Certaines rencontres sont déterminantes et peuvent même provoquer des naissances professionnelles. C’est grâce à une amie commune qu’Eduardo Noya Schreus rencontre Xavier Dolan. L’amie avait partagé au jeune réalisateur des pistes de musique électronique de NOIA, projet d’Eduardo Noya Schreus et d’Ashley Long. En moins de 24 heures, Dolan écrit à Noya pour organiser une rencontre. « Nous avons beaucoup marché et parlé ensemble. Puis nous sommes allés chez lui pour écouter de la musique. Par la suite, Xavier m’a avoué qu’il ne savait pas ce qu’il voulait comme musique pour son film jusqu’à ce qu’il écoute ma musique. Il avait alors trouvé le son qu’il cherchait. » Le Canadien d’origine péruvienne se voit alors confier la bande sonore de Laurence Anyways.
Les deux hommes ne se verront ensuite qu’un an et demi plus tard, dans un studio de post production. Toutefois, Noya garde Dolan proche du processus de création par de nombreux échanges courriel où des pistes sonores sont mariées à des images du film. Dolan est un réalisateur qui aime commenter, tout en assurance par rapport au contenu musical de ses films. Ces échanges, cette nécessité d’une rencontre entre créateurs, Noya y voit là le fondement de son processus de création, lui qui est un autodidacte de la musique.
« Les films ont la plupart du temps des musiques « guides » placées par le monteur ou le réalisateur qui me donne une référence, une idée générale de l’ambiance désirée dans une scène. Je suis parfois cette intention. Quelques fois, je crée en m’inspirant des images qui me sont présentées. Mais la plupart du temps, c’est une rencontre, une discussion en profondeur avec le réalisateur sur le projet et sur nos vies qui alimente la création. Oui, on me donne parfois le scénario, mais cela ne m’inspire jamais. Les images, comme la musique, ont une empreinte instantanée sur nous. Et le lien entre les deux est ici essentiel. » Son travail sur Lawrence Anyways permet à Eduardo Noya Schreus d’être le lauréat en 2013 d’un Canadian Screen Award pour la meilleure musique de film.
Malgré cette expérience positive, l’implication de Noya pour le film suivant de Dolan, Mommy, ne va pas de soi. Le compositeur est appelé en catastrophe, après le travail effectué par un précédent compositeur. Une situation particulière que Noya a embrassée avec une pointe de fierté. « Je suis content d’avoir pu trouver des solutions. Ce film avait un montage très collé à sa musique de référence, ce qui rendait difficile de la remplacer par de nouveaux extraits. Et à ce niveau, mon plus grand défi fut la scène finale où Diane se retrouve seule, en larmes. Cela me prit un certain temps à trouver une musique adéquate pour ce moment. » Pour son travail de composition musicale sur Mommy, Eduardo Noya Schreus remporte le Prix Musique de film lors du Gala de la SOCAN 2016 à Montréal.
Étrangement, cette situation de remplacement se répète quelques mois après sur la série télévisuelle Versailles, production franco-canadienne au budget de 33 millions de dollars. On a de nouveau fait appel à Schreus lorsque les producteurs ont décidé de changer de compositeur. « Ils n’aimaient pas l’arrimage initial entre les images et la musique, ils le trouvaient trop… classique », explique l’artiste. « Le réalisateur, Jalil Lespert a décidé d’aller dans une tout autre direction et s’est tourné vers la musique électronique. Et ç’a cliqué. Le plus grand défi avec cette série, c’est sa rapidité. C’est comme composer de la musique pour plusieurs films en même temps. » Après avoir signé environ la moitié de la musique de la première saison de 10 épisodes (l’autre moitié fut composée par Michel Corriveau), on a demandé à Schreus de répéter l’expérience pour la deuxième saison.
Bien que le Montréalais compose dans un petit studio maison à quelques pas de son appartement, l’homme retourne encore à la musique le soir venu. Sa musique. Si NOIA faisait partie de sa vie avant l’arrivée de ce métier de compositeur, cette première entité musicale demeure toujours active, le nourrissant tout autant. En 2014, les performances de NOIA sur scène leur doivent le prix « best electronic act » dans le magazine montréalais alternatif, CULT. Et selon Eduardo Noya Schreus, NOIA est loin d’être terminé. « Ma musique personnelle est mon projet le plus important. Je compte lancer un album studio cette année et un autre, l’année prochaine. Nous allons bientôt recommencer à faire des spectacles lorsque nous nous sentirons prêts avec le nouveau matériel. Mon plus grand rêve, c’est de faire de la musique, encore et toujours, et ce jusqu’à ce que mon corps me lâche. »