L’amour et les cœurs brisés. Les gens, les lieux, les objets. C’est un lieu commun d’affirmer que c’est là que des légions de musiciens ont trouvé l’inspiration de leurs chansons.

La littérature et les mathématiques ne figurent pas trop dans cette liste, mais le trompettiste et compositeur de jazz torontois Brownman (née « Nick Ali »)  affirme que c’est vers ces sujets qu’il se tourne quand il s’assoit pour composer.

Et comme quelqu’un qui dirige sept (!) ensembles différents, Brownman, qui est né à Trinidad, n’arrête jamais de composer. Ses ensembles comprennent Cruzao, un  quintet latino-jazz-funk, le très swinguant Brownman Akoustic Quartet, le big band latino-jazz de 15 musiciens Cruzao Grupo Monstruoso et son Brownman Electryc Trio, influencé par Miles Davis.

« Je lis beaucoup, en moyenne trois livres par semaine, ce qui fait que mes airs sont souvent inspirés par la littérature. »

Où il trouve le temps de jouer avec chaque ensemble est un mystère, mais là n’est pas la question. Tout comme son infatigable idole Miles Davis, Brownman est un esprit prolifique et aventureux.

« Je lis beaucoup, en moyenne trois livres par semaine, ce qui fait que mes airs sont souvent inspirés par la littérature, dit-il. Par exemple, la pièce « Mago Malpensado » (“The Evil Magician”) sur le CD de Cruzao Shades Of Brown a été une tentative pour moi d’encapsuler l’histoire de Faust en utilisant une ambiance latino jazzée en arrière-plan. » Cet album, sorti en 2002, lui a valu le Prix national de jazz pour sa composition.

Mais où les maths figurent-elles dans l’équation du compositeur?

« Avant d’aller à New York étudier avec Randy Brecker, j’ai obtenu un diplôme en physique. Donc, parfois, j’essaie de laisser le langage de l’univers – les mathématiques – guider mon écriture, explique-t-il. Par exemple, je trouve les séries des nombres irrationnels fascinantes. Il s’agit de nombres que l’on ne peut pas exprimer sous la forme de fractions exactes, et j’ai joué avec une rythmique inspirée des séries irrationnelles au cours de ces dernières années. »

Il utilise la pièce « Irrational Funktion », sur l’extraordinaire CD de 2013, Gravitation: A Study In Freefall, d’Electryc Trio, pour illustrer ce point.

« Elle comporte une ligne de basse dont les rythmes syncopés sont presque entièrement tirés de la série d’un nombre irrationnel, dit-il. Ça m’a donné cette rythmique asymétrique qui a été l’étincelle de ma démarche d’écriture. J’ai ensuite donné à ces rythmes une tonalité centrale puis j’ai réparti l’accentuation afin qu’une ligne de basse émerge. À partir de ce point, j’ai ajouté de l’harmonie puis j’ai écrit une mélodie un peu audacieuse sur le tout. »

Si vous êtes un peu perdu comme moi par ces explications sibyllines, rappelez-vous simplement ceci : sa musique est parfaitement accessible, un jazz réellement entraînant, créé par des gens qui jouent comme si c’était leur dernier jour sur la planète. C’est viscéral et ça chauffe.

Faits saillants
Éditeur :
Brownman Music
Discographie sélectionnée :
Shades of Brown (avec Cruzao, 2002), Juggernaut – (avec le Brownman Electryc Trio, 2009), Gravitation: A Study In Freefall – (avec le Brownman Electryc Trio, 2013)
Membre de la SOCAN depuis 2000
Visitez www.brownman.com



À bien des égards, la présente année est celle d’Edgar Bori. Non seulement celui qui a longtemps caché son visage achève la trilogie Balade-Malade-Salade et part en tournée sur deux continents, mais il célèbre ses 20 ans de carrière, en plus de souffler ses 60 bougies. Une belle façon de tourner la page sur 2013, achevée sur une fausse note…

À pareille date l’an dernier, Bori et sa conjointe, Cathie Bonnet, s’apprêtaient à vendre Productions de l’onde, cette petite boîte fondée en 1992 afin d’encadrer les activités musicales du chanteur et d’héberger des artistes émergents. Ils voulaient passer le flambeau, question d’assurer la pérennité de leur bébé, alors en bonne santé financière. Or quatre mois plus tard, les nouveaux propriétaires avaient abandonné le navire, non sans y avoir englouti 375 000$ de dettes. Plutôt que de voir l’entreprise connaître une fin malheureuse, Bori est revenu au bercail et a lancé une collecte de fonds. Son souhait? Redresser la barre afin de payer ceux qui ont été floués. C’est bien parti : quelque 35 000$ ont déjà été amassés en faisant appel au grand public par la plateforme de sociofinancement Kapipal. Il verra ensuite comment il pourra partager les pouvoirs, mais sans refaire les mêmes erreurs et en gardant la mainmise sur la direction artistique.

« Ce qu’on doit préparer, c’est le passage, précise-t-il. C’est fatigant, j’arrive à 60 ans; le volet administratif mange beaucoup de mon temps et à un moment donné, on ne peut pas tout faire…»

Salade musicale

Cette mésaventure est survenue alors que Bori s’apprêtait à clore la trilogie Balade-Malade-Salade, le plus ambitieux de ses projets. Le premier volume, paru à l’automne 2012, misait sur diverses collaborations tout en mettant de l’avant des titres personnels modelés sans concession. Malade a suivi, dans une veine davantage expérimentale et introspective. Restait Salade, qui arrive ce printemps avec quelques mois de retard. Contrairement à ses prédécesseurs, l’enregistrement met l’accent sur l’apport d’autrui, d’autant que des reprises sont au programme, le tout livré avec des invités tels François Cousineau, Yannick Rieu et Romulo Larrea. On y trouve entre autres la magnifique Brel-Ferré, où s’entrecroisent les classiques « Avec le temps » et « Ne me quitte pas ».

Cette pièce a été inspirée à Bori par une rencontre avec un ami de Ferré, feu Roger Zanetti, dit Zaneth. « Zaneth m’a confié que Léo avait écrit “Avec le temps” en réponse à Brel, qui avait écrit “Ne me quitte pas, laisse-moi être l’ombre de ton ombre”. Il lui disait “énerve-toi pas mon pit, avec le temps, on n’aime plus”. J’ai mis les deux textes côte à côte et les deux parlent de bijoux, de feu, de chien, d’ombre, donc je me suis mis à croire que ça se pouvait… »

Salade est disponible soit de manière indépendante, soit sous coffret, avec les autres volumes. Afin de récompenser ceux qui veulent se procurer l’ensemble de l’œuvre, Bori a inclu un quatrième disque dans la boîte : La Route. Celui-ci assemble des pièces laissées de côté et des extraits d’entrevues réalisées alors qu’il était, comme le titre le laisse deviner, en voiture.

La magie

Quand Bori constate qu’en plus de ses deux décennies de carrière et de ses 60 balais la présente année marque le centenaire de la naissance de Félix, il ne peut s’empêcher de lancer : « Il y a pas mal de magie dans l’air pour 2014! » Une part de cette magie se transportera sur les planches. En effet, dès le printemps, le Montréalais embarque dans une tournée qui l’amènera un peu partout au Québec. Pour l’occasion, il souhaite offrir à la fois ses nouvelles compositions et un panorama de toute sa discographie. Et comme de 1994 à 2000 Bori était davantage un groupe, il est possible que d’anciens membres viennent le rejoindre. Ceux-ci, comédiens et musiciens, avaient joué un rôle-clé à l’époque où le leader préférait chanter sans montrer son visage – une façon de faire à laquelle il a renoncé en 2009.

« Ce spectacle va s’appeler Balade-Malade-Salade, mais il y aura un sous-titre : “La dernière répétition”. Ce sera un peu comme une rencontre avec le public, lors de la dernière générale avant que le show commence, le lendemain. Ça va me permettre d’arrêter dans une chanson, de recevoir des notes du metteur en scène, de jaser avec le public. Je me sens prêt pour ça après avoir été caché longtemps. »

Visitez www.bori.com

Pour contribuer à la levée de fonds pour Productions de l’onde :
www.kapipal.com/aidonsproductionsdelonde



Cargo Culte, c’est d’abord une rencontre. Celle entre le rapper/parolier Éric Brousseau (anciennement Séba au sein de la formation Gatineau) et le bassiste Jean-François Lemieux (Daniel Bélanger, Jean Leloup) dans un club vidéo. « J’étais commis et J-F venait me voir, lance Brousseau. On parlait musique et on partageait notre vision des choses, comment devait sonner un groupe de rap. Puis, c’est resté de même. Après six mois, je l’ai recontacté. Il m’a dit de venir chez lui et on a commencé à monter des chansons, mais on cherchait un autre musicien. Peu de temps après, j’ai reçu un appel d’Alex McMahon (Plaster). Il me racontait qu’il aimerait faire un album de rap avec moi et voulait jouer de la batterie et du clavier. Quelques jours plus tard, on s’est réunis tous les trois, on a produit une petite maquette et on connait la suite. »

Débarqué le printemps dernier, l’album Les temps modernes renoue avec l’énergie brute des premiers balbutiements de Gatineau et révèle un groupe allumé, en pleine possession de ses moyens. En farfouillant les dix titres du compact, on découvre une poignée d’influences résolument old school. Comme ces sonorités lourdes, musclées, coulées dans le béton à la Beastie Boys, période Check Your Head. Puis, il y a quelque chose de Zack de la Rocha (Rage Against The Machine) dans la livraison mordante, urgente de Brousseau. « Je voulais faire quelque chose de vraiment heavy. J’écoute beaucoup de musique punk, du Nirvana. J’avais trouvé le dernier disque de Gatineau (Karaoke King) vraiment mou. Je ne m’étais pas retrouvé là-dedans. Le public non plus. En show, c’était pénible. Je suis une bête de scène et en spectacle, je ne pouvais pas exploser comme avant. Je voulais arriver avec un produit dur, comme si Gros Mené avait produit un album de rap, » révèle Brousseau.

«J’attends l’arrivée d’un autre Kurt Cobain pour changer la donne. On est mûr pour une nouvelle révolution musicale. »

Alors qu’il ne se gênait aucunement pour donner de nombreuses directives aux membres de Gatineau, Éric a voulu procurer davantage de liberté à ses complices de Cargo Culte. « Au début du projet, je souhaitais que la batterie et la basse sonnent précisément comme ce que j’avais en tête, puis je n’ai plus rien dit. J’ai laissé les musiciens aller. En studio, on a décidé de tout enregistrer, du matin au soir, et tout a pas mal été improvisé. Je suis arrivé avec des bouts de textes et les gars se sont mis à jammer. Le soir, on bounçait une toune et c’est ce qui se retrouvait sur le disque. » McMahon renchérit : « J-F et moi avions aussi des beats dans nos tiroirs. Des vieux trucs qu’on avait faits sur nos laptops au fil des ans. On s’est aussi servi de ça. »

Livrés avec aplomb dans la langue de Félix Leclerc, les textes parfois acides, toujours rentre-dedans de Brousseau peuvent parfois évoquer ceux d’un certain Biz (Loco Locass). Largement inspiré par Dharma Punx, un bouquin de Noah Levine, Éric estime retrouver un aspect profondément spirituel sur l’album du trio. « Les gens vont rapprocher notre son à celui des Beastie Boys ou d’autres groupes, mais c’est vraiment plus profond que ça. J’observe beaucoup autour de moi. J’aime écrire sur les relations amoureuses et sexuelles. “Le chien de madame” et “Champs de bataille” sont des chansons inspirées de relations très heavy que j’ai eu à vivre. Ce que je raconte est souvent personnel, mais il y a des pièces comme “L’enfer, c’est les autres” qui parlent… des autres! Je me suis souvent retrouvé seul pour les textes. Personne n’avait osé me critiquer. Pour ce projet, Alex m’a donné énormément d’input. Il m’a beaucoup aidé en ce qui concerne la direction qu’ils devaient prendre, » soutient-il.

Évoluant au sein de la sphère musicale depuis de nombreuses années, tous les membres de Cargo Culte gagnent leur vie grâce à leurs talents respectifs. DJ deux soirs par semaine, Éric enseigne aussi le rap dans un centre jeunesse et passe du temps à la maison à créer des rythmes. Les deux autres membres allient leurs fonctions de musicien et de réalisateur et collaborent avec une multitude d’artistes. Selon Lemieux, la clé pour survivre est de multiplier les projets. « Tout de même, ça me fait peur parce que je n’ai fait que de la musique dans ma vie. Ça va bientôt faire 30 ans. Je regarde comment va l’industrie et il y a quelque chose d’angoissant là-dedans. Beaucoup de bonnes choses se font, mais il n’y a plus de place pour tout le monde. Puis, le budget pour produire des albums diminue. Je travaille encore beaucoup, mais je fais moins d’argent qu’avant. Ce qui me stimule est de faire des projets personnels comme Cargo Culte. »

Prochainement, la bande souhaite présenter un spectacle différent par mois en résidence dans une salle montréalaise (inconnue pour l’instant). Puis, c’est le retour en studio avec des invités pour le prochain album de Cargo Culte que les comparses souhaitent « plus ouvert. » Brousseau explique : « J’aimerais que ça ressemble à la gang de Bran Van 3000. Quelque chose que je vais avoir envie d’écouter encore et encore. Aujourd’hui, les seuls disques que je réécoute, ce sont les vieux Sonic Youth, A Tribe Called Quest. On dirait que tout est formaté de nos jours. Tout le monde sonne pareil et est interchangeable. J’attends l’arrivée d’un autre Kurt Cobain pour changer la donne mais on dirait que ce n’est pas prêt de revenir. On est mûr pour une nouvelle révolution musicale. » Et si cette révolution se nommait Cargo Culte?