Jeff Toyne s’est payé la traite pendant la création de la trame sonore pour la nouvelle série d’Abe Sylvia’s sur Apple TV+, Palm Royale, une « dramédie » haute en couleur sur la haute société snobinarde et impitoyable de Palm Beach, en Floride, en 1969, série qui est basée sur le livre Mr. and Mrs. American Pie de Juliet McDaniel paru en 2018.

La distribution est à rêver : Kristen Wiig, Ricky Martin, Carol Burnett, Laura Dern, Josh Lucas, Leslie Bibb, Amber Chardae Robison, Allison Janney, Bruce Dern, Mindy Cohn, Kaia Jordan Gerber, et j’en passe. L’action s’articule autour du personnage de Wiig, l’aristocratiquement nommée Maxine Dellacorte-Simmons, et son intense désir d’appartenir à un country club exclusif où les gens la verraient comme une mondaine « au diable la dépense ».

« Éventuellement, le bref pour la musique s’est résumé à un croisement entre Henry Mancini et Bernard Herrmann, mais avec une saveur latino, et c’est de là qu’on est partis », explique Toyne au sujet de la trame sonore. « La géographie du lieu donne une saveur et une perspective latino à tout ce qu’on voit. »

Lorsqu’il a fini de composer la musique des 10 épisodes après cinq mois de travail, presque tout a été enregistré en direct par un big band de 19 musiciens et un orchestre de 50 musiciens. « C’était un projet massivement ambitieux, parce qu’au-delà du budget, le défi d’enregistrer tout ça en direct vient des échéanciers inhérents à la télévision. Mais ça en vaut la peine, je trouve. Ça apporte un fini plus léché. »

Jeff Toyne, Palm Royale, main title

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Toyne, un Canadien établi à Los Angeles, a orchestré plus de 100 productions hollywoodiennes, incluant The Super Mario Bros. Movie et District 9. Il collabore souvent avec Patrick Stump du groupe Fall Out Boy et c’est à lui qu’on doit les arrangements de cordes de leur plus récent album, So Much for Stardust. Parmi les autres films sur lesquels il a collaboré, on pense entre autres à Daughter of the Wolf (Richard Dreyfuss), 9/11 (Charlie Sheen) et Life on the Line (John Travolta). Sa première collaboration avec Abe Sylvia, et sa première trame sonore à être distribuée à l’échelle mondiale, remonte à 2011 pour le film Dirty Girl (Juno Temple, Milla Jovovich), et de nouveau en 2020 pour la série télé Filthy Rich (Kim Cattrall).

Pour son travail sur Palm Royale, il a « plongé dans les sources fondamentales » puisqu’il s’agit d’une série d’époque. « Il était hors de question que je fasse une trame sonore anachronique », affirme Toyne. « Ils voulaient que la série ait l’air d’avoir été créée à la fin des années 60. »

Le superviseur musical, George Drakoulias – principalement connu en tant que producteur de musique (Tom Petty, Primal Scream, Black Crowes, Jayhawks) et ancien responsable A&R – a sélectionné des chansons comme Right Now de Mel Tormé, St. Tropez Twist de Peppino di Capri, et Day Is Done (Live) de Peter Paul & Mary.

« Abe adore la musique », explique Toyne. « Il est totalement à l’aise que la trame sonore travaille main dans la main avec la sélection de chansons. Ils savaient quelles chansons ils voulaient et avaient déjà une immense bibliothèque de chansons et de musique temporaire placées dans les épisodes. Toutes les chansons qu’on entend sont fidèles à l’époque, ce sont des trucs que les personnages auraient entendus à la radio ou achetés au magasin de disques. »

Normalement, nous explique-t-il, il y a toujours une « séance de repérage », une réunion entre le compositeur à l’image, le superviseur musical, l’auteur-producteur et, souvent, le monteur musical, bref, « les personnes qui ont un mot à dire sur la musique et qui ont besoin de savoir quelle sera la musique de l’épisode ». Pendant ces réunions, ils analysent l’épisode scène par scène et discutent de la musique qu’on entendra. C’est là que Toyne compose à l’image.

« On a réfléchi à la musique que ces femmes écouteraient », raconte-t-il. « C’est pas nécessairement la musique de l’heure. Elles sont plus âgées ou elles sont plus conservatrices, alors elles écoutent peut-être de la musique des années 50, voire des années 40. Et l’autre partie du travail, bien sûr, c’est de commencer tout de suite à trouver des thèmes pour chaque personnage. C’est une émission axée sur ses personnages et on veut une trame sonore thématique. »

Toyne a donné aux personnages des mélodies thématiques, mais aussi des instruments et des couleurs. « Maxine, Douglas et Norma sont tous des Dellacorte, donc tous leurs instruments sont dans la même famille sonore puisqu’ils sont une famille. »

Jeff Toyne, Palm Royale,

Sélectionnez l’image pour faire jouer la vidéo YouTube du thème musical Norma’s Game de la série Palm Royale par Jeff Toyne

« L’instrument de Douglas, le mari de Maxine, est l’harmonica chromatique et ça nous fait glisser vers un son qui rappelle Moon River. L’instrument de Norma est l’accordéon, et là on tombe plutôt dans l’univers de Lawrence Welk. Mais plus le temps passe, plus son instrument devient la clarinette contrebasse, ce qui nous emmène dans l’univers de Bernard Herrmann, et qui colle plus à la méchanceté de son personnage. »

« À l’opposé, l’instrument de Maxine est la clarinette. C’est la toute petite clarinette en mi bémol, et ça rappelle Baby Elephant Walk de Mancini. Je me suis inspiré de films comme Valley of the Dolls et Breakfast at Tiffany’s – la musique de Maxine a cette étincelle “ça passe ou ça casse” auquel Norma fait référence dans le premier épisode, alors sa musique a le même côté étincelant avec du vibraphone, du céleste, du piano, de la harpe et cette clarinette très aigüe. »

« Tous ces instruments – l’accordéon, l’harmonica, la clarinette – produisent des sons de la même façon, ce sont des instruments à anche unique et c’est pour ça que je voyais ça comme une façon de les unir en tant que famille, une famille d’instruments. » Toyne explique que ces « connexions intellectuelles » sont des outils dramatiques qu’il aime utiliser par exemple pour sous-entendre la présence d’un personnage dans une scène même s’il n’est pas physiquement présent. « Ça arrive à quelques reprises dans la série », confie le compositeur.

C’est la musique que Toyne a écrite pour Robert Diaz, le personnage de barman, garçon de piscine, soignant de Martin, qui a été la plus facile puisque le personnage joue de la trompette à l’écran. « La première fois qu’on le voit à l’écran, il joue du flugelhorn plutôt qu’une trompette et il utilise une sourdine Harmon, en plus, et c’est moi qui avais enregistré ce qu’il est censé jouer », dit-il. « C’est un son très particulier. Au départ, ils l’avaient filmé avec une trompette sans sourdine. J’ai dit “écoutez, c’est à ça que ça ressemble vraiment, un flugelhorn avec une sourdine” et ils m’ont dit “eh bien! on veut prendre une certaine licence artistique”. Il y a eu de longues discussions à savoir si c’était important d’être fidèles à la réalité. »

Toyne nous a confié un autre « coco de Pâques » des identités musicales des personnages.

« Maxine boit toujours un cocktail qui s’appelle un grasshopper », nous explique-t-il. « Je n’y avais jamais goûté, alors je m’en suis fait. Cet après-midi-là, ma femme est arrivée à la maison et m’a demandé ce que j’étais en train de faire, et je lui ai répondu que c’était pour le travail », raconte le compositeur en riant.

« J’ai réalisé que la glace dans le “shaker” à martini et puis les personnages féminins qui prennent des pilules sans arrêt le son des les pilules dans le flacon – tout ça ressemble à autant de maracas », dit Toyne. « Bref, pour le côté latino de la musique, on a utilisé la glace dans le “shaker” et les pilules dans le flacon. Ça ne s’entend pas vraiment si on ne le sait pas, mais c’est notre lien secret entre le scénario et la partition musicale. »

Comme l’a un jour dit le maître du Kung au jeune, « bien joué, jeune grasshopper ».