Ian Kelly est un homme heureux. C’est même la première chose qu’on s’était dite à l’écoute de son cinquième album, Superfolk, lors de son lancement en mars dernier. Enregistré après la naissance de son troisième enfant, Superfolk est un disque plein d’espoir et de lumière, réalisé par un homme qui ne boude pas son plaisir. Malgré ses dispositions naturelles pour les textes déprimants, le chanteur québécois semblait avoir trouvé la paix intérieure et n’hésitait pas à consacrer la majorité des chansons de son nouveau disque aux joies de la vie conjugale.

« C’est vrai que l’amour heureux est un sujet relativement nouveau pour moi, mais il fallait bien que j’équilibre un peu mes chansons lourdes sur le sort de la planète! », explique Ian Kelly. « Et puis même si ça va généralement mal, il y a plein de belles choses à célébrer dans le monde. Tout ce que je souhaite, c’est que les gens sortent de mon spectacle avec un sourire et le cœur léger… »

Ian KellyC’est dans les Laurentides, à Morin-Heights plus particulièrement, que l’auteur de Montréal a trouvé son bonheur. À un peu plus d’une heure de la grande ville où il a passé le plus clair de sa vie, Ian a acquis une maison où il pourrait installer sa petite famille, qui commençait à se sentir à l’étroit en ville: « C’est l’endroit parfait pour moi. Juste à l’extérieur du village, mais à portée d’Internet haute vitesse », précise-t-il en riant. «  Je ne suis pas complètement isolé du monde, tu sais; le trottoir s’arrête juste avant ma maison, mais je peux quand même marcher au dépanneur s’il me manque du lait! »

La maison de Morin-Heights a surtout permis à Ian Kelly de concrétiser un rêve qu’il caressait depuis longtemps: celui de construire un vrai studio où il pourrait créer ses albums de A à Z, mais aussi accueillir d’autres artistes en quête d’un lieu inspirant pour travailler. « Avec la technologie d’aujourd’hui, tu peux enregistrer n’importe où, c’est sûr, mais je voulais créer une pièce avec du « room » où on peut installer le micro à plus d’un pouce de la face du chanteur. Et puis il y avait l’idée de créer quelque chose de mes mains, selon mes propres standards: je me revois encore, il y a tout juste deux ans, alors que je pelletais du gravier pour installer les fondations. Aujourd’hui, j’ai un studio professionnel à 30 secondes de mon salon qui me permet de rester près de ma famille quand je travaille… »

Ian Kelly n’est d’ailleurs pas le premier artiste à installer ses pénates dans le coin. Éloi Painchaud et Jorane ont leur propre studio à quelques minutes de chez lui et cette proximité a déjà mené à une belle collaboration. Au moment de créer la version anglophone de la bande originale du film La Guerre des Tuques, Éloi a pensé à son voisin pour traduire la chanson thème du film. Ian s’est exécuté avec plaisir, sans savoir que la chanteuse qui allait l’interpréter n’était nulle autre qu’une certaine Céline Dion. « Mettons que « j’ai écrit pour Céline », ça se place bien dans un CV, mais je n’ai pas encore vu de chèque de droits d’auteur, alors je ne peux pas te dire si c’était une job payante », lance le chanteur en rigolant. S’imagine-t-il écrire pour les autres sur une base régulière? « Ça ne serait jamais mon business principal; je le fais quand on me le demande, comme c’est arrivé avec Térez Montcalm, par exemple. Bizarrement, comme je suis auteur-compositeur et que je me suffis à moi-même, mon premier réflexe n’est jamais de penser que d’autres personnes pourraient avoir besoin de chansons, et encore moins des miennes! »

« Je ne sais pas si c’est parce que je suis plus exigeant lorsque j’écris en français, mais au final, il n’y a qu’une chose qui compte: il faut que la toune soit bonne. »

Si Ian Kelly semblait si content au moment de la sortie du disque, c’est aussi parce que le Superfolk qu’on connaît aujourd’hui a bien failli ne jamais voir le jour. On se rappellera que le chanteur avait défrayé la manchette en début d’année en annonçant sur les réseaux sociaux que le disque dur contenant toutes les chansons du disque, ainsi que la copie de sauvegarde, avaient été dérobés dans la voiture dont il avait oublié de remonter les fenêtres. L’affaire a fait jaser pendant quelques jours, au point où certaines mauvaises langues ont même cru qu’il ne s’agissait que d’un canular destiné à créer un peu de publicité autour de la sortie de l’album. Pourtant, il y avait bien eu vol; mais grâce au père du malfaiteur, Ian a pu récupérer ses enregistrements sans trop de mal.

« Au final, cette expérience a surtout été positive, explique Ian. C’est sûr, j’ai mal filé pendant un jour ou deux, mais la réaction qui a suivi l’événement a été complètement renversante. J’arrivais au bout de ma marge de crédit et je stressais un peu à l’idée de recommencer le disque et je recevais des appels de musiciens qui voulaient venir jouer gratuitement pour que je le refasse! J’ai eu droit à des articles dans les journaux d’ici et du monde entier; j’ai ressenti beaucoup d’empathie à mon endroit et ça m’a un peu réconcilié avec l’humain. »

Même si le larcin a été commis dans une rue du quartier Parc Extension, le nouveau campagnard n’est pas du genre à dire du mal de la ville qui l’a vu grandir. Au contraire: Montréal, le joyeux single qui a propulsé l’album, est une véritable lettre d’amour à la Métropole « J’espère juste que les gens ne seront pas trop tannés de l’entendre l’an prochain parce je trouve qu’elle serait parfaite pour le 375e anniversaire de Montréal! » Avis au maire Coderre: voilà le genre d’hymne qui pourrait rallier toute la population de l’île! Avec une forte présence sur les ondes radio, c’est aussi l’un des plus gros succès de la carrière de Ian, qui, bien qu’il pratique plus souvent la langue de Richler que celle de Tremblay, n’en est pourtant pas à sa première chanson en français.

Ian Kelly« Je sais qu’au Québec, tu as beaucoup plus de chances de tourner en radio avec une chanson en français, parce lorsque tu chantes en anglais, tu es en compétition avec Coldplay et Rihanna. Mais je n’ai certainement pas écrit Montréal pour des raisons commerciales, précise Kelly. Au départ, je voulais que l’album soit moitié franco moitié anglo, mais en réécoutant certaines chansons en français, je trouvais qu’elles étaient plus faibles. Je ne sais pas si c’est parce que je suis plus exigeant lorsque j’écris en français, mais au final, il n’y a qu’une chose qui compte: il faut que la toune soit bonne. » Montréal est certainement l’une des très bonnes chansons de Superfolk, où l’on retrouve aussi la jolie Comme Un Loup qui, elle, évoque plutôt sa nouvelle vie de campagne que le monde urbain qu’il a quitté.

Aujourd’hui, fort du succès de son album, Ian Kelly sillonne les routes du Québec avec un spectacle en solo qu’il décrit comme un retour à la source. « C’est surtout une tournée qui me permet de jouer dans des petites salles plus intimes. D’abord parce que j’aime la proximité avec le public, mais aussi parce que je préfère de loin une salle de 200 places complètement pleine à une salle de 600 à moitié vide! » Ian offre également aux spectateurs l’occasion de repartir avec une clé USB contenant un enregistrement du concert auquel ils viennent d’assister, une liberté qu’il peut se permettre maintenant qu’il est complètement indépendant. « J’adore ma liberté et je peux te dire que les décisions se prennent beaucoup plus rapidement aujourd’hui, confirme le principal intéressé. Cela dit, je ne regrette pas du tout les années que j’ai passées avec un label: sans Audiogram, je ne serais probablement pas en train de ta parler de ma musique aujourd’hui. »

Au-delà de la tournée, Ian Kelly a quelques projets qui risquent de le garder occupé au cours de la prochaine année. Il devrait passer une partie de l’hiver à composer la bande originale du prochain film du réalisateur Marc-André Lavoie (Bluff, Y’en Aura Pas de Facile et Hot Dog), qui a aussi signé le clip de Montréal. Et l’été prochain, si tout va bien, on se rendra à Morin-Heights pour assister à la première édition d’un festival qu’il est en train de mettre sur pied en compagnie de son ami Éloi Painchaud et qui devrait s’appeler… Superfolk. « J’ai des projets plein la tête et beaucoup d’ambitions, c’est clair, mais l’argent n’en fait pas partie, précise Kelly. Tous les jours, je me considère chanceux de vivre de ma musique, mais tout ce que je veux, c’est faire des choses qui me font tripper et qui font du bien aux gens. »