« Il y a juste des bonnes vibes ici », me dit Ariane Moffatt assise au centre d’une ancienne classe d’école désormais reconvertie en zone de création. C’est à cet endroit même où ont été élaborées les maquettes de Petites mains précieuses que je rencontre l’auteure-compositrice-interprète campée dans une nouvelle assurance, une certitude ébauchée sur la fragilité.

C’est avec l’arrivée précipitée du petit dernier, son troisième fils Georges, qu’Ariane a saisi le filon qui la mènerait à cette nouvelle création. « Il est arrivé plus tôt que prévu, on a eu des complications et ça a fragilisé ma propre santé, se rappelle-t-elle. J’ai encore vu que l’écriture était à la rescousse des moments difficiles. Sortir dehors, voir le soleil et avoir l’impression de le voir pour la première fois, ça te remet les choses en perspective. » Quand le petit a eu près de deux mois, la chanteuse a senti déjà la pulsion d’écrire et en quelques semaines, elle tenait un album. « J’aurais dû être dans mon divan en train d’allaiter, mais j’avais installé un parc dans la pièce et je faisais tout en même temps. Ça donne un album fragile et fort », croit-elle.

La vulnérabilité qui l’habite aujourd’hui n’est pas sans rappeler ses premiers pas dans le monde de la musique, alors qu’elle offrait, notamment avec Aquanaute, des pièces denses qui laissaient peu de place à la lumière. « C’est sûr que j’y ai pensé, entre autres, quand on a shooté la pochette dans mon lac, c’était vraiment comme Aquanaute, dit-elle en souriant. Francis Collard avec qui j’avais travaillé uniquement sur le premier album, est revenu dans le décor. Il m’a donné plein de matériel, il est venu me monter un piano qui sonnait bien pour mes maquettes. Ça veut-tu dire que c’est mon dernier album? Je ne pense pas, mais je sais que je suis capable de retourner dans toutes les zones que j’ai déjà visitées. C’est la roue qui tourne. »

Même si elle puise toujours son essence dans différentes influences stylistiques, Ariane Moffatt est convaincue que son son, c’est son son. « Avec 22h22, je vivais la dream pop, avec Le coeur dans la tête il y avait plus de guitares, plus d’agressivité. Celui-ci, c’est la soul disco 70-90 qui ressort le plus, mais j’ai toujours et je vais toujours faire de la chanson avant tout. C’est organique, c’est proche de soi. »

Si certains artistes s’enchaînent à des thématiques, Ariane, elle, est soudée à l’honnêteté des sentiments. Depuis près de vingt ans, elle adresse le mystère de l’âme humaine, à travers son vécu ou les histoires des autres. « Je déterre les choses qu’on ne voit pas chez les gens », admet-elle humblement.

Le nouvel album touche à tout. Si les 70’s nous captent sur Du souffle pour deux, qui ouvre l’album, c’est à Bill Withers et Al Green que l’on doit la chaleur des grooves intimes et captivants à la fois. « L’image que j’ai eue, c’est celle de ma boule disco, mais dans mon chalet devant le feu de foyer, lance Ariane. C’est disco, mais c’est réconfortant. »

Statue nous ramène à l’an dernier, au moment où les femmes se sont levées pour dénoncer les actions présumées de Gilbert Rozon. « La statue, c’est le dieu grec qu’on crisse au mur et qui pète. La libération, le fait de ne plus accepter, de ne plus garder ça pour soi. Cette chanson est un hommage à la femme et à sa valeur, comme Pour toi d’ailleurs. »

Toutes les pièces ont été d’abord imaginées au piano. « Je ne joue presque plus de guitare, avoue Ariane. J’ai une relation de longue date avec le piano et je travaille à ne pas me répéter. Sur certaines pièces comme Cyborg, j’ai enregistré le piano et la voix, puis j’ai muté le piano pour oublier mes repères et essayer quelque chose de nouveau. Ça m’empêche de rester dans mes pantoufles. »

« Il y a des zones en moi, qui sont des moments que j’ai vécus très fort au début de ma vingtaine. Ça s’imprime. Même si ma vie est plus équilibrée aujourd’hui, tu le sais c’est quoi être mal dans ta peau », explique Ariane quand on la questionne sur les pièces plus mélancoliques comme N’attends pas mon sourire. « C’est parti d’un spleen léger que j’ai amplifié dans une histoire. »

Les petites mains précieuses que l’on nous tend sont celles de son fils Henri, un petit poète qui ne cessait de dire « Ha les petites mains précieuses ! » chaque fois qu’il voyait son petit frère Georges. « La main de l’album, ce n’est pas que la main de Georges que j’ai tenue à travers l’incubateur et dont je ne pourrai plus jamais me défaire. C’est la main de l’autre qui existe vraiment, dans un monde où tout est tourné vers soi et dans lequel l’autre est souvent virtuel, cette main-là est celle que l’on prend, celle qui nous relie les uns aux autres. »

À l’ère du beat, du bruit et de l’image, écoute-t-on toujours la musique à laquelle on prête l’oreille, se demande Ariane? « J’espère que les gens feront un pas vers l’album, qu’ils prendront la main que je leur tends. »