Jonathan Personne décolle de la réalité sur Disparitions, une collection de dix plages orchestrales et ténébreuses. Du rock aux effluves garage ou yé-yé (diront les plus vieux) qui propose, en quelque sorte, une version améliorée de la fin des années 1960 et du début de la décennie qui s’en suit. La nostalgie d’une époque qu’il n’a pas connue.

On écoute Terre des Hommes, second extrait de la nouvelle offrande de Jonathan Personne, traversé par une certaine idée du Parc Jean-Drapeau et des ruines d’Expo 67. « Seul face à l’histoire », entonne-t-il en posant sa voix gorgée d’écho sur ce morceau qu’on croirait à la fois modelé par l’utopie naïve d’une autre ère et marqué par le désenchantement de la nôtre. Comme s’il avait su déterrer les dernières traces et artéfacts d’un Montréal perdu pour en faire quelque chose de franchement actuel, de vaguement sci-fi et écologiquement engagé.

« C’est sûr que je voulais revenir à des thèmes que j’avais abordés dans le premier album, c’est-à-dire la fin du monde. Je voulais des trucs quand même assez imagés, des gens qui prenaient des vaisseaux pour fuir la planète avant que ça pète. C’est tragique, oui, mais je me plaisais quand même à m’imaginer ça. »

Réalisateur de vidéoclips et illustrateur à ses heures, Jonathan Personne (né Robert) carbures aux arrangements élaborés parsemés de flûte, de claviers Rhodes et de petits bruits d’animaux comme les oiseaux et le chien qu’on entend sur Disparitions. Une instrumentation surprenante et riche en textures qui confère à sa musique une propension cinématographique.  Un jour, l’artiste multidisciplinaire aspire à créer la trame sonore de son propre film. Il planche d’ailleurs sur un court-métrage à l’heure actuelle. Un film dont il cache jalousement l’histoire pour le moment.

Et si l’audition et la vue s’entremêlent si naturellement dans sa pratique, c’est sans doute à cause de ses facultés de synesthète, une condition un peu magique qui l’habite au même titre que Philémon Cimon, Thom Yorke et Billie Eilish, par exemple. C’est moins rare qu’on le croit chez les musiciens professionnels.

« La pochette n’est pas mauve, mais c’est à cette couleur-là que j’associe l’album. Il y a du vert aussi quand j’entends les tounes. Pour Junior de Corridor, les trois couleurs principales c’est bleu, un espèce de rouge vin et un genre de jaune un peu ocre. […] Je pense que la synesthésie, un mot que j’ai appris il y a deux semaines, me nourrit comme illustrateur. La musique et les arts visuels se sont toujours influencés mutuellement, il n’y a pas tant de hiérarchie pour moi. Un visuel fort pour un artiste, c’est très, très important surtout quand t’as pas une grande personnalité. »

Jonathan PersonneDisparitions a justement été façonné dans la foulée de la sortie de ce disque de Corridor, groupe dont il fait partie, une œuvre parue sous l’égide de la prestigieuse étiquette américaine Sub Pop Records. Ce bouquet de chansons solo témoigne de l’épuisement professionnel ressenti par Personne au moment où tous ces rêves semblaient en fait se réaliser. Si ce tourbillon lui a finalement été profitable sur le plan créatif, il se promet désormais de se ménager un peu plus.

« L’histoire de cet album est quand même assez particulière et c’est ce qui en a inspiré l’écriture. C’était comme un gros moment de surdose de travail, un épisode contradictoire où j’ai combattu le feu avec le feu en me pitchant sur un autre projet quand j’étais à bout de tout. […] C’était une prise de conscience aussi. À l’avenir, je saurai dire non. »

Immortalisé sur rubans et auprès de Guillaume Chiasson (Ponctuation, Bon Enfant) qui a fait de l’enregistrement analogique sa marque de commerce comme technicien, Disparitions témoigne d’une certaine prise de risques. Emmanuel Ethier, le réalisateur, a ensuite dû composer avec quelques légers « feedbacks », de petites gaffes qui confèrent aux pièces un aspect encore plus organique.

« ‘’Une erreur qui sonnait bien‘’, c’est notre devise au sein de Corridor depuis l’enregistrement de notre premier album. On se laisse un peu le droit à l’erreur. C’est humain et, comme ça, on ne sonne pas comme des robots. »

« Quand c’est trop beau, dira-t-il aussi, ça devient laid. »

 En spectacle le 23 septembre, dans le cadre de Pop Montréal