonctionnent à l’eau… J’ai espoir dans les nouvelles générations. »