1969, Connor SeidelLe compositeur et réalisateur Connor Seidel, qui a entre autres travaillé avec Charlotte Cardin, Matt Holubowski et David Lafleche, a invité une douzaine de musiciens québécois au Treehouse Music Collective à Sainte-Adèle, où il travaille depuis quelques années, pour se lancer dans l’ambitieux projet 1969, une évocation désaltérante de la naïveté et la douceur des disques folk de cette époque.

« Pour moi, les albums Clouds de Joni Mitchell et Five Leaves Left de Nick Drake sont les points d’ancrage de ce projet. C’est très doux, très gentil comme musique, c’est le storytelling de la génération silencieuse finalement », explique Seidel.

1969, année érotique, disait Gainsbourg. Pourtant, il y a eu Woodstock, la guerre du Vietnam, les mouvements contestataires, cette période tourmentée socialement a donné des musiques autrement plus engagées.

« Au départ, je voulais de la guitare classique sur toutes les chansons avec des cordes en appui et de la flûte, question de bien incorporer tout ça pour rappeler la manière dont on concevait ces musiques fortement axées sur les mélodies planantes. 1969 n’est pas un pastiche, il s’agit davantage d’un état d’esprit. Le son n’est pas compressé, c’est brut, on a utilisé le même micro à ruban pour toutes les voix », raconte Seidel.

Chacune des chansons fait l’objet de courts clips où les musiciens partagent leurs impressions. Jason Bajada révèle ceci : « Connor et moi on est tombé en amour avec un disque de Neil Diamond de 1969, (Touching You, Touching Me). J’aime beaucoup les artistes qui sont capables de marcher sur la ligne du cheese, on se trempe les pieds, pis c’est all good ».

« Les prises de son en direct sont une caractéristique des enregistrements de l’époque et cela a rendu mon travail tellement plus facile, précise Seidel. Les musiciens et musiciennes se disent à eux-mêmes qu’ils n’ont pas à être parfaits dans ce contexte plus décontracté. On a ouvert les portes et fenêtres du studio lorsqu’il s’est mis à faire chaud. Louis-Jean (Cormier) est sorti sur la terrasse pour enregistrer sa chanson (Même les Loups versent des larmes de joie) et l’on distingue clairement le bruit des cigales et des insectes à l’arrière-plan. Ariane (Moffat) est montée sur le toit du studio pour la sienne : les bruits de la nature font partie de la captation. Ariane, c’est particulier, une fois arrivée au studio, elle a composé une mélodie au piano qui a tout de suite donné son sens à la chanson, on l’a fait du premier coup ».

Le studio Treehouse est situé à St-Adèle : « ça fait presque quatre ans que j’y travaille, que c’est mon antre de création et avec l’aide de Ghyslain-Luc Lavigne qui réalise le projet avec moi, j’étais confiant que les enregistrements live seraient bien captés ».

Un tel projet avec une distribution aussi imposante peut prendre plusieurs mois à réaliser, luxe que Seidel n’avait pas. Chacun des artistes invités arrivait avec son texte et la mélodie. En une journée c’était fait.

Elisapie, Safia Nolin, Half Moon Run, Antoine Gratton, qui a composé tous les arrangements de cordes, Matt Holubowski, Les sœurs Boulay, Elliot Maginot, Claudia Bouvette sont aussi du collectif invité par Seidel. « La musique pop de Claudia, sur laquelle j’ai aussi collaboré, est à l’opposé de la saveur de 1969. Je l’aime aussi lorsqu’elle s’accompagne à la guitare ou au ukulélé. On a écrit Post Mortem en pensant à un arrangement harpe et voix a capella des plus dramatiques ! C’est l’une de mes préférées du disque ».

Philippe Brault et Joseph Mihalcean eux, manipulent avec délicatesse trois courtes et lumineuses instrumentales qu’ils réalisent eux-mêmes et qui se glissent divinement dans la continuité de l’album. « Je voulais sortir du cadre normal d’une chanson, y ajouter de longs interludes cinématographiques, et ces deux-là ont de belles réalisations côté trames sonores de film ».

C’est Bajada qui a le mieux résumé l’ambiance de ces rencontres : « Connor aimait l’idée d’observer deux individus qui font juste valser et danser ensemble, qui pensent qu’ils sont seuls au monde, mais il y a quelqu’un dans l’autre pièce qui les regardent et qui espère que le moment s’éternise. Mais éventuellement chacun s’en va de son bord ».

1969 est un disque hors du temps et des standards de production tels qu’on les connaît aujourd’hui. L’accomplissement d’un tel projet est en soi remarquable et la pandémie que nous vivons valait bien un coup de rétroviseur aussi bien réalisé.