Depuis quelques années, la saxophoniste, compositrice et chef d’orchestre montréalaise Christine Jensen vit à fond de train. Elle enchaîne tournée et disques, aussi bien dans de petites formations qu’avec de grands ensembles, enseigne aux étudiants de McGill et de l’Université de Sherbrooke, et voit ses compositions interprétées par des musiciens du monde entier. Et son travail ne passe pas inaperçu, puisqu’il a été récompensé par une avalanche de prix et de reconnaissances officielles, dont quelques Juno, ainsi que le prix Hagood Hardy, remis lors du dernier Gala de la SOCAN.
Originaire de Nanaimo en Colombie-Britannique (comme ces autres grandes vedettes du jazz canadien, Diana Krall et Phil Dwyer) Christine a grandi dans un milieu très musical, aux côtés de sa sœur Ingrid, trompettiste de renom avec qui elle partage régulièrement la scène. « On ne possédait pas de téléviseur à la maison, mais on avait un piano et un tourne-disque et ça nous servait de terrain de jeu, se souvient-elle. On a grandi en musique, avec les mêmes influences et on a développé une relation très symbiotique, si bien qu’on se comprend sans se parler et qu’on le fait toujours dans le plaisir. »
« Pour moi, la musique doit toujours prendre les devants, même si ça veut dire que je doive parfois me tenir en retrait. »
À ses débuts, dans la maison familiale, elle sait déjà que la musique sera au cœur de sa vie; mais elle ne croit pas chausser un jour les souliers d’une compositrice. Modeste, elle s’imagine plutôt en professeur, un rôle qu’elle assume maintenant avec bonheur. « C’est un cliché, je le sais, mais enseigner permet au professeur d’apprendre. Je n’ai jamais eu de gros penchants académiques, mais j’adore être confrontés à tous ces jeunes musiciens, ça me force à repenser sans cesse mon approche de la musique. »
Outre son penchant pour la pédagogie, Christine a aussi développé un aspect de sa carrière qui prend de plus en plus de place dans sa vie: composer pour des grands ensembles, et les diriger, comme elle le fait avec son propre groupe ou, occasionnellement, avec l’Orchestre National de Jazz de Montréal. « Ça m’a ouvert tellement de nouvelles portes, s’exclame-t-elle. Je viens plutôt du monde des petits groupes, qui donnent beaucoup de place à la spontanéité à et à l’improvisation et je pense que j’ai gardé cette approche intime et spontanée dans mes compositions pour grands ensembles. »
Une espèce de « little big band », en quelque sorte? « Oui, si l’on veut, rigole Christine. Un grand orchestre offre tellement de possibilités! En composant, je pense souvent à tel ou tel instrumentiste, à la couleur particulière qu’il ou elle pourrait apporter à la pièce et ça m’inspire. J’imagine telle ou telle partie jouée par Chet Doxas, Joel Miller (son mari, NDLR) ou ma sœur et leur interprétation ajoute un élément supplémentaire à la pièce. » Mais sa moitié compositrice réserve-t-elle à sa moitié instrumentiste les meilleurs solos? « Au contraire, lance Christine. En fait, pour moi, la musique doit toujours prendre les devants, même si ça veut dire que je doive parfois me tenir en retrait. »
Si vous n’avez pas encore eu la chance de la découvrir sur scène, vous pouvez vous rabattre sur l’impressionnante discographie en commençant par Habitat, lancé en 2013. Un disque évocateur et enlevant créé avec son grand ensemble, auquel le prestigieux magazine Downbeat a accordé la note parfaite de 5 étoiles et qui s’écoute comme une lettre d’amour à la ville de Montréal
Malgré la qualité exceptionnelle de ses enregistrements, Christine considère, comme bien des musiciens de jazz, que le studio est une expérience bien différente et, à certains égards, inférieure à la magie du live. « C’est difficile, parce que je compose de manière à laisser le plus de place possible aux musiciens, de sorte que chaque concert est différent, explique-t-elle. Le jazz est une matière vivante et avec le disque, il faut accepter qu’on n’aura qu’une version de toutes celles possibles. Mais si tu ne veux pas souffrir d’anxiété par rapport au studio, il faut apprendre à te laisser aller pour vivre dans l’instant. Et ce qui est beau, c’est que chaque fois tu retournes sur scène, tu peux créer un autre moment. »
Et quelque chose nous dit si les astres continuent de lui être aussi favorables, Christine Jensen accumulera les moments magiques, pour notre plus grand plaisir et le sien.