On peut supposer sans se tromper que peu d’artistes apprécient les avantages de l’enregistrement à domicile plus que l’auteur-compositeur-interprète Tlicho Digawolf (né Jesse James Yatlayi). Profondément déterminé à demeurer dans sa ville natale de Yellowknife, au Territoires du Nord-Ouest, le l’artiste qui a été finaliste aux JUNOs à deux reprises est parfaitement conscient des défis logistiques et financiers que représente le fait de devoir se déplacer loin pour réaliser un album.

La création de son album Distant Morning Star paru en 2009 a nécessité un long séjour dans un studio de Toronto tandis que Yellowstone – paru en 2019 et qui lui a valu une nomination aux JUNOs dans la catégorie Artiste ou groupe autochtone de l’année – a été enregistré dans une grange au Danemark.

L’album Ini, qui vient tout juste de sortir, a été principalement enregistré dans le studio du sous-sol de la maison de Digawolf dans le Grand Nord, reflétant sa maîtrise accrue des techniques d’enregistrement maison. « Il n’y a pas une tonne d’options quand on parle du Nord », dit-il. « Il est probable que tu doives porter plusieurs chapeaux ici. Tu ne peux pas juste passer un coup de fil à un producteur, un ingénieur ou un auteur-compositeur, et il n’y a même pas tant de musiciens que ça. »

Ce projet a vu le jour sous la forme d’une collaboration avec le producteur et DJ torontois Jason Spanu. « L’idée de base était d’explorer des idées et de se les présenter l’un l’autre afin de coproduire tout l’album », raconte Digawolf. « On a travaillé ensemble sur les pièces “Seiga Dahte” et “Ehtsee”, mais j’ai continué à travailler sur les autres pièces en utilisant des techniques que Jason m’a montrées sur Ableton [une station audio numérique]. »

Digawolf, Segia Dahte, friend how are you

Cliquez sur l’image pour faire jouer la vidéo « Segia Dahte (friend how are you?) » de Digawolf

Ini présente des explorations sonores aventureuses et atmosphériques, et des chansons qui reflètent l’expérience de Digawolf de vivre et travailler à Yellowknife. Tous les textes sont écrits en tlicho, la langue qu’il parlait à Behchoko, la capitale de la nation tlicho au Nunavut, où il a grandi. « Une partie de moi est vraiment honorée de pouvoir encore parler cette langue, car je sais que de nombreuses personnes perdent leur langue », dit-il.

Toute l’ambiance de l’album évoque son environnement. « J’ai toujours essayé de capturer l’essence du Nord et j’ose espérer que j’y arrive de temps en temps », déclare Digawolf. « À mes débuts, j’étais bédéiste et peintre et il y a toujours un petit pinceau derrière chacune de mes idées. J’ai l’impression que je peins encore, mais avec des sons. »

Digawolf affirme que le classique album de Tom Waits intitulé Rain Dogs a changé sa vie quand il était jeune. « Je devais avoir environ 12 ans quand j’ai sauvé cette disque compact d’une poubelle », raconte-t-il. « Quelqu’un l’avait jeté parce qu’il trouvait que Tom sonnait comme Cookie Monster, mais moi je n’étais pas capable d’arrêter de l’écouter. J’ai cinq frères plus âgés et j’ai toujours suivi leurs goûts musicaux. Mais avec Tom Waits, j’avais enfin trouvé ma musique. J’écoute encore cet album quand j’entreprends un nouveau projet. »

La voix bourrue de Digawolf et son « spoken word » attirent souvent des comparaisons avec Waits, Leonard Cohen et Robbie Robertson, tandis que les points de référence de ses guitares manipulées incluent Daniel Lanois et Robert Fripp. Citant Lanois comme source directe d’inspiration, Digawolf avoue ouvertement espérer travailler avec lui un de ces jours.

Nul doute que Lanois serait intrigué par le penchant de Digawolf pour l’expérimentation sonore avec la guitare. « C’était mon premier instrument, et j’aime toujours explorer de nouvelles idées et de nouveaux sons à la guitare », dit-il. « Essayer de trouver la pédale de guitare la plus récente est une obsession sans fin. En ce moment, ce que je préfère c’est utiliser une “lap steel” avec un “e-bow” et deux pédales de fuzz avec un délai. Tu entends le résultat sur [la nouvelle pièce] Ini. »

Malgré les défis de la vie dans le Nord, Digawolf est fier de travailler sur son territoire. « Il y a longtemps, j’ai envisagé de déménager dans le Sud, mais c’est le Nord, ma maison », dit-il. « C’est fantastique de pouvoir faire ce que tu aimes en restant chez toi. »