Blues (nom, prononcé blouze) : Musique mélancolique d’origine afro-américaine se présentant le plus fréquemment sous une forme en 12 mesures. Elle trouve ses racines dans le sud rural des États-Unis vers la fin du 19e siècle et gagnera en popularité dans les années 1940, alors que les populations afro-américaines migraient vers les grandes villes. Cette variante urbaine du blues donnera naissance au rhythm & blues et au rock n’ roll.

Le blues est un genre musical omniprésent, mais rarement à l’avant-scène. Bien que l’on reconnaisse la paternité du rock n’ roll à cette « musique mélancolique », le grand public amateur de rock a plutôt tendance à ignorer le blues. Pour Steve Strongman, ça n’est pas un souci. En tant qu’artiste et porte-étendard d’un genre musical qui se targue de compter dans ses rangs des héros de la guitare tels que Robert Johnson, Muddy Waters ou Otis Rush, le blues coule dans les veines de Strongman et jaillit de ses doigts chaque fois qu’il touche sa guitare électrique Gibson. L’auteur-compositeur-interprète croit que c’est pour lui une mission d’aider à garder ce genre musical vivant et d’éduquer les masses à la véritable signification du blues au 21e siècle.

« Nous devons continuer à repousser les paramètres de ce que les gens pensent que le blues signifie, parce que tout sonne comme le blues », affirme Strongman, dont l’opus A Natural Fact a été sacré Album blues de l’année lors des JUNOS 2013. « Même le rock “heavy” est basé dans le blues. »

Outre son JUNO, Strongman a également remporté trois Maple Blues Awards, en plus d’avoir tourné avec B.B. King, Johnny Winter et Buddy Guy. Colin James est récemment revenu à ses racines blues sur Blue Highways, tout comme les Rolling Stones sur Blue & Lonesome, mais Strongman, lui, est toujours demeuré fidèle à ces racines, et cela demeure vrai avec son sixième et plus récent album, No Time Like Now, qui a parut le 10 mars 2017. Nous avons discuté avec l’artiste en janvier 2017 lors du Gibson Guitar Showroom au Liberty Village de Toronto, le jour du lancement du premier extrait tiré qui porte le même titre que l’album.

« J’étais un immense fan de Led Zeppelin, comme la plupart des gens de mon âge. Puis, j’ai réalisé d’où ils tiraient toute leur inspiration. »

Tout ce dont Strongman avait besoin pour nourrir sa muse, s’inspirer et saisir le moment était un sentiment d’urgence. Il a enregistré les 10 pièces de No Time Like Now en compagnie de son ami de longue date, ancien membre de son groupe et réalisateur de plusieurs de ses albums, Rob Szabo, principalement au Beulah Sound Studio de Hamilton que l’auteur-compositeur-interprète appelle son chez-lui par les temps qui courent.

« Nous avions envie de produire un album excitant très axé sur la guitare », explique l’artiste. « Ça baigne dans le blues — tout ce que je fais baigne toujours dans le blues —, mais il y a plusieurs autres éléments sur ce disque sur lesquels nous n’avions pas vraiment mis l’accent auparavant. »

Là ou Colin James ou les Stones rendent hommage au blues avec des albums entièrement composés de reprises, Strongman propose neuf pièces originales qui prennent racine dans le blues, mais qui n’ont pas peur d’afficher leur côté rock avec un léger enrobage soul. La seule reprise du disque est une version « marécageuse » du classique de Bachman-Turner-Overdrive, « You Ain’t Seen Nothing Yet », un choix pour le moins intriguant pour un album blues.

« Rob et moi avons assuré la première partie de Randy [Bachman] il y a longtemps, et j’ai plus tard joué avec son fils Tal, également », raconte Strongman. « Nous sommes toujours restés en contact. Lorsque je répétais avec Tal, j’ai passé une nuit chez Randy à White Rock. Il a toujours soutenu ma musique et en joue fréquemment à son émission à la CBC. Lorsque Rob et moi avons décidé d’inclure une reprise sur l’album, nous avons tout de suite pensé aux chansons de Randy. “You Ain’t Seen Nothing Yet” m’est immédiatement venue en tête. Nous ne voulions pas la jouer comme Randy la jouait, car c’est tellement un “hit” massif. Je voulais lui donner ma propre couleur. »

Lorsque Strongman a fait parvenir un démo de sa version à Bachman pour avoir son opinion (et sa bénédiction), le membre du Panthé de la musique canadienne a dit l’adorer, et a même offert de jouer de la guitare sur la version finale.

Là où des musiciens comme Bachman, James et les Stones ont tous découvert le blues très tôt en écoutant et apprenant des Elmore James, Jimmy Reed et autres Hubert Sumlin, le guitariste de Howlin’ Wolf, l’intérêt de Strongman s’est développé de manière plus sinueuse.

« Je suis arrivé au blues par le biais des groupes de rock classique, car c’est ce que j’aimais », explique-t-il. « J’étais un immense fan de Led Zeppelin, comme la plupart des gens de mon âge. Puis, j’ai réalisé d’où ils tiraient toute leur inspiration. J’ai grandi dans la région de Kitchener-Waterloo et il y avait ce club de blues nommé Pop the Gator [où sont passés de grands noms tels que Bobby “Blue” Bland, Albert Collins et Mel Brown], ce qui nous permettait d’entendre la crème de la crème des musiciens blues de calibre international, et ça m’a beaucoup marqué. »

« Je me considère d’abord et avant tout comme un guitariste », poursuit-il. « Tout ce que je fais baigne dans le blues, mais c’est la guitare qui est au cœur de tout ça. J’entends le blues dans tout ce que j’entends, même dans la musique pop. Le blues en tant que tel… les gens ont une idée lorsqu’ils prononcent le mot. Ce nouvel album est la suite de ce que je fais depuis toujours. »

Est-ce que Strongman a des frissons lorsqu’il compose, comme tant d’autres artistes, et qu’il sent qu’il tient un bon filon ?

« C’est exactement ça qui se produit », avoue-t-il. « Je sais, lorsque j’entends quelque chose et que j’ai ce petit frisson, que c’est exactement ce que je recherchais. Je peux passer huit heures dans une journée et ne rien écrire qui vaille, puis la journée suivante, je commence à travailler et 10 minutes plus tard j’ai deux couplets et un refrain. On est toujours à la recherche de cet “Eurêka !”, cet instant où on se dit “ça y est !” »

« Gear Talk » avec Strongman



Nous poursuivons notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. Cette semaine, une première collaboration mère-fille entre deux interprètes et compositrices estimées du public et de la critique, Karen Young et Coral Egan, qui lancent ces jours-ci un tout premier album en duo intitulé Dreamers et qualifié par la matriarche « d’exploration à deux voix ».  

C’était écrit dans le ciel. Ce moment devait bien arriver un jour, n’est-ce pas mesdames ? Coral en convient, Karen nuance : « Mais on a déjà chanté ensemble sur un disque », rappelle-t-elle. C’était avant que Coral Egan entame sa carrière solo, avant My Favorite Distraction (2004), à l’époque où elle apprenait encore le métier en faisant les chœurs sur les albums de maman.

Karen Young, Coral EganMais un disque en duo, les deux interprètes qui unissent leurs voix et leurs noms sur une même pochette d’album ? Une fatalité. Pourquoi maintenant, alors ? « Je dis souvent que ma muse, c’est celle de la Dernière Minute !, lance Coral. Je crois que lorsqu’on se dit : ça y est, c’est le moment, maintenant, quelque chose de bon en sort parce qu’on n’a pas trop le temps d’y réfléchir. Le résultat est authentique. » De son côté, Karen explique aussi qu’avant de songer à faire un album en duo, le clan Young caressait le projet d’un album « en famille, avec mon frère, chanteur folk et country, et sa fille. C’est un disque à quatre voix que nous avions en tête, pas à deux ! »

Il y a quand même eu un déclic, rappelle Karen. Décembre 2014, sur le plateau de l’émission Belle et Bum, Karen Young et Coral Egan sont invitées à chanter la superbe River de Joni Mitchell en hommage aux quatorze victimes de la fusillade de la Polytechnique survenue à Montréal vingt-cinq ans plus tôt. Leur répétition, le choix des harmonies vocales, se souvient Coral, s’est faite dans la voiture, en chemin vers les studios : « C’était naturel, facile, tellement joyeux. On aime ça chanter ensemble… » Il n’en fallait pas plus pour qu’elles réalisent que oui, un disque à deux, ça se peut. Ça serait même pas mal bon.

L’idée d’enregistrer en duo a donc fait son chemin, entre temps bousculée par les soucis de santé de Coral – autant vous rassurer tout de suite, la jeune musicienne est « remise à 100% » des symptômes du syndrome de Guillain-Barré, étrange maladie auto-immune s’attaquant au système nerveux qui a gravement affecté sa mobilité et ses réflexes, l’empêchant de travailler. Or, un concert en duo l’été dernier, à l’affiche du Festival international de jazz de Montréal, a rallumé la flamme du projet : c’était le moment d’enregistrer, ça s’est fait dans les Studios Dandurand de Louis-Jean Cormier durant le temps des Fêtes.

« Je pense que la création de chanson à deux est une forme de danse de la douceur. Il faut que l’on trouve le bon rythme, la bonne dynamique. », Coral Egan

Karen Young, Coral EganDreamers possède une superbe facture sonore, évidemment tributaire de la complicité des deux chanteuses, dont les voix sûres, claires et agiles se marient parfaitement. Elle l’est aussi par le répertoire, très varié : Karen et Coral s’échangent des compositions, elles reprennent celles des autres (de Catherine Major, par exemple), touche au répertoire sacré, au répertoire brésilien… Le dernier élément capital de l’album, le détail qui lui donne corps et qui relie toutes ces influences entre elles, est le jeu – fameux!- de la harpiste Éveline Grégoire-Rousseau, collaboratrice de Karen (et de Pierre Lapointe, Philippe B, Ingrid St-Pierre). «  C’est un instrument très intéressant, harmonique autant que percussif, abonde Coral. Et le timbre de la harpe, aérien, va très bien avec nos voix. »

Ainsi, cette « exploration à deux voix » évoque davantage l’univers de maman plus que de la fille, leur fait-on remarquer. Coral : « Y’a une influence musicale qui ne se retrouve pas sur l’album, la soul. Moi, j’ai grandi avec Stevie Wonder, mon amour pour sa musique a eu une grande influence sur mes choix artistiques, sur ma voix. Or, Karen aime aussi, mais ça ne fait pas partie de ses influences. Je crois que ç’aurait été inconfortable pour elle si je l’avais forcée à chanter du soul… »

« On a essayé un premier duo comme ça, pour un concert, on avait travaillé une sorte de medley soul, mais ça ne marchait pas », enchaîne Karen en rigolant. « Ah, mais j’adore les chansons – Trouble Man de Marvin Gaye, j’ai toujours rêvé de pouvoir chanter ça… Mais ce n’est pas ma force. Ainsi, je crois que c’est l’éclectisme de l’album qui me ressemble ; cependant, c’est toute notre vie musicale commune qu’on a réussi à exposer [sur le disque]. Toutes ces choses que je lui ai données, montrées. C’est notre histoire musicale personnelle, en quelque sorte. »

Ici, le travail de composition s’est plutôt substitué à une recherche d’équilibre, voire de compromis, entre deux univers musicaux certes différents… mais au lien filial. L’expérience aura forcément une suite : des concerts annoncés, déjà, et peut-être un second disque. Seriez-vous tentées de composer des chansons originales ensemble, à quatre mains ? Coral, dans toute sa zénitude, risque une explication.

« Si ça n’arrive pas, c’est peut-être pour une raison. On ne force pas la chose : si nous n’avons pas encore composé ensemble, c’est que nous n’en sommes pas prêtes… Mais cet album nous a fait apprendre des choses sur nous-même. Par exemple, je peux être imposante [en studio], alors que ma mère est plus discrète et laisse davantage de place au moment, au travail des musiciens. Moi, s’il me vient un flash, une idée, il faut que je la sorte, que je l’exprime tout de suite. Je pense que la création de chanson [à deux] est une forme de danse de la douceur. Il faut que l’on trouve le bon rythme, la bonne dynamique. »

Ça viendra.

 



De la reine

Il s’en brasse, des affaires, dans la ville de Québec. Avec tous ses membres SOCAN tant auteurs-compositeurs qu’éditeurs qui se taillent une place de plus en plus importante dans l’industrie musicale québécoise et canadienne, il ne serait pas fou de parler d’un boom Québec.

De ce boom, plusieurs formations émergent d’un même endroit de diffusion, Le Pantoum. Situé sur la rue Saint-Vallier est, ce local-studio-salle-de-spectacle pluridisciplinaire agit comme un moteur puissant de la scène musicale émergente de la région de Québec. Par exemple, en marge des vitrines officielles de la Bourse RIDEAU 2017, le Pantoum présentait sa propre série de concerts dans laquelle des formations comme De la Reine ont pu rayonner à leur façon, et ce, devant un public déjà vendu à la cause.

Formé des membres SOCAN Jean-Etienne Collin Marcoux (membre de Beat Sexu et l’un des fondateurs du Pantoum), Vincent Lamontagne (X-Ray Zebras, Ghostly Kisses) et Odile Marmet-Rochefort (ex-Men I Trust), le trio De la reine est débarqué fin 2016 avec un premier mini-album aux couleurs alt-r&b et trip-hop qui, dans l’histoire, s’est toujours mieux fait dans la langue de Shakespeare qu’en français. C’est pourtant le défi que les trois musiciens se sont lancés. « On avait eu la chance de tous travailler ensemble dans des projets connexes et avec ce band-là, on voulait essayer des méthodes de compositions auxquelles on n’était pas habitués », soutient Jean-Etienne, concernant la formation qui vient tout juste de célébrer son premier anniversaire.

« Tout le monde avait plus de temps pour créer quelque chose qui nous appartenait davantage et qui se collait plus à nous, explique la chanteuse Odile Marmet-Rochefort. Pas que les autres projets ne nous tentaient plus, mais on tenait à faire de ça notre truc ! Et le faire en français, aussi. Parce que même si pour moi, c’était quelque chose de difficile, les textes en français, c’était aussi quelque chose de plus important. »

Ainsi, sur des ambiances résolument jazz et r&b, on retrouve la voix de Marmet-Rochefort à l’avant-plan, qui s’élève sur des mélodies pop. « C’est la première fois que je me commettais à l’écriture », affirme Odile, qui écrit les textes de De la Reine avec Jean-Etienne.

En tournée tout le printemps avec ses comparses pantoumais Harfang, le trio entend se pencher sur plus de spectacles (« avec des brass », rêve Marmet-Rochefort), engager plus de musiciens (« on aimerait avoir Frank Lafontaine sur les keys ! ») et ultimement lancer un album complet d’ici les 18 prochains mois.