Ça y est, c’est fait! Alexandre Désilets a lancé, le 15 juin dernier, au Gesù à Montréal, son quatrième album, dans le cadre des FrancoFolies de Montréal. Intitulé Windigo, cet ambitieux projet orchestral marque pour l’auteur-compositeur-interprète la fin d’un cycle. Constitué de douze titres, l’album propose deux nouvelles chansons et en revisite dix. « En retournant aux maquettes d’origine, j’ai eu l’impression que pour certaines chansons, je n’étais pas allé au bout du trip. Je sentais qu’elles étaient restées inachevées. Une toune, c’est pas parce que tu la graves sur un disque qu’elle est finie. Un peu comme un peintre qui, des années plus tard, se donnerait la liberté d’aller ajouter un élément sur un tableau. »

Enregistré en mars dernier au Studio 12 de Radio-Canada avec la complicité de dix-sept musiciens, dont Olivier Langevin, Robbie Kuster et François Richard (piano, orgue, arrangements, coréalisation), le résultat est magnifique. Une grande importance a été accordée à la voix, jamais enterrée sous l’orchestre. « Le mot d’ordre, c’était que la voix et le texte soient mis à l’avant. Je n’avais jamais autant travaillé cet aspect, ce sont mes meilleurs takes à vie. Je me suis entraîné, je suis allé voir ma prof de chant et je n’ai pas fait de compromis. Durant l’enregistrement, je me suis senti enveloppé par l’orchestre. Les instruments n’empiètent jamais sur la voix. On l’a utilisée comme un instrument, justement, pour créer un mur de son qui arrive jusqu’à toi. »

« Être trop premier degré dans les textes quand tu fais de la pop, c’est comme ajouter du sucre dans des céréales sucrées. »

Alors qu’elle concluait le précédent album Fancy Ghetto, Tout est perdu apparaît cette fois en deuxième position dans l’alignement et donne le frisson, c’est vraiment un petit bijou de chanson douce-amère. Les textes impressionnistes témoignent des tourments intérieurs du narrateur; on n’est pas dans la frivolité avec Alexandre Désilets.

« Au premier abord, on pourrait croire qu’il s’agit d’une histoire d’amour, mais en creusant on trouve autre chose. Être trop premier degré dans les textes quand tu fais de la pop, c’est comme ajouter du sucre dans des céréales sucrées. Quand j’écris les paroles avec Mathieu Leclerc, ça fait déjà quelques mois que je vis avec les musiques. On crée un univers; les chansons sont comme les chapitres d’une histoire. Puis je me retrouve avec des thèmes qui sont au diapason de l’émotion brute qui se dégage de la musique. Quand vient le temps d’écrire, c’est souvent un choc pour moi.

Alexandre Désilets Et le windigo qui donne son nom à l’album, d’où sort-il? « C’est l’archétype qui pouvait lier toutes ces chansons provenant de différents albums sous un même parapluie. Selon la légende amérindienne, le windigo est une bête affamée, un peu cannibale, qui hante les forêts et mange de la chair. Là, c’est comme si on avait enlevé les forêts, mais que la bête était restée. Mes personnages ont en commun d’errer dans la ville. Ils ont soif et faim de quelque chose, un appétit somme toute insatiable. C’est une métaphore de notre société actuelle, qui va trop vite et n’en a jamais assez. Elle n’est jamais rassasiée et ne produit pas son propre amour ni sa propre chaleur. Elle va la chercher partout ailleurs et ne redonne pas beaucoup. »

Dans On sème, l’une des deux nouvelles pièces, Alexandre joue habilement sur la phonétique d’un mot. On entend « on s’aime », mais il est question de semer la haine. « On avance avec tellement d’insouciance devant ce que Mère Nature nous a offert. On a fissuré l’atome pour partir en guerre, sans égards aux répercussions, comme si on était seuls sur Terre. On sème le germe de haine et c’est ce qu’on récolte. »

Le jour de l’entrevue, Alexandre portait un t-shirt avec pour motif, un ciel de nuit étoilé. À 41 ans, il est sur le point d’avoir un premier enfant et vient de lancer un album qui fait advenir la beauté dans ce monde pas toujours beau. Il chante :

Je crois en la beauté, mais elle n’est plus la même
Elle ne s’est pas montrée, et ça, depuis des années
Longtemps j’ai laissé tourner la vie
Comme un vieux disque
Mais j’ai faussé sur l’hymne à la joie

L’auteur d’Hymne à la joie serait-il pessimiste? « Quand j’écris, c’est la partie mélancolique en moi qui s’exprime, mais j’ai confiance en notre capacité de nous sortir de la merde. Je m’intéresse aux énergies alternatives. Grâce aux nouveaux modes de communications, des scientifiques arrivent à échanger rapidement des informations-clés. Il y a les panneaux solaires, des moteurs qui fonctionnent à l’eau… J’ai espoir dans les nouvelles générations. »