Après un EP homonyme (2019), l’autrice-compositrice-interprète innue Karen Pinette-Fontaine, connue sous le nom Kanen, a fait paraître un premier album, Mitshuap (maison, en innu-aimun) au printemps 2023. Et depuis, elle s’empare de toutes les scènes qui la reçoivent pour briller, occuper tout l’espace avec les mots de chez elle, Uashat mak Mani-Utenam.

KanenLa création de Kanen est une constante découverte pour celle qui apprend la langue de ses ancêtres pour pouvoir la chanter.

« Je ne pensais pas que j’avais un lien si personnel avec le territoire, lance-t-elle. Mais la manière dont on perçoit l’environnement, en innu, ça existe grammaticalement, si on peut le dire ainsi. Il y l’inanimé et l’animé. Ce qui existe et ce qui reste immobile. Il y a beaucoup de vie dans la langue de chez moi… une sorte de mouvement, de respiration. »

Artistiquement, elle se sent ainsi au cœur de cette découverte perpétuelle: « mon identité de femme innue, le territoire que j’habite, mon militantisme, la politique…», énumère la chanteuse. Musicalement, Kanen refuse de demeurer en place et se nourrit de tout ce qui lui est accessible. « Mes deux réalisateurs (Simon Walls et Jérémie Essiambre) m’ont ouvert beaucoup de portes dont j’ignorais l’existence et maintenant, je peux aller plus loin que je pensais dans ma composition. »

Quiconque a pu apprécier les chants et les gestes de Kanen sur la route des festivals pendant l’été 2023 pourra en témoigner clairement : tout ce qu’il y a sur l’album ressort sur la scène avec une fougue nouvelle, l’énergie d’une battante qui ressent la nécessité d’être entendue.

« Je pense que ça m’apporte beaucoup de fierté et de bien, cette expression physique de la musique, explique l’autrice-compositrice-interprète. J’aime beaucoup m’exprimer, mais ça ne me vient pas facilement. Avec la musique, j’ai l’impression d’avoir trouvé le moyen facile pour moi de dire des choses : écrire, composer et chanter. »

Le chant de Kanen, sur scène, devient mille fois plus grand. Son désir de prendre chaque personne du public par la main pour l’inviter dans son histoire se concrétise. Elle s’enracine chaque soir comme un arbre qui se doit de réinvestir le lieu de la plus belle façon possible. « J’atteins ma cible, dit-elle en riant. J’amène un peu de chez moi partout et le partage, je le fais aussi avec mes musiciens sur scène. Ça fait grossir le message, les chants, les idées. »

Kanen, Mitshuap

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Pour elle, il n’y a aucun doute que les langues autochtones doivent se délier, s’apprendre et s’étendre pour continuer à vivre, et l’engouement actuel est tangible pour Kanen : « On est dans une bonne zone, assure-t-elle. La chose la plus difficile, c’est l’apprentissage et je pense qu’on se permet de plus en plus de multiplier les façons d’apprendre. Les gens prennent des cours et ils comprennent ce que les langues autochtones apportent, ce que ces langues peuvent dire différemment. » Elle perçoit bien sûr la musique comme un véhicule pour les mots qui se doivent d’être entendus. Elle peut ainsi faire sa part.

Ce dont Kanen a besoin pour écrire… c’est d’un dictionnaire innu ! « Je me casse la tête à écrire une simple phrase, s’exclame-t-elle en riant. J’ai suivi des cours d’innu-aimun, mais ce n’est jamais assez pour tout ce que j’aimerais dire. Il y a des mots qui décrivent une vision ou un état. Je veux être très descriptive, dans mes paroles. Je me demande souvent où est rendu mon sujet une fois que ma phrase est complétée. C’est vraiment beaucoup de travail. »

Elle confirme d’ailleurs que le mélange du français avec l’innu était essentiel pour un premier album. « Mon disque serait vraiment loin d’être sorti si je ne m’étais permis que l’innu », rigole-t-elle. C’est d’ailleurs en observant ses textes actuels qu’elle réussit à comprendre où elle en est dans son apprentissage.

« Le prochain album ne sera vraiment pas à 100 % en langue autochtone, mais encore une fois, ça va montrer où je suis rendue. Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas créé, souligne-t-elle. Avant, je veux apprendre de nouveaux instruments, sortir de mon cocon de Mitshuap. J’ai quelques textes à gauche et à droite… Ça bouillonne à petits bouillons. »

En attendant la suite, elle lève le poing bien haut, danse, chante et casse des guitares sur scène. « Il y a une force tranquille à l’intérieur de moi et je sais que je n’ai pas fini de la faire ressortir », conclut-elle en riant.