La maison de disques Domino Records était déjà bien établie dans le monde de la musique quand son fondateur Laurence Bell a décidé de s’aventurer dans le secteur de l’édition.

Créée en 1993 avec son associé, Jacqui Rice, à Londres, cette société de disques anglaise s’est forgé lentement mais sûrement une réputation enviable pour les choix musicaux intéressants qu’elle offre chez les créateurs indépendants et par l’originalité de son esthétique. Dix ans plus tard, alors qu’elle signait avec le groupe écossais Franz Ferdinand, de Glasgow, l’entreprise avait déjà ouvert un bureau à New York (Domino a aujourd’hui aussi des divisions en Allemagne et en France) et s’était taillé une renommée internationale.

Quand il a fondé Domino Publishing à Londres en 2005 (le bureau de Brooklyn a ouvert en 2006),

« De plus en plus souvent, nous recherchons des talents au Canada. » – Jeff Pachman de Domino Publishing

Laurence Bell a décidé de contrecarrer la tendance qu’il voyait chez les étiquettes de disques qui lançaient des maisons d’édition pour mieux contrôler leurs revenus. Au lieu de cela, Bell souhaitait fournir aux auteurs une administration efficace et une aide créatrice, en travaillant activement dans le secteur de la synchronisation musicale. Dans le même esprit qui présida à la création de l’étiquette, Bell fit appel à Paul Lambden à titre de directeur administratif et commença à développer son entreprise de façon organique, du bas vers le haut.

« Bon nombre d’amoureux de musique sérieuse ont le plus grand respect pour Laurence Bell et le répertoire qu’il a lancé, » dit Jeff Pachman, directeur général de Domino Publishing en Amérique du Nord. « Et c’est ce qui nous a ouvert bien des portes quand nous avons fondé Domino Publishing, une entité distincte. »

Domino Publishing s’est développée rapidement depuis lors, se taillant une solide réputation en tant qu’éditeur « niche », avec une excellente palette d’artistes de genres variés, de l’électronique au rock et à l’indie (dont The Jesus and Mary Chain, Siouxsie and the Banshees) et la musique du monde (Buena Vista Social Club et Ali Farka Toure, entre autres).

La maison représente aussi un nombre grandissant d’artistes canadiens, dont Doug Paisley, les Junior Boys (Jeremy Greenspan et Matthew Didemus), les BRAIDS (Raphaelle Standell-Preston, Taylor Smith, Austin Tufts et Katie Lee), pour n’en nommer que quelques-uns. Domino Records et Domino Publishing représentent désormais toutes deux Katie Stelmanis du groupe Austra.

« De plus en plus souvent, nous recherchons des talents dans le Nord, » dit M. Pachman, « et

« Nous sommes redevables de la qualité des auteurs-compositeurs canadiens et de la musique créée au Canada. » – Jeff Pachman de Domino Publishing

nous sommes redevables de la qualité des auteurs-compositeurs canadiens et de la musique créée au Canada. J’ai bien l’impression que nous allons passer plus de temps à fouler la terre de ce pays. »

Pour le moment, M. Pachman dit que la maison d’édition tient à allonger sa liste d’artistes, malgré les défis que rencontre le secteur de la musique. « Il y a des rumeurs incessantes sur la mort de l’industrie du disque, admet-il, mais en tant qu’éditeurs avisés, nous avons été capables de croître rapidement. Nous avons bâti notre entreprise sur des bases solides et nous nous sommes efforcés d’offrir d’excellentes occasions aux auteurs. »

Pour ce qui est de l’avenir, M. Pachman s’attend à ce que Domino Publishing dépasse sont état d’éditeur « niche » tout en demeurant fidèle à ses racines. « Je pense que nous allons surprendre bien des gens dans les années à venir. »



En dix ans de carrière, le groupe The Besnard Lakes est devenu maître incontesté des ambiances sonores rêveuses et feutrées, se situant quelque part entre le rock progressif des années 1970 et la vague shoegaze des années 1990. Groupe à géométrie variable lors de ses premières années, il compte aujourd’hui dans ses rangs quatre membres : Jace Lasek (guitare, chant), Olga Goreas (basse, chant), Richard White (guitare) et Kevin Laing (batterie).

Né à la suite d’une rencontre déterminante (celle de Lasek et Goreas dans une école d’art de

J’ai l’impression qu’auparavant nous étions des fabricants d’émotions. Cette fois-ci, ce sont de vraies émotions à fleur de peau que l’on retrouve.

Vancouver), le groupe propose un premier album en 2003, le très floydien (et quelque peu brouillon) Volume 1. Plus soigné et recherché, The Besnard Lakes Are the Dark Horse voit le jour quatre ans plus tard. Paru chez les disquaires en 2010, The Besnard Lakes Are the Roaring Night poursuivait les explorations sonores poussées et le rock aérien, texturé et psychédélique du combo. Lancé le printemps dernier, Until in Excess, Imperceptible UFO, quatrième album du clan, devait initialement voir le jour en 2012.

« On voulait raccourcir la période qui sépare les albums et qui est habituellement de trois ans, mais plus on se mettait de la pression sur les épaules, plus on découvrait que ce qu’on enregistrait était mauvais. À vrai dire, on a enregistré beaucoup de matériel carrément merdique et inutile! Ainsi, on a cessé de s’imposer une date de livraison et on a commencé à produire de la musique à notre rythme, de manière naturelle. On était trop durs envers nous-mêmes. Lorsqu’on est en studio, qu’on se regarde et que les idées ne viennent pas, on est mieux de changer de stratégie, » raconte Jace Lasek, animé.

Élégant, enrobé de délectables et généreuses nappes de guitares, le space-rock de Until in Excess… se veut tout aussi raffiné que son prédécesseur. Recelant des harmonies et mélodies évoquant Brian Wilson, le Besnard Lakes nouveau pourrait paraître un brin moins sombre aux oreilles novices. Mais il n’en est rien. « Lorsqu’on a commencé à faire la promotion de l’album, nous sommes allés en Allemagne et en France et beaucoup de gens avançaient qu’il s’agissait d’un album plus léger, moins sombre et angoissé. Ça nous étonnait à chaque fois parce que le disque est vraiment très lourd pour nous tous. Il traite, entre autres choses, de la perte du père d’Olga. J’ai l’impression qu’auparavant nous étions des fabricants d’émotions. Cette fois-ci, ce sont de vraies émotions à fleur de peau que l’on retrouve sur ce disque très émotif et introspectif, » avoue le blondinet guitariste et chanteur de 40 ans.

Musique psychédélique
Difficilement classable, le son Besnard Lakes. Tantôt aérien, tantôt plus dense, parfois cinématographique ou un brin nostalgique, il révèle régulièrement de nombreuses couches de guitares soigneusement étalées. Jace préfère utiliser un seul mot pour qualifier la musique de son groupe : psychédélique. « Lorsque j’entends ce mot, ça éveille toujours mon intérêt et ma curiosité. Cela implique que l’on retrouve dans cette musique un niveau d’expérimentation, une liberté d’action et un désir de pousser les choses à leur limite. Ça se trouve un peu à être la philosophie du groupe : avancer à chaque fois, faire progresser le son le plus loin que l’on peut humainement le faire, » explique l’Albertain d’origine, copropriétaire du populaire studio Breakglass à Montréal.

Fan invétéré de Slayer, mais aussi de Spiritualized et Yes, le couple Lasek/Goreas est responsable des compositions éthérées et sophistiquées de Besnard Lakes. Perfectionniste jusqu’au bout des ongles, le tandem a besoin de s’isoler pour fonctionner adéquatement. « Règle générale, Olga et moi allons nous réfugier en studio et nous travaillons sur des arrangements de base. La plupart du temps, lorsque je chante, ce sont mes textes et lorsqu’elle chante, ce sont les siens. On discute un peu, puis on s’occupe des structures de base de la chanson. On pense à ce à quoi elle va ressembler lorsqu’elle sera complétée. Et ensuite, on fait entendre le résultat à Richard et Kevin qui s’occupent de fignoler les détails qui restent, » avance Lasek.

Montréal (cette ville)
Débarqué à Montréal il y a 13 ans, l’homme s’y sent aujourd’hui comme un poisson dans l’eau. Son attachement à la ville et à la scène musicale est évident. « Il y a une certaine fierté de dire que l’on fait partie de cette scène. Je ne l’ai pas vraiment réalisé jusqu’à ce que j’aille jouer à l’étranger. On parle énormément de Montréal. Cette scène est encore pertinente et pas mal vibrante. Elle a été chanceuse parce qu’il n’y a pas de son spécifique attaché à la ville. Cela a procuré une liberté d’expression extraordinaire aux artistes qui ont eu l’occasion d’essayer des choses et d’expérimenter sans avoir d’attentes particulières, » révèle-t-il.

Après avoir sillonné les routes européennes en mai dernier, la formation retourne en Europe ainsi qu’au Royaume-Uni en septembre. Elle poursuivra sa tournée sur la côte Ouest des États-Unis au mois de novembre. Sinon, beaucoup de travail attend Jace dans son studio. « Il y a toujours quelque chose à faire. Jamais de répit. On planchera sans doute sur un nouvel album des Besnard Lakes prochainement. Cette fois-ci, on souhaite vraiment le faire paraître plus rapidement! Mais on ne sait jamais avec ce métier. Les imprévus sont nombreux! »



Caféine a fait paraître au printemps New Love, un sixième album sur lequel s’enchaînent une dizaine de brûlots rock bien sentis. À 37 ans, l’artiste originaire de l’Outaouais est devenu un vétéran de la scène punk rock qu’il arpente depuis deux décennies. La fougue et la sincérité des débuts y sont toujours et Xavier s’est trouvé, chemin faisant, de nouveaux complices. Petit bilan d’une épopée rock loin d’être terminée.

Que d’une peine de cœur origine un album et des chansons déchirantes, il n’y a là rien de nouveau sous le soleil. Mais qu’un album issu d’une blessure amoureuse libère une énergie aussi immédiate et contagieuse, c’est plus rare. Aucune lourdeur sur le dernier album de Caféine, plutôt cette tension rock, ces sons de claviers jubilatoires évoquant les Cure, Joy Division et PIL. « En art, c’est la sincérité qui me touche le plus. Alors j’y suis allé à fond : je propose de petits tableaux des émotions qu’on traverse après une rupture amoureuse. Aucune morale ici; je me tiens loin de ça en général! Bien sûr, il y a eu une part d’exorcisme dans ce processus. Tout ça m’a amené à revoir ma conception du sentiment amoureux : l’amour est beaucoup plus grand que ce que je croyais. »

Enregistré à Montréal et mixé à New York en compagnie du tandem Gus Van Go/Werner F (Les Trois Accords, Les Vulgaires Machins, Chinatown), New Love est le sixième album de Caféine. « Gus est lui aussi amoureux de la new wave; ça a cliqué entre nous, on parlait le même langage et on partageait les mêmes références musicales. C’est facile de se rendre à destination quand on pilote de la même façon avec chacun ses forces. »

À l’écoute de chansons comme « Electric », « Lettre d’amour » et « Love Disease », on se dit que même si ce son n’est pas le plus original, que l’oreille est déjà passée par là, Caféine est toujours resté fidèle à lui-même, qu’il a fait l’album qu’il voulait faire et qu’il sait ficeler un refrain qui fait mouche. Ce garçon a du métier, ça s’entend. L’industrie musicale, les changements qu’elle a subis, ses nouveaux paramètres, de quel œil voit-il cela? « Il y a toujours un bon et un mauvais côté à tout changement et la capacité d’adaptation est un signe d’intelligence. D’accord, la musique s’est démocratisée, c’est plus difficile de vendre des albums… Si des gens ont téléchargé mon album gratuitement, qu’ils l’écoutent et l’apprécient, je ne peux pas en être malheureux, surtout s’ils viennent ensuite au spectacle, s’achètent un t-shirt, etc. Il y en a qui s’emploient à glorifier le “bon vieux temps”, c’est eux qui te disent “ah j’ai pas suivi, j’écoute plus de nouvelle musique, j’ai pas le temps”. Quand t’as plus le temps d’écouter de la musique, c’est que t’es rendu vieux, mon ami. »

Trente-sept ans est un âge presque vénérable lorsqu’on est issu de la scène punk. Peut-on parler de maturité ou ce serait contraire à l’esprit rock? « Mes modèles sont restés gamins toute leur vie. Plume, Iggy Pop, David Bowie ou encore Joe Strummer des Clash, mort ado à 50 ans. Je ne souhaite pas mourir à cet âge, mais j’essaie de vivre à fond pour que si jamais la vie m’arrachait à ce monde, je puisse sentir au dernier moment que je suis allé au maximum de ce que je pouvais faire. La vie, à mes yeux, c’est un grand périple dans lequel on fait plein de petits voyages. Il faut sortir de sa ville, de sa zone de confort. C’est pas vrai que la vie c’est d’écouter La guerre des clans à 17h en arrivant sous prétexte qu’il n’y a rien d’autre à faire. Pour moi c’est la mort de l’âme et quand je tombe là-dedans, je m’organise pour en sortir vite. Rendu au bout, je veux pouvoir me dire : “Wow! J’ai presque fait le tour du monde, j’ai fait mes albums, j’ai aimé de tout mon cœur, eu de bons parents… Je veux que le bilan soit solide!” »

Parlant d’aller ailleurs, en lançant un album en anglais, son second depuis l’aventure Poxy en 2004, Xavier ne s’en cache pas, c’est dans le but avoué de faire voyager sa musique et ses souliers. «  Je viens d’Ottawa alors je parle très bien anglais, ce n’est pas difficile pour moi, c’est a walk in the park. Il y a deux chansons en français sur New Love et j’y tenais. J’ose croire que je suis de ceux qui sont capables de faire sonner la musique rock en français comme quelque chose de naturel, qui ne soit pas forcé et je n’ai pas envie de perdre ma place dans le paysage musical québécois. » Caféine a été omniprésent sur les scènes du Québec cet été et le sera tout l’automne. Il nous a donné avec Gisèle, l’un des albums francophones solides du mitan des années 2000. Il ne quitte pas son public franco, au contraire!