« Est-ce que je peux te rappeler dans cinq minutes ? Le gars des guitares Godin sonne à la porte », s’excuse Michel Cusson à mi-chemin de notre entretien téléphonique. Reprise de la conversation, le principal intéressé jubile : « Je viens de recevoir mes deux nouvelles guitares sur mesure. Une Porsche et une Ferrari ! » Un gamin de 60 ans, exaucé de ses désirs, trépignant, passionné.

Michel Cusson en a fait du chemin depuis la télésérie Omertà, il y a vingt ans. Le savoir-faire du guitariste-compositeur a déjà une empreinte énorme sur le paysage télévisuel et cinématographique québécois : Unité 9, Napoléon, Aurore, Maurice-Richard, Séraphin, un homme et son péché, Riopelle, les spectacles équestres Cavalia et Odysseo, Imax 3D (Ultimate Wave Tahiti, Volcanoes of the Deep Sea, etc.), un documentaire sur feu la peintre Corno, on en passe et on en oublie, récoltant au passage sept prix SOCAN au fil des ans.

« J’accepte tous les contrats, admet-il d’emblée. Ce qui fait en sorte que je peux travailler simultanément sur plus d’un. La raison étant, les projets sont financés par des institutions, parfois l’approbation financière arrive six mois plus tard que les échéanciers prévus, donc tu dois être capable de livrer avec le train qui passe. C’est très fréquent que je travaille sur plusieurs trucs en même temps. »

Les méthodes de travail et la technologie ont bien sûr évolué depuis Omertà. Cusson s’est ainsi créé un alias, Mélodika, qu’il utilise dans ses projets plus électroniques. « Je compose partout, même dans une chambre d’hôtel, je ne suis jamais assis sur une seule chaise et je traîne toujours mes deux laptops. »

Michel Cusson

« J’ai eu des professeurs extraordinaires en Pierre Houle et Francine Forest (réalisateur et productrice), ce sont eux qui m’ont montré la dramaturgie musicale. J’ai appris comment regarder l’image. Pour être un bon compositeur de musique de film (et de téléséries), il faut être à l’écoute, poser des questions et laisser son égo de côté. C’est super important. Rien n’est acquis. Des fois, ça signifie enlever des silences, comment ton extrait sonore entre dans la séquence et surtout, comment tu en sors ! Les producteurs, les réalisateurs, les metteurs en scène, tous ont un langage différent. C’est donc crucial pour moi de savoir décoder ce qu’ils disent. »

À ce jour, Michel Cusson a mis sa griffe sur une vingtaine de téléséries qui représentent au total entre 300 et 400 épisodes et il a côtoyé une trentaine de cinéastes et réalisateurs.

« Quand tu fais de la musique à l’image, tu travailles de façon verticale en regardant plusieurs fois une séquence avant de saisir l’émotion qui colle le mieux : qu’est-ce que je veux dire, comment je l’illustre, avec quelle émotion et quel angle ; je n’ai plus besoin de regarder une scène au complet. Je compose le morceau avec en tête l’émotion qui s’y rattache… Ça fait une grande différence, la musique est plus solide ainsi en travaillant hors de l’image. »

Et comment ça se passe avec Unité 9 ?

« Je suis rendu à l’épisode 122, lance le compositeur, comme pour mesurer le travail accompli. J’aime la télésérie parce que tu peux développer à fond des thèmes et des variantes, les personnages ont tous une couleur particulière. Je les connais par cœur. Dans ce cas-ci, je visionne chaque épisode au complet avant de composer. Pour Unité 9, mon partenaire Kim Gaboury (le compositeur et réalisateur, alias aKido) joue aussi des instruments. »

Il y a quelques mois, il a trouvé le temps de publier Michel Cusson solo, inspiré de photos de familles qu’il a ramassées sur les rives du Maine. Neuf titres sont gravés, mais le spectacle audiovisuel intime et saisissant qui en découle est en constante mutation.

« J’avais le goût de réapprendre ma façon de faire. Dans mon processus j’ai combiné l’improvisation et l’écriture. Je peux m’asseoir avec mon spaceship (son arsenal technologique) et composer instantanément. Je bâtis ma trame sonore en direct, devant les gens. Et avec les boucles créées, je construis par-dessus et j’improvise. Mais j’ai quelques pistes préenregistrées qui se mêlent à tout ça. Mon spectacle, c’est 100% des sons de guitare. Chaque provocation d’idée est l’fun ! »

Au mois de décembre dernier, la nouvelle du retour d’UZEB après un hiatus de 25 ans en a étonné plusieurs. Le virtuose bassiste Alain Caron et l’érudit batteur Paul Brochu vont toujours faire partie de son ADN, mais comment trois musiciens aux agendas bien remplis ont trouvé la motivation ?

En 1992, le concert d’adieu extérieur au Festival international de jazz semblait avoir bouclé la boucle après une quinzaine d’années de jazz-rock et de fusion instrumentale de haute voltige récoltant les accolades partout sur le globe. « Il y avait un froid entre nous, je ne te le cache pas, mais on est des grands garçons, on se voyait ponctuellement depuis quelques années et finalement on a eu le goût de reconstituer UZEB. Il n’y a pas de nouvelles compositions pour l’instant et on ne se donne pas d’échéancier, on y va prudemment. Il y a quand même dix-huit dates à l’agenda dont plusieurs en Europe et le concert-réunion prévu dans un peu plus d’un mois à la salle Wilfrid-Pelletier se vend très bien, on a dépassé le cap des 2,500 billets vendus. En 1992, UZEB s’est séparé, mais il n’a jamais divorcé ! »