Avec notre série Arts visuels X Musique, Paroles & Musique présente une série de portraits d’artistes visuels pour qui la musique joue un rôle essentiel autant dans la vie que dans l’œuvre.

« J’ai l’honneur d’être le premier drummer à avoir été slaqué par Fred Fortin », lance en riant l’artiste Martin Bureau, qui a signé chacune des pochettes du père du son du Lac, « depuis Joseph Antoine Frédéric Fortin Perron », dit-il d’une traite, en débitant le titre à rallonge de son premier album, paru en 1996. Impressionnant. « C’est pas difficile pour moi de m’en souvenir parce que je connais les Fortin, je connais les Perron. »

Leur rencontre a lieu à la polyvalente des Quatre-Vents, à Saint-Félicien, au milieu de la décennie 1980. « On habitait dans le même quartier, on a commencé à jouer de la musique ensemble. » Martin Bureau est alors derrière la batterie – « c’est le batteur du groupe au père de Fred qui m’a vendu mon premier drum, j’avais 14, 15 ans » – et Fred à la basse, qui demeure son instrument principal. « Déjà au secondaire, il était au-dessus de la mêlée. Son talent était intersidéral.»

Parce que le sien derrière les chaudrons l’était peut-être un peu moins, Martin Bureau se tourne bientôt vers la photo et la peinture. Le moment venu, rien de plus logique que de donner un coup de main à son pote Fred, sur le front de son identité visuelle. « Ça s’est fait paresseusement. Arrivé au début de la vingtaine, Fred a fait un disque, moi, je sortais du bacc en arts. C’était juste évident qu’on travaille ensemble. »

Si c’est une photo assez classique de Fred Fortin qui orne la pochette de son premier disque, ce sont les magnifiques tableaux de Martin Bureau, à la fois naturalistes et oniriques, qui incarneront visuellement les albums de l’auteur-compositeur à partir du Plancher des vaches en 2000. « Si on se ramène à cette époque-là, les labels voulaient tout le temps avoir la face du chanteur sur le disque », rappelle le peintre en jetant un œil à la couverture du premier Gros Mené (1999), sur laquelle se faisait déjà sentir beaucoup plus de liberté, bien qu’il s’agisse encore d’une photo, et non d’un tableau. « La pochette de Tue ce drum Pierre Bouchard, ça témoigne de ce qu’on faisait à ce moment-là, c’est-à-dire jouer au hockey dehors. J’avais mon lab photo noir et blanc, je développais encore mes habiletés en Photoshop. »

C’est La Tribu, avec qui Fortin enregistre son deuxième album, qui donnera carte blanche à Bureau. L’étiquette initiera d’ailleurs plusieurs rencontres entre artistes visuels et musiciens, sous l’impulsion de la cofondatrice Suzie Larivée, une exégète en matière d’arts visuels. Martin Bureau collaborera aussi notamment avec Galaxie, Stephen Faulkner et, plus récemment, avec Tire le coyote, dont il a conçu toutes les couvertures depuis Mitan (2013).

Ce travail de créateur de pochettes lui permettra également de décrocher des contrats de photographe, puis de réalisateur de vidéoclips, des accidents heureux qui infléchissent sa pratique d’artiste, alors que Bureau se tourne à partir de 2008 vers le documentaire – son court-métrage de 2015 L’Enfer marche au gaz! pose un regard sans vernis sur l’environnement emboucané des courses de l’Autodrome de Saint-Félicien.

Le modus operandi du duo Bureau/Fortin? Fred rend visite à Martin dans son atelier de Québec et s’immerge dans la production des dernières années de son vieux chum. « On regarde quarante, cinquante tableaux en écoutant les tounes de l’album et on se dit: Ça, ça pourrait fitter. » Fred empruntera même carrément à son ami le titre d’un de ses tableaux, celui qui illustrera Planter le décor (2004).

Rare exception à leur stratégie: Microdose, cette buzzante incartade lysergique de 2009. « Fred me disait qu’il s’amusait à jouer à Pink Floyd dans sa façon de composer et d’enregistrer et c’est là que j’ai eu le flash d’un pastiche de Wish You Were Here, parce que sa chienne Wendy venait de mourir. » C’est elle qui, par-delà la mort, se retrouve en lieu et place de Syd Barrett. « C’est tellement gros comme référence, mais il y quand même des gens sur Facebook qui nous traitaient de copieurs », rigole Martin.

Joue-t-il encore de la batterie? Plus vraiment. « Mais avant, j’avais ma routine de rentrer à la maison pour diner et avant de retourner à l’atelier, au moment où tu t’endors un peu, j’allais tapocher pour me crinquer avant de retourner à mes tableaux. » Godspeed You! Black Emperor, les Black Crowes et Jóhann Jóhannsson figurent sur la liste de lecture.

Et cette collaboration vieille d’un quart de siècle, c’est pour la vie? « Avant, je disais à Fred « Envoye, essaie quelqu’un d’autre, amuse-toi. » Mais aujourd’hui, je n’ai plus envie qu’il aille voir ailleurs. C’est très hot qu’après 25 ans, on fasse encore ça ensemble. » Surtout que la cohérence de l’œuvre monumentale de Fred Fortin ne s’en trouve que renforcit. Écoutez Scotch et vous aurez immanquablement en tête tête les teintes d’orange fin du monde, les arbres chétifs et les échafaudages de la pochette Planter le décor. « Je suis content d’entendre ça, parce que lorsque je pense à des bands que j’aime, moi aussi, j’ai tout de suite plein d’images qui m’apparaissent. »