La vie de Tally et de Mandee a radicalement changé dans les derniers mois. Sous contrat avec la compagnie d’édition américaine Sony/ATV Music, les deux autrices-compositrices montréalaises également connues sous le nom de Heartbeat convoitent maintenant rien de moins que le sommet de la pop internationale.

Tout commence en 2010. Invitées à une session d’écriture du producteur montréalais The OC, maintenant connu sous la bannière Retro Future, les deux jeunes femmes ont rapidement développé une chimie. « Ça a tellement cliqué que je l’ai invitée chez moi juste après pour qu’on crée ensemble. On a fait trois chansons le premier soir, se souvient Tally. Mais on voyait vraiment juste ça comme un hobbie. »

Les deux artistes apprennent les forces de l’une et de l’autre au courant de ces premières rencontres : Tally planche en grande partie sur les paroles, tandis que Mandee s’occupe principalement des mélodies. Cette dernière chante également les textes sur des démos, qu’elles envoient ensuite à de nouveaux artistes ou à des responsables de division A&R (artistes et répertoire), section d’un label chargée de la découverte de nouveaux talents. « Notre game, c’est de placer des chansons, et non de sortir un projet. On peut dire qu’on est des artistes en cachette », explique Mandee.

« Ce qui nous intéresse, c’est la racine des choses, la matière première de la création. », Mandee, Heartbeat

En neuf ans, les deux acolytes ont touché à plusieurs styles, du hip-hop au dance, en passant par le R&B et, plus récemment, le reggaeton. Elles ont écrit pour plusieurs artistes canadiens en pleine éclosion comme Benita, Keshia Chanté, Adam D. et Divine Lightbody, en plus de s’allier à des rappeurs montréalais reconnus comme Rymz, Zach Zoya et Nate Husser. La teneur de leur implication varie d’une collaboration à l’autre, passant d’une chanson complète à un refrain ou à un couplet.

« Des fois aussi, c’est juste pour stimuler l’inspiration d’un artiste. Mon bon ami Nate, par exemple, il est venu me voir parce qu’il avait envie d’avoir une nouvelle perspective sur sa création. Il me disait être exaspéré de la manière dont son cerveau fonctionnait. On est donc allés s’asseoir pour parler, et on a fini par écrire Tunnel Vision. Ça m’a permis de parler de trucs plus rough que d’habitude. C’était vraiment intéressant comme exercice. »

Et ce genre d’exercice de coulisses ne cache pas nécessairement une timidité ou une peur de s’afficher publiquement. C’est simplement une question de goût et d’intérêt, selon ce que disent les musiciennes. «La vie d’artiste, ça implique des spectacles, de la promo… Tout ça finit par couper du temps en studio. Nous, ce qui nous intéresse, c’est la racine des choses, la matière première de la création. On veut que les gens dans l’industrie connaissent nos forces et fassent appel à nous pour ça», explique Mandee.

C’est ce qui est arrivé en août dernier lorsque Heartbeat a signé son contrat avec Sony/ATV et Stellar Songs, une entreprise d’édition cofondée par Tor-Erik Hermansen (moitié du duo de producteurs pop norvégien Stargate), et gérée par le producteur britannique Tim Blacksmith et l’homme d’affaires Danny D.

C’est d’ailleurs par l’entremise de la femme de ce dernier, une Québécoise, que leur alliance a pris forme, au printemps 2018. À ce moment-là, Mandee travaillait dans un salon de bronzage. « Un jour, il y a un monsieur d’un certain âge qui arrive avec sa femme et qui s’assoit avec moi pour me parler pendant qu’elle bronze. Il me demande ce que je fais dans la vie et je lui dis que je fais de la musique. Il me dit : ‘’C’est vraiment spécial, car ma fille est mariée avec un big shot guy, un gars vraiment important dans l’industrie.’’ Il finit par me donner son courriel. Je suis un peu sceptique, mais j’en parle quand même à Tally, et on finit par lui envoyer des chansons. Deux jours plus tard, elle nous réécrit pour avoir d’autre matériel. Puis, après quelques courriels, on finit par la rencontrer, et son mari, Danny D, nous invite à venir le rejoindre à Los Angeles. »

En mai de la même année, Tally et Mandee se rendent donc à L.A. à leurs frais, et elles écrivent 19 chansons en deux semaines. Sur place, elles mettent en branle leurs contacts et rencontrent Keshia Chanté et JC Chasez, ex-’N Sync. Plus que satisfait de leur travail, Danny D leur promet un contrat… qui n’arrive malheureusement pas. « C’est là qu’on a compris comment l’industrie fonctionnait. Faut pas croire tout ce qu’on nous dit, tant que rien n’est signé », indique Mandee.

En octobre 2018, leur ami Barnev (choriste de Céline Dion) les invite à revenir à L.A., où elles feront encore une fois plusieurs rencontres importantes. De passage dans cette même ville, leur avocat Bob Celestin, l’un des plus reconnus au monde dans l’industrie de la musique, rencontre Danny D. Et la promesse d’un contrat resurgit. « Mais on attend, on attend… Et on reçoit rien. On a été assez moody jusqu’à la dernière journée », admet Tally.

Cette « dernière journée », le producteur Rodney Jerkins alias Darkchild (reconnu pour son travail avec Destiny’s Child, Lady Gaga et bien d’autres canons de la pop) les invite dans son « huge mansion » et ne perd pas de temps à leur faire une contre-offre. Dans les mois qui suivent, les compagnies d’édition APG et Kobalt en feront de même, ce qui pressera Stellar Songs et Sony/ATV d’aller officiellement de l’avant avec une offre. Des négociations s’ensuivront dès le mois de novembre 2018 pour finir par aboutir en août dernier.

Et, depuis, le nom Heartbeat résonne dans l’industrie américaine. Cet été, les deux autrices-compositrices ont participé à un camp d’écriture à Miami pour la chanteuse mexicaine Thalia, femme de l’ex-président de Sony, Tommy Mottola. C’est là qu’elles ont pour la première fois flirté avec le reggaeton. « On était complètement hors de notre zone de confort, admet Mandee, mais c’était une expérience fabuleuse, très enrichissante. »

« Plus que jamais, on veut toucher à tout et expérimenter. On veut absolument éviter de se mettre dans une boîte, poursuit Tally. Dès qu’une de nos chansons sonne trop comme quelque chose, ça veut dire qu’on est déjà en retard. Il faut toujours chercher le prochain vibe. »