Comme job de jour, Alexandre Bernhari accompagne au piano une troupe de danseurs contemporains. La répétition vient de se terminer, le pianiste est libre de redevenir batteur, chanteur, de se transformer en Bernhari – qui n’est pas tout à fait sa véritable identité. Un journaliste a révélé son nom et c’est comme si on l’avait démasqué, ça l’agace. « Même quand j’étais dans L’Étranger et dans L’Ours, mes précédents groupes, j’avais un faux nom. J’ai toujours aimé jouer là-dessus, ce n’est pas quelque chose de coulé dans le béton pour moi. »

Laisse-moi être quelqu’un d’autre, chante-t-il dans Au Nord de Maria. « Il est question d’identité dans certains textes de l’album. Non seulement je le dis, mais je le deviens au moment où je le chante. Dès le départ, quand j’ai commencé à travailler sur ce projet, il a été entendu avec Emmanuel Éthier, le réalisateur, que la voix serait mise au service de la musique. »

« Tous ces gens qui criaient des slogans dans la nuit…  ça m’a marqué, ça a nourri mes chansons. »

La voix, parlons-en. À la première écoute, elle saisit. Un timbre haut perché, sculpté par des effets de réverbération. On pense à Claude Léveillée, à Christophe et aussi à Julien Mineau de Malajube. À une sophistication qui a plus à voir avec la tradition rock européenne, Indochine et les Cure. « Une voix de crise de nerf », a dit le collègue Sylvain Cormier, « le résultat d’un long travail d’essai-erreur, explique le principal intéressé. Au final, je suis satisfait, car ça donne un album qui n’est pas plat. On se promène énormément; la voix est un élément parmi d’autres. Il y a aussi le récit, une trame narrative avec une ouverture et un bouquet final. »

On nous raconte l’histoire d’une rencontre au milieu des carrés rouges, dans la rue, pendant les manifestations étudiantes. Le mot-clé ici est « engagement », tant au niveau amoureux que social, car le premier album de Bernhari, façonné lors du Printemps érable, est imprégné de cette énergie-là. « Oui, c’est l’élan. J’ai participé à tout ça, j’ai marché, j’étais dans le mouvement. Tous ces gens qui criaient des slogans dans la nuit et l’écho étrange de leurs voix qui résonnaient sur les bâtiments, ça m’a marqué, ça a nourri mes chansons. Mais bien sûr, ça va au-delà du premier degré. »

Il y a quelque chose d’épique, de frénétique, voire chevaleresque chez Bernhari. Tant au plan des allusions guerrières, celles d’Allemagne et de Russie, que des images, Bartabas faisant galoper sa monture à reculons. Le protagoniste est un déserteur et sa muse, une reine nommée Kryuchkova. « Oui, je suis une personne comme ça. Cette intensité me nourrit, en particulier dans les spectacles. Je suis à la recherche d’une verticalité, j’essaie de m’élever et puis je me dépose sur des chansons piano-voix comme « Je n’oublierai jamais » ou « Matapédia ». C’est souvent mon moment préféré en spectacle, quand la connexion avec le public est établie et qu’on redescend ensemble. »

Plusieurs ont découvert Bernhari sur la scène du Théâtre Maisonneuve en première partie de Fontarabie l’été dernier aux FrancoFolies. En concert, le musicien est à l’avant-plan, à la batterie, et il faut le voir, baguette à la main, jouant du clavier de l’autre, chantant, transporté par « Kryuchkova », point culminant de l’album, une chanson magnifique. Les rythmes propulsent la chanson, comme une marche en mouvement, celle de la révolte, celle d’un amour naissant. On constate à quel point la batterie dynamise la chanson. « Quand tu as un contrôle complet sur le rythme, une symbiose avec la voix devient possible et ça ancre quelque chose. »

Après avoir fait ses premières armes au sein de L’Étranger et de L’Ours, Bernhari est là, parmi nous, avec son rock éthéré, ses fulgurances, ses textes assujettis aux musiques. Et il y a cette voix à apprivoiser, à la fois proche et lointaine, comme celles des danseurs qui remballent leurs affaires et placotent en retirant leurs bas d’échauffement autour du pianiste aux identités multiples.

Tourner la page
Avant de faire cavalier seul, Alexandre Bernhari a été la pierre angulaire de deux groupes. « J’avais commencé L’Étranger seul et au fil du temps, une dizaine de musiciens se sont greffés à l’aventure. Ça se passait vraiment sur scène, j’avais le visage recouvert d’or… J’en garde un excellent souvenir! » Une partie de L’Étranger est restée et L’Ours a pris forme… Jusqu’à que ce que chacun parte de son côté. C’est là qu’Alexandre a tourné la page et que Bernhari a vu le jour. « Il y a eu comme un déclic. C’était plus fragile avant. Là je me suis ressaisi et j’ai eu conscience que quelque chose se mettait en place. Cette impression est devenue très concrète lorsque Audiogram m’a approché. »



Depuis 20 ans, Ebonnie Rowe de Phim Phat Entertainment Group investit son temps et son énergie –et parfois même, de l’argent– dans Honey Jam, une vitrine musicale annuelle multiculturelle et multigenre conçue pour encourager et promouvoir le talent au féminin. Mais l’autoproclamée « reine des abeilles » de Honey Jam admet qu’elle pensait que son premier événement en 1995 serait une initiative unique et ne connaitrait pas d’autres éditions.

« Ça a vraiment débuté par hasard » dit-elle en repensant aux tout débuts de cet événement qui a lancé la carrière de centaines de femmes artistes, dont Nelly Furtado, Jully Black, Divine Brown et Kellylee Evans. À l’époque, Rowe gérait un programme de mentorat pour les jeunes à risque à Toronto. Le langage et l’attitude misogyne de ses jeunes protégés, influencés par la culture hip hop et les succès rap du moment, la troublent.  « Ces chansons n’existaient pas en version ‘propre’. Les jeunes répétaient tout simplement ce qu’il y entendaient » se rappelle-t-elle.

« Les gens avaient vraiment l’air d’aimer ça et me demandaient sans arrêt quand aurait lieu la prochaine édition. »

Réellement concernée, Rowe en parle à un DJ local qui l’invite alors à produire une émission de radio qui brosse la façon dont les femmes sont présentées dans la musique hip hop. Suite à la diffusion de cette émission spéciale, le rédacteur en chef du défunt magazine hip hop Mic Check l’invite à diriger un numéro 100% féminin. Sa soirée de lancement est baptisée « Honey Jam ». On retrouve notamment à l’affiche des DJ et MC féminins.

Même si Rowe retourne volontiers à son emploi régulier suite à l’événement, le succès de ce dernier ne la laisse pas indifférente. « Tout ce que j’avais fait, c’était de signaler quelque chose qui me dérangeait » dit-elle, « mais les gens avaient vraiment l’air d’aimer ça et me demandaient sans arrêt quand aurait lieu la prochaine édition ». Bien que sans formation adéquate ou expérience dans l’industrie de la musique, Rowe décide que l’opportunité mérite d’être saisie.

Plus de 100 musiciennes, dans des genres allant du jazz au gospel en passant par le rock et la pop, auditionnent désormais chaque année pour une des 15 à 20 places disponibles à l’affiche de la vitrine annuelle Honey Jam. Rowe insiste sur le fait que pour les jeunes femmes (âgées généralement de 17 à 24 ans) qui passent ce cap, l’aspect compétition devient chose du passée. Elles prennent alors part à une série d’ateliers et autres activités de développement dédiées à différents aspects de l’industrie pendant la préparation de leur concert estival. « Les filles créent de véritables liens » précise-t-elle, « ça me fait chaud au cœur ».

À l’aube du 20e anniversaire de Honey Jam, Rowe admet que, même si la vitrine est devenue un incontournable pour les jeunes talents en quête de gloire, le financement demeure le défi principal dans les efforts qu’elle déploie pour pérenniser l’événement. Avec le recul, Rowe constate que c’est le succès des anciennes qui donne son sens à tout le travail accompli. « Je brûle la chandelle par les deux bouts depuis bien longtemps mais j’ai le sentiment du devoir accompli et tout cela me comble » confie-t-elle. « C’est vraiment pour cela que je continue ».



Opter pour la médiation plutôt que le procès

David Basskin est avocat depuis assez longtemps pour savoir que le tribunal est le dernier endroit où vous voulez vous retrouver, quelle que soit la façon dont vous avez été traité dans une affaire au civil.

« Faire face aux coûts d’une action en justice, c’est un peu comme s’ouvrir les veines. C’est tout simplement horrible », dit Basskin. « Et dans le cas d’un petit marché comme celui du Canada, le jeu n’en vaut le plus souvent pas la chandelle. »

Si Baskin a pris quelques mois de congé après sa « retraite » en tant que président et directeur général de l’Agence canadienne des droits de reproduction musicaux ltée (CMRRA) en 2013, il n’a aucune intention de s’éloigner de l’industrie de la musique et du domaine du droit d’auteur où il a fait carrière.

« Prendre ma retraite ne m’intéresse tout simplement pas », précise celui qui a récemment créé DBCI (David Basskin Consulting Inc.) dont la raison d’être est la médiation, et dans certains cas, l’arbitrage de différends pour le compte d’une clientèle privée.

Heureusement, les actions en justice liées au droit d’auteur dans le domaine de la musique ne sont pas monnaie courante au Canada, et de nombreuses juridictions exigent la mise en place d’un processus de médiation avant que la cause soit entendue par un juge.

« La médiation obligatoire a été imposée par les tribunaux dans le cadre d’une série de mesures destinées à réduire le nombre de causes en attente qui sont endémiques dans notre système », note Basskin. « Une grosse poursuite au civil peut  prendre plus de cinq ans. La vie est trop courte. »

Les griefs les plus communs dans le domaine de la musique concernent la répartition des revenus liés aux droits d’auteur, à la participation sur le revenu et au marchandisage.

« Il est reconnu dans l’industrie de la musique que tout succès peut finir en procès», observe Basskin. «Si une chanson ne fait pas d’argent, le risque d’action en justice ou de médiation est nul. »

« La médiation ou l’arbitrage ne génèreront probablement pas un résultat idéal » admet-il, « mais croyez-moi, si la cause va jusqu’en cour, le résultat ne sera pas parfait non plus. Autre avantage: ce sera fait et vous pourrez passer à autre chose. »

« Les parties qui s‘entendent en médiation et parviennent à résoudre leur différend demeurent souvent en bons termes», ajoute-t-il «alors qu’il est très rare que des gens qui ont été engagés dans une lutte à mort au tribunal souhaitent encore travailler ensemble après coup. Notre industrie est basée sur la collaboration, après tout. »

« Il est reconnu dans l’industrie de la musique que tout succès peut finir en procès. »

Ses années d’expérience en tant que spécialiste du droit d’auteur, en plus de ses efforts constants de formation continue dans le domaine de la médiation, font de Baskin quelqu’un de particulièrement qualifié quand vient le temps d’aider les parties belligérantes à s’entendre.

« À la CMRRA, j’avais le rôle de la Suisse», dit-il. «Jamais je n’ai choisi le camp de qui que ce soit. L’idée ici est de parvenir à une solution plus rapidement, à coûts moindres et sans les inconvénients liés à toute publicité négative. Le véritable enjeu du médiateur est de s’assurer que chacun soit entendu et fasse un effort honnête dans le processus de règlement du problème. Tout exercice de médiation ne conduit pas nécessairement à une résolution complète, mais il peut contribuer à éliminer plusieurs points de désaccord pour permettre aux parties de se concentrer sur le vrai problème. »