Il y a une vingtaine d’années, Beverly Glenn-Copeland a brièvement adopté le nom de plume Phynix « Ça faisait des décennies que j’essayais de percer dans le domaine de la musique », raconte l’auteur-compositeur-interprète. « Le nom évoquait un espoir qui m’habitait profondément, celui de renaître des cendres de ce qui me semblait être une carrière ratée. »
Or, cet espoir s’est matérialisé de manière renversante. En 2015, un enregistrement lancé de manière indépendante sur cassette intitulé Keyboard Fantasies (1986) a été découvert par le propriétaire d’un influent magasin de disques au Japon et ses clients ont été captivés par le contrepoint numérique translucide et bouillonnant de l’album et par la voix apaisante de Glenn-Copeland. Il a conclu une entente avec la maison de disques Transgressive Records, est parti en tournée (depuis Utrecht jusqu’au Yukon), a fait l’objet d’un documentaire (Keyboard Fantasies: The Beverly Glenn-Copeland Story, du cinéaste britannique Posy Dixon), et a remporté le Slaight Polaris Heritage Prize 2020 pour la réédition de son album. Il a été reconnu comme une source d’inspiration pour une génération de musiciens aventureux, dont notamment Bon Iver et Arca, qui ont retravaillé sa musique, et Romy, qui a échantillonné la chanson La Vita de Phynix sur son simple Enjoy Your Life, en plus d’être une figure de proue pour les jeunes transgenres – Glenn-Copeland a annoncé publiquement sa transition en 2002. En 2023, la parution de The Ones Ahead, son premier album en 19 ans, lui a valu le genre de critiques dithyrambiques rarement accordées à un artiste en fin de carrière.
Aujourd’hui âgé de 80 ans, Glenn-Copeland est toujours habité par la même détermination. Pour lui, The Ones Ahead est « une forme d’encouragement pour les futures générations de jeunes qui font face à notre époque difficile en les invitant à clamer haut et fort leur humanité ». Dans ses moments les plus méditatifs, l’album agit comme un baume ; ailleurs, dans ses élans dramatiques et ses rythmes insistants, c’est plutôt comme une étincelle. Sur l’enlevante pièce titre, Glenn-Copeland chante « This world is our combined imagination / Your life a precious personal creation » (librement : « Notre monde est le fruit de nos imaginations combinées / Votre vie est une précieuse création personnelle »). Depuis sa nouvelle demeure à Hamilton, il nous explique : « Ces paroles sont un encouragement pour “the ones ahead” (ceux qui viendront), un rappel du pouvoir que nous portons en nous, le pouvoir qui, une fois qu’on en prend conscience, peut être réalisé collectivement ».
Glenn-Copeland se qualifie lui-même de « moine musical » ; à preuve, il a créé Keyboard Fantasies seul dans une cabane dans les bois de Muskoka, en Ontario. Pour The Ones Ahead, il s’est décloîtré et a travaillé avec Indigo Rising, un groupe de jeunes musiciens qu’il avait assemblé pour une tournée en 2018.
Tout le monde a contribué aux arrangements. « Le processus de répétition et d’enregistrement a été beaucoup plus collaboratif que tout ce que j’ai fait depuis longtemps, ce qui m’a rappelé mes débuts en studio », raconte l’artiste. Il fait référence à ses deux premiers albums – Beverly Copeland (1970) et Beverly Glenn-Copeland (1971) – sur lesquels l’auteur-compositeur était accompagné par des musiciens jazz tels que le guitariste Lenny Breau et le claviériste Doug Riley.
The Ones Ahead impliquait un type de collaboration plus mystique. « Dans ma pratique bouddhiste », explique Glenn-Copeland, « je prie pour et avec mes ancêtres. Je sens leur présence de temps en temps et je m’encourage activement à écouter ce qu’ils ont à partager. Ils se sont manifestés en grande pompe sur cet album. »
Sur la première pièce, Africa Calling, son chant sans paroles est une invocation pleine d’âme portée par des vagues de percussions. « Ç’a commencé par une exploration d’une signature rythmique inhabituelle », raconte-t-il. « Si je m’étais arrêté à cette idée-là, j’aurais manqué le plus gros cadeau qu’était cette chanson qui est devenue carrément un appel à mes ancêtres de l’Afrique de l’Ouest. »The Ones Ahead se termine par No Other où on peut entendre, dit-il, « mes racines autochtones dans les vocalisations et les rythmes. Ma grand-mère paternelle était Cherokee. C’était une femme puissante qui m’a donné solidement enraciné grâce à sa connaissance incarnée du monde naturel. »
No Other faisait à l’origine partie d’un cycle de chansons que Glenn-Copeland a écrit en 2015, alors qu’il vivait avec sa femme, Elizabeth Paddon, au Nouveau-Brunswick. D’autres chansons de l’album viennent d’époques et de sources diverses. La vibrante Stand Anthem est tirée d’une « pièce de théâtre environnementalement engagée » de Paddon datant de 2017, tandis que la ballade Harbour fait partie d’une série de chansons que Glenn-Copeland a composées pour elle chaque année, en guise de cadeau d’anniversaire. La douce ballade Prince Caspian’s Dream était en gestation depuis des décennies avant la séance d’enregistrement. Elle a été inspirée par une amie très chère : « Elle avait quelque chose de magique. Les paroles », explique Glenn-Copeland, « évoquent le personnage du livre de [C.S.] Lewis [Prince Caspian] qui finit par trouver la place qui lui revient. Au cours des 30 années qu’a nécessitées l’écriture de cette chanson, j’ai grandi, j’ai fini par comprendre un peu mieux la simplicité essentielle qui est au cœur de tout. »
Pour Glenn-Copeland, le processus d’enregistrement a été « un petit bonheur musical pour un vieux moine », malgré les problèmes de santé auxquels il continue de faire face. Étant immunodéprimé, il a annulé une tournée prévue en octobre 2023 en raison du risque de contracter la COVID-19 dans les salles de spectacle. « On dirait bien qu’à partir de maintenant, tous mes spectacles devront être présentés en plein air », confie-t-il. « Ma maison de disques a très hâte que j’aille en Europe, alors on étudie quelles sont nos options. »
En attendant, il se réjouit : « J’ai recommencé à écrire de la musique pour la première fois depuis 2020! Elizabeth et moi sommes impatients de reprendre notre collaboration créative, comme à nos débuts, et nous avons quelques projets passionnants qui mijotent », notamment une émission de télévision pour enfants et la reprise d’une comédie musicale qu’il a écrite en 2010.
La clé de sa pratique créative est d’être un « partenaire créatif volontaire » pour les idées qui peuvent surgir à tout moment : « Tout au long de la journée, j’essaie de rester ouvert, d’écouter les idées musicales portées par le vent, le chant des oiseaux ou les conversations de mes amis », dit-il. « La musique est toujours comme une visite bienvenue, une invitée sacrée dont je dois prendre soin. J’entre dans un état second quand j’écris – c’est un état d’esprit béni. »