Plus personne ne l’espérait: Jimmy Hunt lançait le 15 mai dernier Le silence, un nouvel album solo renouant (pour l’essentiel) avec les guitares acoustiques de son inoubliable premier disque en solo, paru en 2010. Inspiré de « la période la plus sombre » de sa vie (marquée par une rupture, par la mort de son père et par l’arrivée de la quarantaine), ce court album de 23 minutes conjugue dans une ambiance d’une familière étrangeté des climats parfois apaisants et parfois anxiogènes, ainsi que des textes souvent tout juste plus longs qu’un haïku.

Désormais installé pas loin du village de Maria, en Gaspésie, le leader du groupe rock Chocolat ralliait Montréal en décembre dernier, afin d’enregistrer en cinq jours (du 19 au 23) cette dizaine d’entêtantes méditations (presque des mantra) sur les splendeurs et (surtout) les misères de la solitude, en compagnie de quelques vieux compagnons (le bassiste Maxime Castellon,  le batteur José Major) et de nouveaux amis (le claviériste Benoit Parent, Mico Roy, guitariste des Hôtesses d’Hilaire). « J’avais jamais enregistré pendant cette période-là de l’année, quand les journées sont très courtes. On buvait des drinks chauds. C’était comme Noël. » Mais puisqu’un album de Jimmy Hunt ne serait pas un album de Jimmy Hunt sans un minimum d’excentricité, Le silence contient aussi une chanson portant sur les microbiotes et les microbiomes.

Conversation sur le pouvoir d’évocation des textes minimalistes, sur la pression induite par le statut culte de l’album Maladie d’amour et sur la liberté de créer quand il le souhaite, et non lorsque l’industrie le prescrit.


Ta chanson sur les microbiotes (Vieux amis) pourrait être complètement saugrenue, voire risible, si ce n’était de sa dernière phrase, dans laquelle tu te demandes « Qui est moi ?» Est-ce que c’est une question à laquelle tu trouves plus de réponses en vieillissant ?
« Non, c’est ça qui est fascinant. Quand on est jeune, on pense qu’on sait qui on est, mais plus on vieillit, moins on le sait. C’est pas tout à fait clair ce qui nous commande : est-ce que c’est l’espèce, nos sens, notre microbiote ? C’est plusieurs choses qui nous dirigent, mais on en prend conscience en vieillissant. On se guide peut-être un peu mieux, oui, il y a peut-être un meilleur pilote aux commandes pour ce qui est de notre rapport aux autres, mais qui est on est ? [Rire effaré.] Je le sais tellement pas. »

On présume la plupart du temps que lorsqu’un artiste chante au « je », il parle en son propre nom. Il y a quelques chansons sur ce nouvel album dans lesquelles ton « je » semble être un personnage, notamment Les gens qui m’aiment, dont le narrateur est particulièrement imbu de lui-même.
« Le «je» dans mes chansons est de moins en moins enchaîné à moi. Mais c’est sûr que le «je» de Les gens qui m’aiment, c’est un «je» absolument narcissique, qui parle du monde dans lequel on vit présentement. Il y a beaucoup de gens qui se convainquent qu’il y a des milliers de personnes qui les aiment et se convaincre de ça, c’est malsain. Les gens qui en sont vraiment convaincus sont peut-être pas des gens sur qui on peut se fier. Certains politiciens, certaines célébrités peuvent penser qu’ils ont cette puissance-là. »

Tu m’as l’air assez humble, mais est-ce que c’est pour fuir cette partie-là de toi-même que tu vis maintenant loin de Montréal et de l’industrie de la musique ?
« Non, je n’ai jamais eu d’ambition mégalo-vedette. Ça m’a toujours un peu inquiété, dès mes débuts, quand je me rendais compte que des gens que je ne connaissais pas me regardaient d’une drôle de façon. Les gens sont intrigués par les gens connus et ça me mettait un peu mal à l’aise. Moi, j’aime ça observer le monde, plus que d’être observé. Ça me brimait dans mon jeu. »

Sur Jazz engagé, de Chocolat, tu chantes sur un ton très satirique dans Fou fou fou mon minou que tu es « ceinture noire en poésie ». Tu m’as l’air particulièrement méfiant d’une poésie dont la beauté serait ostentatoire, soulignée à grands traits.
« C’est quelque chose auquel je réfléchis beaucoup dans l’écriture de chansons, cette espèce de besoin que plusieurs ont de rendre la poésie très stylée, cute, à la limite charmeuse, scintillante. On peut se contenter de moins. Dans le cas de ces nouvelles chansons-là, ce sont des extraits que j’ai pris de textes plus longs, parce que c’est l’extrait qui m’intéressait. Ça me fascine, ce minimalisme : dire beaucoup avec très peu. Souvent, le très peu peut englober de grandes idées. Ensuite, le défi que je trouve intéressant, c’est de faire en sorte que la musique devienne la continuité du message. »

Le texte de La chute est le plus court de l’album. Tu chantes « En février la chute coule derrière son manteau bleu / Infatigable chorale sans spectateurs », puis la musique devient de plus en plus angoissante. Est-ce à dire que tu as un rapport anxiogène avec la beauté ?
« C’est encore une fois un retour à la solitude. Le texte suggère que c’est super beau, le son de la chute qui coule, mais il n’y a aucun spectateur… La solitude, par moments, peut être une forme d’ouverture vers une paix intérieure, mais ça peut être aussi super angoissant. Je trouvais ça le fun que les deux émotions s’imbriquent. »

Comment est-ce que tu vis avec les fleurs que reçoit encore ton album Maladie d’amour (2013) ? L’émission Esprit critique le consacrait meilleur album de la décennie il y a quelques mois.
« C’est sûr que c’est hyper flatteur, mais après, c’est sûr que ça met une certaine pression pour la suite. J’ai essayé de ne pas tomber dans le panneau de vouloir satisfaire des attentes, même si je sais que lorsqu’on écoute un album qu’on aime, on aimerait qu’il y ait une suite. La suite, c’est souvent le gâchis…

[Le succès de Maladie d’amour], ça légitimisme le fait que j’ai choisi de faire de la musique dans la vie. Ça me donne une certaine confiance. Quand j’ai fait Maladie d’amour, j’ai pris des risques, je switchais de la guitare aux synthétiseurs. Il y en a beaucoup au Québec maintenant, des synthétiseurs, mais quand Maladie d’amour est sorti, il y en avait peu et la réponse a été étrange. C’était pas si chaleureux. Quand j’ai commencé la tournée, il y avait beaucoup de gens qui me disaient: J’aimais mieux ça avant. »

La photo sur la pochette du nouvel album, c’est un couteau ?
« C’est une dague, pour mettre au bout du fusil. C’était à notre père. Il avait ça depuis toujours dans un tiroir de sa commode de sa chambre. J’ai le souvenir que lorsque j’étais petit, on allait fouiller mon frère et moi dans les affaires de nos parents et le couteau, c’était comme interdit. Il s’est retrouvé sur le mur de ma maison en Gaspésie, pour cacher un clou. Je voulais sur la pochette une référence à mon père. Avec tout ce que j’ai vécu, j’aimais la symbolique du couteau dans sa gaine, comme s’il était apaisé. Il n’est pas si menaçant, mais ça reste un couteau quand même. »

Tu comptes parmi un groupe très restreint d’artistes, au Québec, qui semblent vraiment faire à leur tête. Tu fais des disques, des spectacles, quand t’en as envie…
Si j’avais voulu être forcé à faire des choses, je me serais trouvé une job normale ! [Grand rire] Tout ça sert à protéger l’essentiel, qui est l’amour que j’ai pour la musique. Le spectacle, c’est un peu une industrie. T’entres dans une sorte de machine à argent, il y a un rythme précis auquel se font les choses et ça peut être désillusionnant. Il y a des soirées magiques où tout se passe bien et il y en a aussi des difficiles. J’y vais prudemment. Le spectacle a endommagé beaucoup de créateurs géniaux, des artistes qui se sont autodétruits pour se sortir de ça. C’est pour pas l’oublier que je le dis: faut faire attention avec la vie publique et le spectacle. »