Le 7 mai 2023, Jean-Pierre Ferland recevra le prix Empreinte culturel au Gala SOCAN, à la Tohu, à Montréal, pour sa chanson Un peu plus haut, un peu plus loin. Nous vous proposons de replonger dans les coulisses de la création de cette chanson emblématique pour toute une génération de Québécois.

Centre Bell, le 9 mai 2003. Au deux tiers du spectacle de Ginette Reno, Jean-Pierre Ferland s’amène sur scène pour chanter en duo Un peu plus haut, un peu plus loin. Dans le contexte de cette série de prestations visant à célébrer trois décennies (1960, 1970, 1980) de succès de l’interprète féminine, l’interprétation commune prend des allures d’événement.

Assis au siège 5 de la rangée M de la section 123, je me dis que l’invité surprise aurait pu venir faire un tour lors du spectacle du lendemain, celui comprenant les tubes des années 1970 de Ginette Reno. Après tout, c’est durant cette décennie que la chanteuse a fait sienne le classique de Ferland. Mais il n’y avait pas maldonne historique, puisque la chanson est bel et bien née durant les années soixante.

Destin peu ordinaire, en vérité, que ce titre de Ferland, désormais monument de la chanson québécoise. Une chanson qui aura connu plus d’une vie, deux appellations officielles, plusieurs interprètes et dont la signification aura évolué au fil des ans. Retour en arrière.

Comment nait une chanson à succès bien de chez nous? Parfois, en voyant le jour à l’étranger.

« Je voulais que ce soit un hymne à l’espoir. Une chanson, c’est l’état d’âme de son auteur.»

« Elle a été composée et écrite dans une petite chambre d’hôtel modeste du 8e arrondissement, à Paris », se souvient Ferland.

Jean-Pierre FerlandEn 1969, l’auteur-compositeur et interprète est sous contrat chez Barclay. À l’origine, la chanson se nomme Un peu plus loin. Elle sera le titre du 33 tours du même nom (Barclay 80050, Paris, 1969), qui comprend Les femmes de 30 ans et Qu’êtes-vous devenues?

La chanson se retrouve sur la compilation Les grands succès Barclay de Jean-Pierre Ferland (Barclay 75005) trois ans plus tard, mais elle n’a pas droit à une diffusion 45 tours et sera éclipsée par d’autres succès de Ferland de l’époque. Je reviens chez nous, 45 tours de juin 1968, s’avère être un succès bœuf et deviendra une chanson phare. Et l’album Jaune, qui voit le jour l’année suivante (décembre 1970), lance Ferland de plain-pied dans les années 1970.

L’artiste a toutefois une autre explication à fournir pour justifier l’absence de succès d’Un peu plus loin à sa naissance.

« La chanson n’a pas eu une grande carrière solo. À l’origine, j’avais enregistré ça avec un gros orchestre. Ça ne marchait pas. Quand on a commencé à la chanter de façon plus pop (après une nouvelle version studio en 1972) et même avec un penchant pour le rock, les gens l’on redécouverte. »

La chanson avait pourtant trouvé son chemin sur les planches. Renée Claude, qui interprétait des titres de Ferland depuis qu’elle avait repris Feuille de gui en 1962, chantait régulièrement Un peu plus loin. C’est toutefois lors des festivités de la Fête nationale de 1975 que la chanson allait renaître.

Le 24 juin (anniversaire de Ferland), le principal intéressé est au centre d’un spectacle sur le Mont Royal qui comprend Ginette Reno, Renée Claude, Emmanuelle, etc.

« Ginette revenait de son périple aux États-Unis, se souvient Ferland, qui avait enregistré T’es mon amour, t’es ma maîtresse avec elle l’année précédente. Elle avait un peu l’impression d’avoir raté son coup. C’est elle qui a demandé à chanter Un peu plus loin. Elle trouvait que c’était une « bonne chanson pour sa rentrée ». Moi, j’ai demandé à Renée Claude de lui céder sa place. Renée a été extrêmement généreuse de le faire et on connaît la suite. »

La suite, c’est cette interprétation désormais mythique de Un peu plus loin de Ginette Reno devant des centaines de milliers de personnes. Interprétation qui a fait époque et qui subjugue encore quand on la revoit sur film ou sur YouTube.

C’est aussi l’instant où la chanson de Ferland a pris un tout autre sens, où elle est devenue autre chose pour le public. Ce qui était une chanson d’amour blessé est devenu un hymne à l’espoir et à l’émancipation d’un peuple dans un contexte politique explosif.

« Contrairement à ce que tout le monde pense, c’est une chanson de séparation, assure Ferland. Je venais de vivre une rupture douloureuse et c’était la manière de me consoler personnellement. Mais je ne voulais pas que ce soit une chanson triste et je ne voulais surtout pas être trop braillard. Je voulais que ce soit un hymne à l’espoir. Une histoire est finie et tu vas vers autre chose. Une chanson, c’est l’état d’âme de son auteur. Mais une chanson peut avoir plusieurs niveaux de lecture : chanson révolutionnaire, chanson d’amour, chanson de rêve… »

Ironiquement, Ferland n’a jamais cru qu’Un peu plus loin allait être un succès, lui qui l’a interprétée avec Mireille Mathieu, Ginette Reno et Céline Dion.

« Je n’ai jamais pensé que ça pouvait être un succès. Le petit roi non plus, d’ailleurs. Alors que Je reviens chez nous, je savais que ça allait être un hit dès le départ. »

Aujourd’hui, on parle d’Un peu plus haut, un peu plus loin quand on évoque la chanson. Elle a d’ailleurs été immortalisée ainsi au panthéon des auteurs-compositeurs canadiens. Comme quoi, un titre d’auteur peut devenir avec le temps une grande chanson pop et voir son appellation modifiée en raison de sa reconnaissance populaire.