La Montréalaise DJ Killa-Jewel, que plusieurs ont découvert cette année comme DJ du concours rap télévisé La fin des faibles, a renouvelé son approche musicale sur Sagittarius, cet EP de quatre titres, le premier qu’elle publie à vie sous un label – en l’occurrence Hydrophonick Records, branche hip-hop d’Indica Records.
Alors que son précédent projet Reckless, paru de manière indépendante l’an dernier, mettait de l’avant le talent de plusieurs rappeurs (Wasiu et Nate Husser notamment), Sagittarius est un «vrai» projet solo, sur lequel la musique de Killa-Jewel vit par elle-même. Une seule pièce (l’accrocheuse Without You) intègre une voix non échantillonnée, et c’est la sienne. « Produire de la musique dans l’intention de collaborer avec un rappeur ou un chanteur, c’est très différent que de composer de la musique instrumentale. Ça m’a amenée à créer une musique plus dynamique, qui a comme but de distraire et d’intéresser constamment le public. Ça vient avec une plus grande liberté de création. »
Avec ses influences trip-hop et techno, ses sons planants et ses références à l’astrologie, Sagittarius propose une signature trap astrale assez unique en son genre. Les scratchs de DJ Killa-Jewel surplombent avec parcimonie le mélange des styles susmentionnés. « Au début, je n’étais pas certaine d’intégrer des scratchs à tout ça. Je n’étais pas sûre que c’était encore intéressant en 2021, des scratchs. Mais [les gens chez Hydrophonik] m’ont dit : ‘’Tu dois absolument en mettre ! C’est ta signature !’’ Ils m’ont donné une belle opportunité de marier mon style originel et mon nouveau style. »
En plus d’incarner l’ambiance céleste du projet, le titre du EP représente le signe zodiaque et la personnalité de la DJ, productrice et chanteuse, qui a 42 ans en novembre. « Une sagittaire, c’est quelqu’un qui aime sa liberté. C’est un signe associé aux gens passionnés, qui aiment prendre des risques et qui veulent vivre leur vie au maximum. C’est exactement de cette manière que je vis ma vie. It’s been a wild ride ! »
La tête dans les étoiles depuis l’enfance, cette fan invétérée de Star Trek a fait ses premières armes en tant que DJ au milieu des années 1990. « C’est mon premier chum qui m’a montré les bases du DJing, quand j’étais encore au secondaire. On passait des heures chaque jour à jouer et à mixer [avec ses tables tournantes]. On a commencé à se produire dans les house parties de nos amis. La musique était ma drogue. »
Quelques années plus tard, un appel téléphonique change sa vie : celui de DJ Qbert, un as des tables tournantes aux États-Unis. « Je vivais encore chez ma maman, quand la ligne a sonné. La personne au bout du fil me dit : ‘’Hi it’s Q !’’ J’étais sans mots ! Je lui demande comment il a trouvé mon numéro. Il me répond : ‘’I just heard of you…’’ Et il m’explique qu’il est en train de produire un DVD d’apprentissage des techniques de scratchs et qu’il cherche des jeunes DJs [pour y participer]. Il me demande de scratcher au téléphone pour lui, juste pour voir si je passe le test. Et il termine en me disant : ‘’Ok, c’est parfait. Envoie-moi une vidéo et je vais la mettre sur le DVD !’’ »
La DJ a ensuite partagé la scène avec QBert à quelques reprises, notamment aux côtés de MixMasterMike (une autre légende du turntablism) durant la compétition de sports extrêmes des X Games il y a quelques années.
Au niveau local, c’est toutefois sa rencontre avec un autre artiste de renom qui a été marquante à ses débuts : celle de Robert Lepage. Le metteur en scène a fait appel à Killa-Jewel dans les années 2000 pour ses pièces Zulu Time et The Busker’s Opera, des expériences qui dépassent largement le cadre de la musique.
« Quand tu travailles avec Robert, tu dois t’attendre à ce qu’il utilise les talents de tout le monde pour différentes choses. Pour The Busker’s Opera, par exemple, je me suis retrouvé à chanter de l’opéra, à interpréter un rôle, à jouer du piano et à scratcher. Ça a été une occasion en or pour moi […] Et maintenant quand je suis sur scène, j’essaie de penser ‘’out of the box’’ comme peut le faire Robert. Je m’arrange pour rendre mes spectacles les plus dynamiques possibles. Je fais du live looping, je chante, je joue du piano, je scratche… C’est un one-woman-show. »
Cette expérience avec Lepage lui a aussi permis de découvrir le monde. Paru en 2014, son premier album Saudade est le fruit d’une quête de vinyles qu’elle a réalisée en grande partie durant ses tournées théâtrales. « Saudade, ce sont les sons que j’ai trouvés en cours de route. C’est un carnet de voyage. Le problème, c’est qu’il y avait trop de samples et que je n’ai jamais eu le budget pour payer tout ça », dit-elle, évoquant une sortie indépendante limitée, essentiellement concentrée sur son site web et Bandcamp. « Ça été une importante expérience d’apprentissage. »
L’apprentissage s’est poursuivi dans les dernières années. Killa-Jewel a troqué le MPC-2000 et l’échantillonnage contre le logiciel Ableton Live et la composition. « Le son de mes productions est devenu vraiment plus électronique. Ça a carrément changé mon style. »
Révélé sur Reckless, ce changement de style se confirme sur Sagittarius. Et ce nouveau souffle musical concorde avec un nouveau souffle dans sa carrière, autant symbolisé par sa signature avec Hydrophonik que par sa participation à La fin des faibles – dont la deuxième saison a d’ailleurs été récemment confirmée.
« Quand la pandémie a commencé, je me suis mis à passer le plus de temps possible en studio pour vraiment peaufiner ma production. Je me suis mis à magasiner des labels et, entre-temps, j’ai eu l’appel d’Urbania [producteur de La fin des faibles]. Ça a été un momentum extraordinaire, vraiment inattendu. Je suis très chanceuse. »
Mais ce n’est pas juste une question de chance. Le Sagittaire est réputé pour sa grande débrouillardise.