Pour écrire des chansons en 2022, on peut dire que la vulnérabilité est la monnaie d’échange.

De Donovan Woods à Carly Rae Jepsen, de TOBi à Shawn Mendes, de Julian Taylor à grandson, de JP Saxe à Savannah Ré, exprimer ses émotions de manière authentique est la fondation de bien des carrières, puisque c’est ce qui va le plus chercher le public. On retrouve des exemples de cette approche dans toute l’histoire de la musique, notamment dans les années 70 avec les artistes folk au ton confessionnel ou dans les années 90 avec les groupes emo. Cependant, grâce à la popularité grandissante de TikTok comme canal de découvertes musicales, la vulnérabilité est devenue grand public et sa valeur a grimpé en flèche avec l’arrivée d’artistes comme Tate McRae, Charlie Houston ou renforshort qui partagent leurs émotions les plus intenses afin de rejoindre l’auditoire le plus large possible.

Dans ce paysage, Jessie Reyez – dont le nouvel album intitulé Yessie est paru le 23 septembre 2022 – est en quelque sorte la Marraine (ou la sage-femme, l’architecte, ou la sainte patronne) de cette nouvelle vulnérabilité. Reyez a lancé sa première chanson, « Figures », une chanson de rupture crue et endolorie, en août 2016, environ un mois avant le lancement de TikTok. Elle a enchaîné avec un récit tout aussi personnel et intense sur la menace d’exploitation sexuelle avec « Gatekeeper », et elle livre depuis des histoires vraies, sincères et puissantes sur sa propre vie.

Son ascension fulgurante – parallèle à celle de l’application de partage – témoigne de la portée et de la rapidité à laquelle l’authenticité de Reyez lui a gagné un auditoire mondial. Elle a remporté le Prix Slaight Music pour un auteur-compositeur émergent remis par le Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens en 2017 et le Prix SOCAN de la Découverte de l’année en 2019. Son album Before Love Came to Kill Us lancé en 2020 s’est rendu dans le Top 5 des albums R&B de Billboard et il cumule plus de 1,2 milliard de diffusions en continu à ce jour. Elle a été encensée par le New York Times, Pitchfork, Rolling Stone et Variety et elle a été invitée à se produire à la télévision dans le cadre de populaires émissions de fin de soirée comme The Tonight Show Starring Jimmy Fallon, Late Night With Seth Meyers et The Daily Show with Trevor Noah. En 2022, elle s’est produite au festival Coachella en plus d’assurer la première partie de la tournée mondiale de Billie Eilish. Elle a été finaliste pour un Grammy, remporté quatre JUNOs et un Billboard Impact Award en plus d’avoir été invitée à faire une apparition dans l’album visuel Black is King de Beyoncé. Ce n’est pas par vaine vantardise que le sous-titre de son compte Twitter soit Doing great things bitch.

Le résumé de ce compte Twitter se lit (librement traduit) « j’aime chanter à propos de trucs dont je n’aime pas parler ». Cela reste vrai, même après sa campagne bien documentée de lecture, de livres d’autoassistance, de thérapie et de travail d’autoguérison qui a eu lieu au cours de la pandémie. On pourrait se demander si ça n’est pas un peu bizarre de chanter à des millions d’auditeurs des choses si profondément personnelles qu’elle ne les dirait même pas à quelqu’un d’autre – sauf peut-être à un psychothérapeute.

« Maintenant, oui », dit-elle. « Je dis maintenant probablement parce que je suis plus présente. Mais c’est “weird” quand on en parle, quand je suis en entrevue, parce que c’est pas mon environnement naturel. Chanter, être sur scène, c’est mon environnement naturel, alors je ne le remets pas en question. Ce qu’on fait là, ça me semble très analytique. »

Reyez a souvent dit que chanter son répertoire parfois déchirant n’est pas facile et elle compare souvent l’exercice à gratter une plaie. Est-ce moins difficile maintenant qu’elle a trouvé un certain équilibre émotionnel? « C’est encore une plaie », dit-elle. « La différence, c’est que je ne m’y attarde pas. Si je suis en studio et que ça sort, c’est que je suis dans cet espace mental, mais maintenant, au moins, je suis capable de revenir dans le présent très rapidement. »

Autre nouvelle direction pour Reyez, on retrouve quelques chansons dardent désir d’amour sur Yessie« Forever », « Only One » et « Hittin » – qui laissent croire que la jeune artiste pourrait bien être prête pour un partenaire de toute une vie. Après un éclat de rire qui voulait dire « m’as-tu vraiment posé cette question-là? », elle répond « Je ne sais pas si je suis prête, mais je suis définitivement plus ouverte à l’idée qu’avant… Je ne savais pas comment être en amour sans que ça prenne toute la place dans ma vie, comme un tsunami qui défonce les portes de mon cœur. Dieu que ça sonne quétaine! Mais bref, je ne savais pas comment y arriver. Et je ne savais pas comment m’en remettre, non plus, parce qu’une peine d’amour me détruisait complètement. Mais maintenant, je me sens plus forte et si ça ne marche pas, je sais que je vais être OK malgré tout. »

D’ailleurs, le thème central de Yessie est que la poursuite d’un amour véritable est un projet dont les risques sont proportionnels à la récompense. Reyez a toujours fait de la musique axée sur la vulnérabilité et le fait d’être prête à trouver le grand amour, même si la relation se termine en queue de poisson, en est d’autant plus la preuve. N’empêche, elle est en paix avec l’idée.

« J’étais terrorisée par l’amour depuis si longtemps, mais je ne m’en rendais pas compte », dit-elle. « Je ne réalisais pas à quel point je laissais mes traumatismes du passé dicter ma réalité… Même quand je rencontrais quelqu’un qui était gentil, honnête, présent et prêt à me laisser prendre mon temps, je n’arrivais pas à m’ouvrir… c’est comme ça que j’ai compris que ce n’était pas l’autre, le problème, mais moi. C’est pour ça que ç’a été plus difficile à admettre. »

S’il y a une chose qui a toujours été vraie chez Reyez, et ce, depuis le début, c’est qu’elle dit toujours sa vérité. Son dévouement à la pureté de l’art d’écrire des chansons – ce qui lui permet de partager ces vérités – est quasi spirituel. En janvier 2022, elle publiait ce qui suit sur Twitter (elle l’a depuis effacé) :

My favorite part
Like my FAV part of everything in the sphere of the music industry
Is not touring
Nor parties
Nor checks
Nor videos
Nor awards
None of that comes close
To just creating a song
And letting it be
And setting it free in the room
In that moment soul sees itself

(librement traduit:
Ce que je préfère
Mais vraiment par-dessus tout, dans la sphère de l’industrie de la musique, ce ne sont pas les tournées
Ni les partys
Ni les chèques
Ni les vidéos
Ni les récompenses
Rien de tout ça n’arrive à la cheville
De simplement créer une chanson
De lui donner vie
Et de la libérer dans la chambre
C’est à ce moment qu’une âme peut se voir telle qu’elle est)

Et elle se sent encore de la même façon. « C’est fou. C’est de l’alchimie », dit Jesse Reyez. « Et c’est tout ce qu’il y a de plus simple, en plus ; tu pourrais dire qu’il ne s’agit que d’une chanson… Mais il n’en demeure pas moins que tu es entrée dans une pièce, il n’y avait rien dedans, et tout d’un coup, tu as créé quelque chose. Dans un espace vide et en provenance d’une source que tu ne peux même pas toucher… Je trouve ça fucking magique! »

« Une fois que la chanson est sortie, tu te mets à parler de fournisseurs de services numériques, de politique, de visuels, de vidéos, de réalisateurs, d’artistes invités, ça n’a pas de fin. Mais quand tu es juste là, dans la salle d’écriture – et je crois vraiment que c’est ce que je préfère –, c’est le présent. Il faut que tu sois dans l’instant présent. J’adore ça. »