Hubert Lenoir 2

Il aura fallu quatre ans pour réentendre sur bandes la voix – singulière et incarnée – de Hubert Lenoir, du groupe The Seasons. Nuance imposante, l’homme y va d’un effort solo, Darlène, qui paraît ces jours-ci sur Simone Records. Album né dans la résilience, et dans un élan à s’affranchir de cette relation amour/haine avec la tournée – de date en date, pratiquement sans arrêt, et dans un cycle aussi redondant qu’éloigné de la création à la base de l’aventure.

Il y a aujourd’hui un an quasi jour pour jour – au sortir d’un Olympia de Paris qui concluait le cycle qui aura duré plus de deux années – Lenoir s’est isolé dans son petit appartement de Québec et s’est immergé dans une transe d’écoute boulimique des albums de Prince, Brian Eno et Oscar Peterson à s’en saouler. Puis, il s’est jeté dans une euphorie, voire un nirvana créatif, comme il l’avait rarement fait jusqu’ici. Quelque chose de métaphysique et qui tire à bout portant dans tous les sens

Puis, eurêka : « Fuck off, je fais un opéra! »

Si, d’emblée, l’auteur-compositeur misait sur un album conceptuel, sa compagne Noémie D. Leclerc s’est vite greffée au processus: « Au même moment, elle écrivait son roman, on était côte à côte dans un appartement minuscule et à un certain point, j’ai décidé que les chansons allaient être le miroir de son récit (Darlène, Noémie D. Leclerc, Québec Amérique). » Une union créative des plus fluides à laquelle se joint leur complice Gabriel Lapointe qui présentera éventuellement une série d’illustrations ainsi qu’un film. Manifestement, l’ambition ne freine pas le principal intéressé.

Et si le succès fut considérable dans son ancienne incarnation, l’artiste a senti un besoin criant de donner un sens viscéral à la fresque qu’il créait, loin des ‘recommandations de l’industrie’ : « J’avais besoin de croire que ç’allait avoir un certain impact. Je veux tendre la main à ceux qui cherchent du différent, donner une voix à ceux qui ne se reconnaissent pas dans la culture dite ‘grand public’. Et je sens pourtant qu’Il y a quelque chose, un bagage de culture populaire, qui habite intrinsèquement ce que je fais. La culture, comme on la conçoit en ce moment, reste dictée par un establishment et j’ai voulu proposer quelque chose d’autre. »

Au bout du fil, le jeune homme est volubile et investit comme on l’entend rarement. Du haut de ses vingt-trois ans sonnants, la tristesse et la fatigue qui l’envahissaient il y a quelque temps ont laissé toute la place à la création au sommet de ses élans : « Je me gavais de soul et de Motown, Darlène a été mon antidote contre la tristesse. Je suis allé vers des méthodes plus DYI, moins conventionnelles d’entendre et de créer de la musique. J’avais une idée et un sentiment de ce que je voulais. Et par moments, je tombais pratiquement en transe, dans une zone où il n’y a pas de limite : là où il n’y a que la beauté pure qui surgit. »

Un exercice rigoureux porté par une constante réflexion sur l’art, à son état le plus brut, le plus dépouillé, et auquel on soustrait les dictats esthétiques : « On rajoute beaucoup d’étiquettes et de couches sur les œuvres – alors qu’un artiste est principalement à la recherche d’un sentiment de beauté le plus pur. »

Romantique indécrottable, Lenoir avoue connaître très peu l’opéra dans son incarnation classique – « Je n’ai jamais vu d’opéra quand j’étais jeune, mon contact avec ce genre s’est fait au travers des albums que ma grand-mère me donnait » – tout en étant plus familier avec les Starmania et autres opéras rock plus de son époque. Et s’il se, et nous, promet un spectacle aussi vibrant que l’album qui le sous-tend, le jeune homme – au physique androgyne donnant écho aux Bowie et Jagger des belles années glam – se contre-fiche impunément des attentes qu’il peut créer. Les disciplines se conjuguent, les idées martèlent les concepts, et le jet créateur est plus libre que jamais. Point. « Au fond, ce qu’on a fait, c’est un album punk. »

Voilà tout.