Réalisateur, scénariste et comédien, Émile Proulx-Cloutier souhaite faire ses classes et participe au Festival en chanson de Petite Vallée en 2011. Coup d’éclat. L’homme y rafle pas moins de sept prix. Une expérience particulièrement concluante qui l’amène à user ses semelles sur d’autres scènes, puis à présenter en novembre 2013 un premier album : Aimer les monstres. Servi par la délicate réalisation de Philippe Brault (Pierre Lapointe, Random Recipe), le disque recèle des histoires sordides et de sombres personnages, comme cette vieille dame désabusée (« Le tambour de la dernière chance ») ou cet ado troublé (« Aimer les monstres »). Émile estime que le fait d’être comédien et scénariste aide à nourrir son imaginaire foisonnant d’auteur de chansons.

« Aller jouer dans des zones émotives qui ne sont pas les miennes est excitant. Se mettre dans les bottines de quelqu’un qui n’a pas mon parcours mais pour qui je peux avoir une certaine empathie m’allume. En fouillant, il y a quelque chose d’humain qui nous relie tous. En même temps, je veux y mettre du mien. Car au détour d’une phrase, il y a des éléments très personnels que je révèle. Le cadre du récit est fictif, mais ensuite on le remplit de révélations pour lui donner du relief. Au-delà de puiser dans nos expériences, on doit mettre le tout au service de ce qu’on raconte. Souvent, j’ai remarqué que mes personnages changeaient d’idée pendant la même chanson! Comme dans “Votre cochon se couche”. Être scénariste et comédien, ça aide à se construire une méthode et à placer les éléments du décor d’une chanson, » raconte l’artiste particulièrement volubile.

« J’essaie d’organiser ma vie afin de toujours avoir un ou deux projets intéressants à la fois. »

Avec un premier album sous le bras à l’âge de 30 ans, Émile considère que la pression était forte. Pas question de faux pas. Sa notoriété de comédien/scénariste/réalisateur lui pesait plutôt lourd sur les épaules. « J’ai traversé plusieurs processus créatifs dans une multitude de sphères, vu des créateurs travailler, été confronté à des hauts, des bas, des échecs. J’ai reçu des trophées et des mauvaises critiques. J’ai déjà un certain bagage, mais mon parcours est particulier et je ne me sens pas nécessairement blindé par rapport à ça. D’une part, c’est la première fois que je livre un objet aussi personnel où je suis l’élément central et c’est fragilisant. D’autre part, lorsque tu sors un disque à mon âge, ça ne peut pas être un coup de pratique. Il a été peaufiné, mûri, gossé pendant longtemps. J’avais l’impression de miser gros. Souvent, des personnalités tentent un saut en chanson et le résultat n’est pas heureux. Je ne voulais pas que ce disque soit un caprice de comédien de télévision, » affirme-t-il.

Fin observateur des travers de l’âme humaine, talentueux pianiste et habile raconteur, Émile Proulx-Cloutier parvient diligemment à concilier sa carrière d’auteur-compositeur-interprète et ses nombreuses autres activités dans la sphère artistique. « J’ai de l’admiration pour des gens comme Robert Morin et Robert Lepage qui parviennent à tout faire, les petits comme les grands projets. Tous les métiers que je pratique sont faits de moments pleins et vides. Il y a des saisons où il ne se passe rien comme acteur. Sur le plan créatif, j’essaie d’organiser ma vie afin de toujours avoir un ou deux projets intéressants à la fois. Peu importe le médium. J’aime multiplier les rencontres de création. Toute ma vie, j’ai réussi à travailler de la sorte. Je serais malheureux dans une monoculture. Je suis fait comme ça. C’est profondément ancré dans ma nature. »

Si l’industrie musicale actuelle est vacillante, Proulx-Cloutier ne s’inquiète pas outre mesure. Il croit fermement que le public demeure curieux et affamé d’histoires et de poésie et que l’artiste moderne doit miser sur la scène. « Lorsque je pense au nombre de disques que j’ai vendus et à quoi pourrait correspondre ce chiffre il y a 20 ans, ça me fait rire! Mais il y aura toujours cette soif pour faire vivre des expériences aux gens en spectacle. Et c’est sur ça qu’on doit bâtir pour les prochaines années. Il faut trouver une façon vivante et personnelle de livrer ce qu’on fait. Je crois qu’on peut faire vivre des effets de montagnes russes aux gens avec de petits moyens. Il faut rester accessible, pertinent et intéressant. Le public, le “vrai monde” est prêt à s’aventurer beaucoup plus loin que ce l’on croit. Il y a moyen de leur parler, de les faire tripper. On est rendu à une époque où les modes se superposent. Ce qui est ancien et nouveau peuvent cohabiter. Je ne vénère pas les formes. Je vénère ce qui est vrai, juste et fait avec courage. »

En plus des tournages pour la télésérie Toute la vérité qui reprennent au mois de mars, Émile tourne un documentaire (Choisir la terre) avec sa conjointe, la réalisatrice Anaïs BarbeauLavalette. Le tandem offrira également une expérience scénique particulière en mai à la Place des Arts. Et les spectacles musicaux dans tout ça? Une quinzaine ce printemps avant la rentrée au Théâtre Outremont en avril. Puis, une « vraie tournée » (comme le précise le principal intéressé) suivra en septembre. Chose certaine, le jeune homme n’a pas fini de nous charmer avec son cinéma pour les oreilles. « C’est complètement ça mon projet! L’important est de soutenir le récit et de provoquer des images dans la tête des gens. Je veux toujours qu’il y ait un petit film intérieur. Je ne sais pas si une chanson peut atteindre le même degré de puissance qu’une grande toile de Michel-Ange, mais la différence est que la toile n’est pas chez toi! Les chansons, c’est accessible. Et la langue française, c’est magnifique. La langue de nos mères sonne à un endroit particulier dans nos cœurs. Il faut frapper sur ce tambour. Parce qu’on ressent un réel bonheur intérieur lorsque notre langue sonne fort! »