Chloe Charles aurait très bien pu créer un des albums les plus émotivement dévastateurs des dernières années, et on lui aurait pardonné. Mais ce n’est pas ce qu’elle a fait, et With Blindfolds On est le reflet de son irrépressible esprit créatif.

En moins d’un an, la chanteuse qui partage son temps entre Toronto et Berlin a perdu plusieurs membres de sa famille, des tragédies sur lesquelles elle revient dans sa pièce « Through Your Eyes ».

La chanson a été écrite « pour gérer d’étranges et confus sentiments de deuil, et aussi pour ma famille », confie l’artiste. « Chaque couplet s’adresse à un membre différent de ma famille et est écrit dans la perspective que lorsque l’on perd quelqu’un, on ne perd pas seulement cette personne, mais aussi une partie de soi, car plus jamais personne ne vous verra avec les yeux de cette personne. Chaque fois que je chante cette chanson, je pense aux membres de ma famille. Je pense à eux, j’entends leur voix, leur rire. C’est très exigeant, parfois, mais la plupart du temps je me sens très près d’eux lorsque je la chante. »

En plus de ses deuils, Charles, dont la mère était blanche et le père noir, doit également gérer le subtil racisme qu’elle perçoit quelquefois dans l’industrie de la musique, particulièrement de la part des équipes de marketing qui ne savent pas trop quoi faire avec elle. Ces expériences se manifestent dans plusieurs chansons de l’album.

« Les gens se trompent sur moi en raison de la couleur de ma peau et tentent à tout prix de me classer uniquement dans le jazz, le soul ou le R&B avant même d’avoir entendu ma musique », raconte-t-elle. « Pourtant, je fais une musique qui n’a pas de race et qui ne devrait pas en avoir. On me presse souvent de créer de la musique avec une sonorité différente, quelque chose de plus cohérent, qui soit mieux formatée pour la radio, quelque chose de plus facile à mettre en marché. »

« Je souhaite que les gens sortent de mon spectacle avec un sentiment qui va au-delà d’avoir simplement été divertis. Je veux qu’ils se souviennent de ces émotions et qu’ils les traversent à mes côtés. »

Chloe Charles raconte qu’on lui sert souvent la même rengaine — « On adore ta musique, mais on a aucune idée de la façon de la mettre en marché » — et elle la trouve ridicule, « parce que si tu es bon en marketing, tu devrais pouvoir trouver une façon créative de mettre en marché un produit que tu trouves bon. »

Malgré cela, Chloe Charles jouit d’un immense succès d’estime. Elle a lancé son album autoproduit With Blindfolds On, son deuxième, lors de deux spectacles à guichet fermé au chic cabaret The Burdock, à Toronto, en mai 2016. Pour publiciser ce lancement, elle a réussi à se faire inviter à chanter en direct durant une des dernières émissions de Canada AM sur les ondes de CTV ainsi qu’à un article dans le magazine NOW. Son premier album, Break the Balance, paru en 2013, a été encensé par la critique dans Billboard, l’édition allemande de Rolling Stone, Mojo, The London Times et Elle. Elle a complété d’importantes tournées européennes et a remporté le prix Sirius/XM Indie Award et le Soundclash Award du Harbourfront Centre.

Selon elle, les artistes sont plus libérés stylistiquement que jamais et elle est convaiuncue que « la musique a besoin de s’entourer de gens créatifs qui apprécient la découverte, l’expérimentation et le risque plutôt que d’approcher la musique et ses artisans comme un produit. » Elle fait fi des esprits étroits et ne vit que selon sa philosophie voulant que la musique doit être « créative, sans peur et prête à toujours repousser les limites. » Il n’est donc pas surprenant que With Blindfolds On soit un joyeux amalgame de pop, de folk, de musique électronique, de pop orchestrale et de R&B qui plaira à tous ceux dont les goûts musicaux ne sont pas cantonnés à un un seul genre.

Les vraies vedettes de ses albums demeurent toutefois sa voix chaude, polyvalente et extrêmement captivante, ainsi que son écriture foncièrement honnête. C’est sur sa chanson « Black and White » — qui a remporté l’édition 2014 du John Lennon Songwriting Contest dans la catégorie Pop — que cela est le plus évident. Elle a créé cette pièce en collaboration avec son ami et lui aussi membre de la SOCAN, Steve Fernandez, un an après la mort de son père. Difficile de ne pas avoir le cœur brisé en l’écoutant raconter la genèse de cette chanson.

« J’étais déchirée par toutes sortes d’émotions : la douleur, la colère, l’abandon », confie-t-elle. « Nous avons eu une longue discussion et j’ai raconté à Steve l’histoire de ma relation avec mon père. J’ai exprimé des choses que je n’avais jamais eu le courage de dire à mon père de son vivant. Steve a noté certaines choses que je lui racontais et nous avons créé cette chanson à partir de ces bribes. »

Chloe Charles affirme créer des chansons qui « viennent me chercher émotivement, qui sont en partie enracinées dans une véritable expérience, afin que je sois capable de partager ce sentiment de manière authentique avec l’auditoire. » « Je souhaite que les gens sortent de mon spectacle avec un sentiment qui va au-delà d’avoir simplement été divertis. Je veux qu’ils se souviennent de ces émotions et qu’ils les traversent à mes côtés. »