Hippie Hourrah« Avez-vous déjà été prêt à vous perdre ? »

La question sort du lot – parmi un tas d’autres lancées de manière théâtrale par un narrateur à la voix d’outre-tombe – sur Revenons au début, pièce qui ouvre le deuxième album de Hippie Hourrah, Exposition individuelle.

Un peu comme si on tentait, d’emblée, de nous mettre en garde à propos de ce qu’on est sur le point de vivre – c’est-à-dire un périple rock psychédélique de haute voltige, quelque part dans l’univers codé et quelque peu hermétique du trio montréalais.

« Ça peut être une manière de le voir », répond poliment Ralph Elawani, le narrateur en question, également co-auteur des textes de l’album, face à cette interprétation.

C’est que, pour Hippie Hourrah, cette réplique en ouverture s’inscrit dans un concept beaucoup plus large : celui de l’œuvre de l’artiste visuel québécois Jacques Hurtubise, qui tapisse l’ensemble des thèmes, des titres et du visuel de l’album. L’intro, tout comme deux autres interludes qu’on retrouve sur Exposition individuelle, agissent comme des contrepoints à ce concept éclaté, qui rend hommage à cette icône des arts visuels québécois qu’était Hurtubise. On comprend que c’est à l’artiste – et non à nous, simples auditeurs et auditrices – que s’adresse l’intro. Elawani y incarne un journaliste pédant, posant des questions sans queue ni tête à un Jacques Hurtubise silencieux, médusé devant tant de questions inutiles et réflexions profondément vides de sens.

« C’est le journaliste qui s’écoute parler », résume le narrateur, avant d’expliquer la genèse de l’idée. « Cédric [Marinelli, chanteur de la formation] et moi, on s’est mis à travailler en commun, en retraite d’écriture. On a regardé le catalogue d’exposition de Jacques, dans lequel il y avait des entretiens [menés par des journalistes]. On s’est amusés à regarder ce que disaient les entrevues et, souvent, on se rendait compte que c’était les mêmes questions qui revenaient. Quand un journaliste te demande, par exemple, ‘’C’est quoi ton processus d’écriture ?’’, tu te doutes qu’il est pas préparé… »

« …alors, justement, c’est quoi, votre processus d’écriture ? », s’empresse de demander l’auteur de ces lignes, avec une (grosse) pointe d’ironie.

« Pour vrai, le processus, y’est plate », répond Cédric Marinelli, le sourire dans la voix. « Mais ce qui est intéressant, c’est la ligne directrice. Alix Lepage (percussionniste qui accompagne le groupe sur l’album) a Jacques Hurtubise dans sa famille. On a eu accès à tous les cahiers de Jacques, il m’a envoyé tous ses livres [dans lesquels on retrouvait des photos de] toutes ses toiles – de sa première à la dernière. On a piqué quelques titres là-dedans, on a pris les idées qui nous parlaient le plus. »

« L’album est autour de Jacques, mais il est pas à propos de lui. C’est la porte d’entrée pour aller vers autre chose », nuance Ralph Elawani, qu’on peut considérer – officieusement du moins – comme le quatrième membre de cette formation constituée de Marinelli, du guitariste Gabriel Lambert et du batteur Miles Dupire-Gagnon.

En plus des références aux titres de ses toiles, Exposition individuelle évoque Hurtubise dans son esthétique. Le peintre a eu plusieurs phases artistiques, mais on le reconnaît notamment pour sa propension à peindre des formes abstraites aux couleurs vives.

 Hippie Hourrah, Video

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Il y a ça, de l’abstrait, de la couleur et de la vivacité dans l’album de Hippie Hourrah. On est dans le rock psychédélique, mais pas que. Ça tangue vers la pop, le yéyé et le folk. « À la base, on n’est pas dogmatiques. On n’a pu 20 ans non plus […] donc nos intérêts s’élargissent. Ça nous donne une palette de base qui est vraiment large », explique Lambert, issu du groupe indie rock montréalais Elephant Stone avec Miles Dupire-Gagnon.

« En vieillissant, on s’ouvre. On n’est pas puristes », ajoute Cédric Marinelli, qu’on a connu dans un sillon rock garage relativement puriste au sein des Marinellis. « Quand j’ai approché les gars après la longue pause des Marinellis – pause qui se poursuit d’ailleurs – je voulais faire quelque chose pour le plaisir de le faire. En pensant à rien, juste en se laissant aller. Je me suis ouvert à pas dire tout de suite ‘’non’’… Monsieur Marinelli est devenu un homme mature ! »

En quelque sorte, le parcours de Hippie Hourrah résonne avec l’œuvre de Hurtubise. Au-delà de son style, le peintre décédé en 2014 se distinguait avec un travail à la fois impulsif et rigoureux – deux caractéristiques qui définissent aussi ce que font les gars de Hippie Hourrah. L’impulsion spontanée du projet se conjugue à une démarche plus sérieuse qui, depuis la sortie du premier album homonyme en 2021, ouvre de belles portes d’entrée au groupe non seulement ici, mais aussi en France, où il a fait une mini-tournée en décembre 2022 – incluant un passage aux prestigieuses Trans Musicales de Rennes.

La création d’Exposition individuelle, un album beaucoup plus concis et contenu que son prédécesseur, est le reflet des expériences en concert du groupe. « On avait l’expérience de jouer sur scène, et on avait besoin d’avoir des pièces plus pop, plus rapides. Fallait créer des pièces qui nous permettraient d’amener [notre musique à un niveau] plus intense, plus accrocheur. On avait besoin de chansons avec un début et une fin. Et pour ça, je suis allé repiquer ma façon d’écrire des chansons que j’avais avec les Marinellis. »

Bref, Hippie Hourrah évolue, mais renoue avec son essence. C’est le genre de paradoxe qu’on peut atteindre lorsqu’on est vraiment prêt à s’immerger ou, plutôt, à se perdre dans la création.