Au moment de notre rencontre, par une belle journée d’avril, Ariane Moffatt avoue vivre un petit moment de blues post-partum. Rien à voir avec la naissance de ses jumeaux Paul et Henri, portés par sa compagne Florence, et dont l’arrivée dans sa vie, il y a deux ans, a grandement inspiré les chansons de son plus récent disque. Non, Ariane fait le deuil de la période du cycle de création qui l’a menée jusqu’au lancement de 22h22. « Le gros de la promo est derrière moi et après le buzz initial, les médias sont déjà passés un autre nouveau truc », lance-t-elle avec un sourire amusé.

On pourrait dire la même chose d’Ariane, une artiste qu’on peut difficilement accuser de rester longtemps au même endroit. Chaque album est pour elle l’occasion d’explorer de nouveaux territoires, d’échanger avec de nouveaux musiciens, et 22h22 ne fait pas exception à la règle. Elle a même changé de compagnie de disques pour l’occasion, délaissant Audiogram pour Simone Records.

« Décider de ne pas mettre mes tounes sur Spotify, ça ne change peut-être pas grand-chose, mais ça me permet d’expliquer aux gens notre réalité. »

Mais si Ariane, de son propre aveu, peut être assez volage, elle s’appuie aussi sur quelques proches qui lui seront toujours fidèles. C’est le cas de son vieil ami Jean-Phi Goncalves qu’on a connu comme batteur au sein de Plaster et Beast et qui assure la coréalisation de 22h22.  « C’est un collaborateur assez particulier parce que c’est aussi mon meilleur ami, explique Ariane. Entre nous, le courant passe tout naturellement; on se comprend sans se parler. Évidemment, à titre de réalisateur, il a grandement contribué à la signature sonore. Mais je suis arrivée à lui avec un album presque fini, car j’ai tendance à tout penser en même temps: la mélodie, le texte, l’arrangement. »

Pour ce disque, Ariane s’était donné quelques balises: pas de guitares et beaucoup de synthés, mais éviter à tout prix de faire dans le pastiche new wave à la mode. Goncalves l’a bien compris et n’a pas hésité à réconcilier les extrêmes, magnifiant la pop entraînante de Debout ou Miami (une petite merveille qui, étrangement, a bien failli ne pas se retrouver sur le disque) ou privilégiant le dépouillement sur des chansons touchantes comme Domenico, écrite en hommage à un célèbre sans-abri du Mile-End.

Ce que Goncalves apporte aux musiques d’Ariane, Tristan Malavoy Racine le fait pour ses textes. Le poète et journaliste est un autre de ces amis proches dont Ariane apprécie les conseils. « C’est mon premier lecteur; il joue le rôle qu’un éditeur aurait pour un romancier », explique-t-elle. « Bien sûr, il a cette ouverture à la poésie, mais aussi une grande écoute. On discute beaucoup, sans que l’ego s’en mêle et il m’a aidé à rendre accessibles des trucs qui étaient assez personnels. »

Depuis le lancement de l’album, elle a d’ailleurs longuement parlé de la signification de ce 22h22, dont l’élégante symétrie rappelle la gémellité de ses fils. Au-delà de ses qualités esthétiques, cette heure marquait pour elle la transition entre deux états. Alors que le sommeil finissait par emporter ses fils, la mère laissait la place à l’artiste. Ça semble presque trop parfait pour être vrai, une coquetterie, même; et pourtant… « Non, non, c’est vrai, je n’ai pas inventé cette histoire, insiste-t-elle. Je voyais ces chiffres partout au moment de commencer la création du disque, affirme-t-elle. Après, c’est sûr, je me suis demandé si je n’en parlais pas un peu trop, s’il n’y avait pas un danger à insister sur un concept qui pourrait finir par faire de l’ombre aux chansons. Mais je l’assume et ce n’est pas pour rien que j’ai placé cette pièce-là au début de l’album : c’est en quelque sorte la clé qui permet de décoder l’ensemble du disque. »

Il est vrai qu’Ariane nous donne, plus que jamais, accès à son monde intérieur. Entre Matelots & frères, construite autour d’échantillonnages des voix de ses fils et le cri du cœur des Tireurs fous, c’est la mère qui prend le devant; tandis qu’avec une pièce comme Les Deux Cheminées, véritable déclaration d’amour à sa blonde, c’est l’amoureuse qui se dévoile.

Mais peu importe où elle décide d’aller, Ariane sait qu’elle peut compter sur un public de fidèles. À quelques reprises au cours de la conversation, elle évoque, presque incrédule, la jeune femme qu’elle était au moment du lancement d’Aquanaute en 2002 et, surtout, l’incroyable chemin qu’elle a parcouru depuis. Elle semble s’être réconciliée avec son statut de pop star et n’hésite pas à se servir de la notoriété pour aborder des enjeux importants, qu’il s’agisse d’homoparentalité ou des transformations de l’industrie de la musique. « Je ne pense pas devenir une militante, mais je pense que c’est important de parler de ces enjeux-là quand on a une tribune comme moi, explique-t-elle. Décider de ne pas mettre mes tounes sur Spotify, par exemple, ça ne change peut-être pas grand-chose, mais ça me permet d’expliquer aux gens notre réalité. À savoir que ceux qui s’en mettent plein les poches en ce moment nous paient des pinottes et ne réinvestissent malheureusement rien dans la carrière des artistes. »