Bernie Finkelstein a porté de nombreux chapeaux au cours de sa carrière : impresario, propriétaire d’une étiquette de disques, producteur, éditeur et promoteur de concerts. Mais peu importe le chapeau, sa passion pour la musique a toujours guidé son incroyable périple. Véritable pionnier, il a fait de True North Records une des maisons de disques indépendantes les plus importantes au monde bien avant que le terme « indie » ne soit sur toutes les lèvres. Pas si mal pour un décrocheur de Downsview, en banlieue de Toronto.

« Les plus importantes qualités de Bernie sont sa loyauté, son amour passionnel de la musique, et sa capacité d’élaborer des stratégies à long terme dignes des meilleurs champions d’échec », affirme Bruce Cockburn, dont Finkelstein a longtemps été l’impresario.

C’est la curiosité qui a poussé le jeune Finkelstein à se rendre à Yorkville, l’épicentre du mouvement hippie à Toronto en 1967 avec ses cafés, l’omniprésence des drogues de toutes sortes et, bien entendu, de la musique. Certains des plus grands noms de la musique canadienne — such as Gordon Lightfoot, Joni  Mitchell et Neil Young — ont fait leurs premiers pas sur scène dans des salles du coin aujourd’hui disparues : The Riverboat, The Penny Farthing ou The Mynah Bird.

« J’ai eu de la chance », dit Finkelstein au sujet de ses débuts dans l’industrie de la musique. « Je rêvais d’une vie de beatnik lorsque j’ai quitté la maison à 17 ans. J’étais mauvais à l’école, et je suis tombé dans la musique. Ç’a été un heureux hasard parce que je suis tombé dans quelque chose que j’aimais, pour laquelle j’étais passionné et, surtout, une chose pour laquelle j’avais d’excellentes aptitudes. »

Mais outre un peu de chance, son acharnement lui a permis de suivre cette voie. Quand Finkelstein croyait en un artiste, sa détermination sans bornes attirait l’attention des gens — que ce soit pour la négociation d’une entente de distribution aux États-Unis ou pour faire grimper une chanson dans les palmarès Billboard. Ceux qui ont pu en bénéficier lui sont éternellement reconnaissants.

« Je ne suis pas du genre “mais si…”, mais on peut supposer que si ce n’avait pas été Bernie, quelqu’un d’autre aurait joué son rôle », explique Bruce Cockburn, « Mais c’est Bernie qui l’a joué. Et je suis persuadé que nous connaîtrions tous une scène musicale bien différente si on imaginait un univers où il n’existe pas. »

 

 

 

 

 

 

 

Au fil des ans, outre Cockburn, Finkelstein a mis sous contrat — sur son label True North Records, comme impresario ou les deux — des artistes incontournables tels que The Paupers, Murray McLauchlan, Rough Trade, Blackie & The Rodeo Kings et Stephen Fearing, pour n’en nommer que quelques-uns.

Actuellement en semi-retraite après avoir vendu True North en 2007, ce membre du Panthéon de la musique canadienne passe ses journées en compagnie de sa femme sur leur ferme du comté du Prince-Édouard ou à leur résidence de Toronto Nord. Il a récemment publié son autobiographie intitulée True North: A Life in the Music Business chez McClelland & Stewart.

Fait plutôt intriguant, toutefois, son livre ne traite à peu près pas de son travail d’éditeur musical. Retour en 1970 : Finkelstein et Cockburn deviennent partenaires dans Golden Mountain Music. L’an dernier, le duo a vendu l’entreprise à Rotten Kiddies, une filiale de l’éditeur américain Carlin Music. Tout comme pour la vente de True North en 2007, Finkelstein explique sa décision par le fait que la passion n’y était tout simplement plus.

« L’industrie canadienne de l’édition musicale est de plus en plus complexe », explique l’homme. « J’ai commencé à une époque où, quand votre truc se vendait à un million d’exemplaires, on vous payait en un seul versement pour ce million d’exemplaires. De nos jours, c’est l’inverse. Il y a un million de trucs et chacun d’eux ne perçoit qu’un sou. L’idée de connaître les tarifs de Yahoo en Australie, en Nouvelle-Zélande ou en Indonésie ne m’intéresse tout simplement pas. »

La carrière de Finkelstein en tant qu’éditeur a pris son envol dans les années 70. « Je me suis rapidement aperçu, en tant que jeune homme faisant son chemin dans ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui l’industrie de la musique, que la possibilité de gagner sa vie et de bâtir une entreprise était marginale, quasi non existante », se souvient l’homme. « J’ai donc réalisé que je devrais toucher à tous les aspects du métier. Parallèlement à cela, mes artistes me disaient “Untel veut devenir mon éditeur, que devrais-je faire??” J’ai réalisé que la probabilité qu’un artiste accepte de céder sa part d’éditeur, à l’époque, était très élevée. »

Finkelstein a donc mis en place une structure où les artistes étaient leurs propres éditeurs et, en échange d’une partie de ces droits, il agissait à titre d’administrateur. « Je ne le réalisais pas à l’époque, mais cela a rendu mon entreprise très fluide », explique-t-il. « À cause de cela, nous étions un guichet unique lorsque quelqu’un voulait une licence pour une œuvre d’un de mes artistes. Aujourd’hui, en 2012, tout le monde parle d’ententes 360, mais nous le faisions déjà il y a très longtemps. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au vu et au su des changements qui secouent l’industrie de la musique, Bernie Finkelstein se dit heureux d’en être sorti au moment où il l’a fait. Il n’aime pas particulièrement l’étiquette de « retraité », mais il est loin de se plaindre de son nouveau rythme de vie plus relax.

« Il y a des jours où ça me manque, surtout lorsque je discute avec des amis qui sont encore au travail, mais je crois qu’il était temps que je quitte l’industrie », confie-t-il. « Permettez-moi une métaphore sportive. Je crois que j’ai eu une carrière respectable : mes statistiques étaient plutôt bonnes, peut-être même suffisantes pour accéder au Panthéon, et je ne voulais pas continuer à jouer et risquer de faire baisser ma moyenne. Je suis trop fier pour ça. »