Jean-Michel Blais Certains font de la musique de chambre. Le pianiste montréalais Jean-Michel Blais, lui, fait plutôt dans la musique d’appartement. C’est d’ailleurs dans son propre salon qu’il a enregistré Il, un disque qu’il a d’abord placé en ligne, avant de le voir récupéré et relancé par le label torontois Arts & Crafts en avril dernier.

« Il était question de faire l’album sur un piano à queue dans une chapelle, mais j’ai fini par me dire qu’il valait mieux enregistrer cette musique dans les mêmes conditions où elle était née », explique Blais, qui parle avec enthousiasme des sons du quotidien. Cris de bébé, chant d’oiseaux et autres bruits aléatoires viennent ainsi ponctuer les pièces gravées sur cet album étonnant. Deux des pièces de l’album portent le titre de Hasselblad, le nom de l’appareil qu’a utilisé son ami photographe pour créer la pochette de l’album et en tendant l’oreille, on peut entendre le cliquettement de l’obturateur entre les notes de piano. Le son est aéré, décoincé, vivant, à l’image du jeu du compositeur et improvisateur de 32 ans, qui emprunte au romantisme, au minimalisme et à la pop, ralliant, selon l’expression de son label, les fans de Radiohead et de Debussy.

Depuis quelques mois, la musique de Jean-Michel Blais a débordé bien au-delà des confins de son appartement du Mile End, à Montréal. À l’occasion du lancement, à Toronto, il s’est installé en résidence dans l’atrium du Art Gallery of Ontario où il a charmé un public aussi éclectique qu’enthousiaste. Son disque accumule les critiques élogieuses depuis sa sortie et quelques spectacles plus importants, dont un au Festival international de jazz de Montréal, commencent à ponctuer son agenda.

Et si sa présence dans l’écurie du label torontois Arts & Crafts, réputé pour ses groupes indie, ne paraît pas le moindrement saugrenue, c’est qu’il n’est pas le premier pianiste iconoclaste de la maison. Avant lui, un certain Chilly Gonzales a fait le grand écart entre les traditions pop et classique. « Je ne m’en cache pas, c’est une influence, avoue d’emblée Jean-Michel. Mais je pense que ce que nous avons le plus en commun, c’est le côté communicateur. Comme lui, j’adore parler au public. J’aime expliquer ce que je fais; ça aide à démocratiser l’expérience et à donner un sens à la musique. »

« À l’exception du salaire de l’ingénieur son, le disque ne m’a pratiquement rien coûté alors au départ, je me sentais presque mal de le vendre. Maintenant que je suis signé, je peux te dire que mon label n’est pas exactement du même avis! »

Jean-Michel Blais Et dire qu’il y a peu de temps encore, Jean-Michel Blais ne songeait plus à faire carrière en musique. « C’est une série d’heureux hasards qui m’a mené ici, explique-t-il. Quand Cameron Reed (le patron d’Arts & Crafts) m’a contacté pour me dire qu’il était tombé sur mon Bandcamp et qu’il voulait sortir mon disque, je croyais presque à une blague. J’avais ma job de prof de Cégep et je ne pensais pas en faire un travail. À l’exception du salaire de l’ingénieur son, le disque ne m’a pratiquement rien coûté alors au départ, je me sentais presque mal de le vendre. Maintenant que je suis signé, je peux te dire que mon label n’est pas exactement du même avis! » Lance-t-il en riant. |

L’idée de gagner ou non sa vie avec la musique reviendra souvent au fil de la conversation. Depuis sa sortie du Conservatoire de Trois-Rivières, il porte un regard étonnant sur le métier de musicien classique. « En sortant du conservatoire, j’ai compris que je n’étais pas fait pour le cadre académique. Je trouvais que le piano et la musique de concert, c’était du divertissement de bourgeois alors je suis parti travailler dans un orphelinat au Guatemala », explique-t-il. Au fil des ans, le jeune homme multipliera les voyages humanitaires et entreprendra des études en psychologie, abandonnant parfois la musique pour de longs mois.

« Des fois, il faut savoir laisser son champ en jachère. C’est vrai en agriculture, mais c’est vrai en musique aussi ». L’analogie n’est pas innocente: entre deux explications sur sa passion pour l’improvisation, il nous parle de son aversion pour le capitalisme effréné et nos besoins, aussi artificiels qu’insatiables, qui nous forcent à produire toujours plus. Lorsqu’il évoque ensuite son désir de minimalisme, on se demande s’il s’agit de théorie musicale ou de simplicité volontaire! «Ma musique est plus poétique que politique, réplique-t-il. J’aime que les gens se l’approprient et y mettent les images qu’ils veulent. Mais je pense que le seul fait de jouer permet un acte de communion avec les autres. En Amérique du Sud, par exemple, j’ai vu à quel point la musique pouvait être rassembleuse. J’ai compris le rôle social qu’elle pouvait jouer et je me dis que je peux y contribuer. »