Durant notre entretien, Dan Boeckner tente de répondre à la question « Dans combien de groupes joues-tu en ce moment? »

C’est une question épineuse, mais qui doit être posée en raison de l’horaire de création, d’enregistrement et de prestations on ne peut plus chargé de cet homme-orchestre — sans mauvais jeu de mots.

« Pour le moment, je suis dans deux groupes », dit Boeckner profitant d’une pause dans le rodage pour se rendre à WFUV 90,7 FM, à New York. « Puis il y a Divine Fits qui hiberne, alors on pourrait dire trois. »

Pause. « Je crois. »

Donc, outre l’hibernation de Divine Fits, où il collabore aux côtés de Britt Daniel, de Spoon, les deux choses qui divisent son attention sont la réunion de Wolf Parade qui sera l’occasion de nombreux spectacles durant l’été et l’automne 2016, ainsi qu’Operators, la raison pour laquelle il se trouve actuellement dans un studio de radio de Brooklyn.

« Quand je vivais de boulots merdiques, mon seul rêve était d’avoir suffisamment de temps pour faire de la musique a plein temps. C’est ce que je fais, maintenant. »

« Mon temps sera divisé assez équitablement avec un léger avantage à Wolf Parade jusqu’en novembre », explique l’artiste au sujet de l’équilibre entre Operators et Wolf Parade.

Operators, qui fait dans le dance rock dynamique aux relents new wave, est né de la désintégration de son groupe Handsome Furs lorsque son mariage a Alexei Perry a pris fin. Le groupe a également comme membres la claviériste macédonienne Devojka, le batteur Sam Brown (New Bomb Turks) et du bassiste Dustin Hawthorne (Hot Hot Heat). Le premier album du groupe, Blue Wave, est paru le 1er avril 2016 et selon Boeckner, tous ces anciens groupes sont reflétés dans ce disque.

« Operators est vraiment l’aboutissement de nombreux outils que j’ai appris et développés au sein de Handsome Furs et Wolf Parade », confie l’artiste. « De bien de façons, c’est en quelque sorte la suite logique de Handsome Furs. Avec le recul, je trouve dommage de ne pas pouvoir appeler ce groupe Handsome Furs, mais c’est la vie. »

Blue Wave a été inspiré en grande partie par le temps qu’a passé Boeckner du côté pauvre de Silicon Valley à lire les dystopiques nouvelles de Phillip K. Dick. Le résultat est ce côté rétro futuriste à la Blade Runner qui informe la majorité des chansons sur Blue Wave. On entend des échos de New Order sur « Cold Light », du dance punk à la The Clash sur « Evil », et même une citation de « Self Control » par Laura Branigan sur la pièce « Space Needle », le tout bien enrobé de synthés qu’on pourrait qualifier de new new wave.

« J’habitais dans une banlieue qui ne profitait pas du tout de la croissance et de la richesse quasi indécente qui est concentrée à Silicon Valley », raconte Boeckner. « C’est un sentiment très dissociatif que j’ai tenté de traduire. »

Mais, en fin de compte, tout ce qui compte, c’est la musique. C’est ce qui explique que Boeckner est dans au moins deux groupes et demi, en ce moment.

« Lorsque j’ai terminé l’école secondaire, tout ce que je voulais c’était de jouer dans un groupe », se souvient Boeckner. « En fait, je ne voulais pas simplement jouer dans un groupe, je voulais écrire des chansons et les jouer en spectacle. »

« J’ai encore de la difficulté à croire que lorsque je me rends dans une salle de spectacle, je m’en vais au “travail”. Quand je vivais de boulots merdiques, mon seul rêve était d’avoir suffisamment de temps pour faire de la musique à plein temps. C’est ce que je fais maintenant et depuis 10 ans. Alors, si je n’en profite pas et que je perds cela de vue, on pourra dire que je suis un trou de cul. »

 



« Après le succès de l’album Chill’em All, je me suis cassé la tête à vouloir faire différent et compliqué. Je voulais prouver aux gens que je pouvais les surprendre à tous les coups. Leur montrer que j’étais beau, bon et intelligent. Quelle connerie! »

Champion  ne mâche pas ses mots. En entrevue pour la parution de son album électro-pop Best Seller, un titre à ne pas prendre au sérieux, le musicien analyse son travail avec une franchise déconcertante. Preuve de son autocritique implacable, l’artiste va jusqu’à utiliser le terme «poche» pour qualifier une pièce de son nouveau disque.

« Non, c’est vrai. Lead On n’est pas une très bonne chanson. J’aurais aimé la travailler davantage, mais j’ai eu du fun à la faire. Je l’assume complètement. » On a beau le rassurer, lui dire que la mélodie de guitare aérienne est accrocheuse et que son chant désordonné donne de l’âme à la chanson, celui que les douaniers appellent Maxime Morin reste dubitatif. « J’irai la réécouter d’abord. »

À l’instar de trois autres titres de l’album, dont le ver d’oreilles Life is Good, Lead On aurait dû se retrouver sur un album lancé tout de suite après le maintenant mythique Chill’em All (2004). Or, le disque n’a jamais vu le jour. Dans une période de remise en question artistique, Maxime avait relégué la production aux oubliettes après quelques mois de travail. Il avait fait table rase pour finalement accoucher de Resistance après des années d’attente. De son propre aveu, il venait de tomber dans le piège de l’intellect. « J’ai flushé tout ce que j’avais fait parce que dans ma tête, ça ressemblait trop à Chill’em All. J’avais aussi été renversé par le Classics de Ratatat et je ne savais plus où me positionner. J’ai toujours cru à la spontanéité et à la simplicité. Chill’em All, c’est ça. Mais là, j’avais oublié ces beaux concepts. Le désir de plaire, d’être à jour et avant-gardiste m’a pesé dessus comme une tonne de briques. Le pire, c’est qu’en fignolant et en raffinant tes affaires, tu peux vite penser que tu as une bonne pièce entre les mains alors que c’est tout le contraire. »

Prenant un immense retard dans son calendrier de production, Champion a dû bosser sans relâche pour faire paraître Resistance à l’automne 2009. Vidé par le processus de création, il s’est ensuite lancé dans une série de spectacles sans prendre de pause. La suite, on la connaît. En mai 2010, il recevait le diagnostic des médecins. Maxime Morin était atteint d’un lymphome, une forme de cancer du sang. « Certains diront qu’il n’y a aucun lien, mais moi j’ai choisi d’en voir un. Le surmenage et la mauvaise perceptive des événements m’ont rendu malade. J’ai mis plus de cinq avant de retrouver la santé. Je me suis promis que je ne referais jamais la même erreur. »

« J’ai compris que c’était ça avoir des couilles en musique: se laisser guider par son instinct. Ben oui, des fois j’aimerais faire mieux, mais j’assume mes erreurs. »

ChampionAvec l’appui des chanteuses Laurence Clinton et Marie-Christine Depestre, certains titres de l’album nous rappellent la belle époque de Chill’em All et des pistes de danse en sueur. D’autres se rapprochent des ambiances atmosphériques de °1 paru en 2013. « Un disque qui a une identité forte du début à la fin, c’est le fun, c’est sécurisant, mais ça revient à dire que l’artiste n’a qu’une couleur. C’est faux. À moins d’être vraiment poche, personne n’écoute qu’un seul genre musical. Je voulais témoigner de ça sur Best Seller. Témoigner de qui je suis. »

Pour le compositeur qui a pratiquement joué tous les instruments sur l’album, cette recherche passe même par des erreurs laissées volontairement sur le produit final. « J’aime la musique trap. Alors j’ai voulu faire du trap avec ma guitare sur Boing Boing et Yea-Eah. Ça ne donne pas le résultat escompté, mais j’ai tripé à le faire et c’est drôle. J’ai compris que c’était ça avoir des couilles en musique: se laisser guider par son instinct. Ben oui, des fois j’aimerais faire mieux, mais j’assume mes erreurs. Même que j’ai appris à jouer avec mes faux pas comme sur And I You, où l’on entend très bien mes doigts glisser sur les cordes de guitare. Normalement, en studio, tu effaces ce genre de bruits. Tu les élimines. Moi, je les ai accentués. »

Au final, Best Seller a des allures de laboratoire créatif où le plaisir a pris le dessus sur l’intelligence, quitte à même contrevenir aux règles de base de l’enregistrement. « Au mastering, Ryan Morey m’a annoncé que la chanson Impatient était déphasée parce que j’avais mis de la réverbération sur la basse. Ça l’air que ça ne se fait pas. Il voulait que je retourne en mix. J’ai dit fuck off! On n’y touche pas. Sauf qu’à cause de ça, on ne peut pas mettre la pièce sur la version vinyle de Best Seller parce que le pressage deviendrait instable pour l’aiguille d’une table tournante. Too bad! »

Champion et ses G-Strings
Le jeudi 30 juin au Club Soda
Dans le cadre du Festival International de Jazz de Montréal

 

 



Il y a une profonde envie de faire les choses autrement chez Yann Beauregard-Lemay et Julien Bidar, binôme derrière la jeune maison d’édition Outloud. A

près avoir travaillé au sein des différentes entreprises menées par Sébastien Nasra (Bidar étant aux éditions Avalanche et Yann aux disques Vega et au festival M pour Montréal), les deux amis décident d’unir leur force afin de créer une boîte d’édition qu’ils veulent souple et innovatrice, deux qualificatifs centraux au sein d’une industrie musicale en constante redéfinition. Bidar explique.

« Nous travaillons avec des plus petits budgets dans une industrie qui génère moins d’argent qu’avant. Mais cela ne doit pas nous empêcher d’aller vers l’avant et d’être dynamiques avec les groupes que nous avons en édition. Nous n’attendons pas par exemple qu’un disque soit sorti sur un territoire pour encourager les groupes au sein d’une tournée. C’est le cas par exemple de Coco Méliès qui tourne en Europe grâce à notre contact avec Kalima Production, et ce pour une deuxième fois sans contrat de disques. La première tournée a été rentable. Pour nous, c’était du développement payant. » (La compagnie de disque Audiogram a annoncé le 26 avril dernier la signature de Coco Méliès, dont le catalogue sera dorénavant édité par Éditorial Avenue, N.L.D.R.)

Bidar et Beauregard-Lemay travaillent en étroite collaboration avec les groupes qu’ils signent. Une réalité indispensable lorsqu’on gère un catalogue qui mise sur des groupes émergents comme Secret Sun, Orange O’Clock, Fred Woods, AléatoireTechnical Kidman et Dr. Mad. « On réalise des partenariats après avoir rencontré les artistes. La base, c’est d’avoir un lien avec eux, des affinités, une vision. Ça nous permet de construire ensemble des stratégies qui leur ressemblent et qui nous ressemblent. » Ici, la gestion d’œuvres musicales rime avec le développement d’une démarche artistique. Si cette façon de faire peut ressembler à un travail de gérance, les deux amis et partenaires en affaires s’en défendent bien. « On n’est pas là pour s’assurer que tout va bien en tournée et qu’ils ont leur bouteille d’eau à côté de leur micro. C’est important, mais ce n’est pas notre département. »

« C’est toujours un coup de chance, mais il faut être proactif », Julien Bidar

Leur début en 2014 est couronné par deux bons placements publicitaires européens qui apportent vent dans les voiles à la jeune maison d’édition. Ils jumellent une pièce de Jean-Sébastien Houle à une publicité pour la Banque d’Autriche. Puis Outloud place une pièce de Locksley, issu du catalogue britannique So Far dont Outloud a la gestion, sur la publicité d’une bière polonaise, Zywiec Warianty. « C’est toujours un coup de chance, mais il faut être proactif, confirme Julien Bidar qui en fait sa niche à lui. Je dois envoyer 2 à 3 pitchs chaque jour pour obtenir un « oui » à ma cinquantième demande. L’objectif est ici de trouver le match parfait entre une chanson et un produit. La notoriété d’un artiste peut jouer dans la balance, mais ce n’est évidemment pas le seul facteur »

Publicité pour la Banque d’Autriche avec la musique de  Jean-Sébastien Houle :

Afin d’obtenir le plus de placements, Outloud qui porte bien son nom, compte faire un maximum de bruit autour d’eux. Et c’est là qu’intervient Yann Beauregard-Lemay, celui que Bidar appelle à la rigolade, « l’homme qui ne peut marcher dans la rue sans se faire reconnaître ». Yann assure la présence sur les médias sociaux des différents artistes qu’Outloud représente, ce qui l’amène à entretenir des liens étroits avec différents blogues musicaux. Il initie parfois des articles dans les médias plus traditionnels. Beauregard-Lemay confirme la crédibilité qui est générée par cette démarche. « Pour nous, ce lien avec les médias et les réseaux sociaux nourrit l’image d’un groupe et facilite par la suite le placement des pièces musicales. Nous ne chargeons jamais un groupe pour ce travail, car nous croyons que nous avons aussi à gagner dans cette promotion. »

Cette présence en ligne, Outloud l’encourage de différentes façons. Bidar et Beauregard-Lemay proposèrent à Coco Méliès de lancer en ligne un single qui avait été à l’origine écrit pour un pitch. Même chose pour Aléatoire qui reçoit 150 000 cliques sur Spotify pour une chanson. Ils encouragent Secret Sun à entreprendre une série de remix par divers producteurs (Foxtrott, The Posterz) afin de maximiser les possibilités sonores du groupe. « Quand on veut placer des pièces musicales sur un contenu visuel, il est nécessaire d’être versatile. »

Sans frontière de son ou de territoire, Outloud charme ici par sa démarche polyvalente et globale menée comme une véritable passion par deux hommes unis par la musique.