Alex nevsky

Photo: John Londono

En vedette sur toutes les tribunes possibles et imaginables depuis plusieurs mois, Alex Nevsky le dit sans prétention : il profite d’une conjoncture parfaite pour la sortie de Nos Eldorados, un album qui va au-delà du compromis pop auquel il était pourtant destiné.

Fort de son imposante récolte au Gala de l’ADISQ 2014, de ses nombreux succès radios, Prix No. 1 SOCAN et d’un bassin de deux millions de téléspectateurs qui le regardent chaque semaine à La Voix Junior, Alex Nevsky a vu sa vie changer du tout au tout depuis la parution d’Himalaya mon amour, à l’été 2013. « Disons que c’est plus compliqué de faire le con dans la rue…, admet-il. Je me le permets pareil parce qu’il ne faut pas que j’oublie de vivre à travers toute cette folie-là. J’ai pas envie d’embarquer complètement dans la game. »

Sans être entièrement teinté par la fulgurante ascension de son auteur, ce troisième album évoque avec lucidité les mirages de la vie. Si Leloup avait son dôme, une sphère en cristal illusoire accueillant « les désespérés du temps », Nevsky, lui, a ses eldorados, des refuges tous aussi chimériques, qu’on convoite autant qu’on redoute.

« L’eldorado, c’est mon pays rêvé, un lieu de fantasme où vivent deux amoureux, comme dans Polaroïd. Ce sont des chansons que j’écris quand je tombe en amour. Le sentiment de base du romantisme y est très fort, et c’est ça qui me fait triper », explique le chanteur de 30 ans, qui dit être passé par trois relations de couple durant cette période d’écriture.

« En même temps, l’eldorado, c’est aussi une utopie, un mirage, nuance-t-il. Dans L’enfer c’est les autres, par exemple, je parle de “mon égo gonflé par les hits radios’’. Je retourne le miroir vers moi et, en me regardant, je me rends compte que, moi aussi, je peux être médiocre et laid. C’était très important pour moi de montrer cette facette-là, mais je voulais pas non plus faire un disque en entier là-dessus. Je serais tombé depress solide! »

« Je trouvais que c’était le pire moment de ma vie pour pas oser des trucs. Si j’étais resté dans le confort de l’autre disque, ça aurait été pathétique. »

Sans sombrer dans la dépression, Nevsky a toutefois eu d’intenses périodes de doute durant l’enregistrement de ce troisième album. Des chansons comme Le cœur assez gros, La beauté et, surtout, Réveille l’enfant qui dort (en duo avec Koriass) ont mis du temps avant de prendre forme.

« Je suis resté sept mois en studio… Ça n’a pas d’allure ! », s’exclame-t-il. « C’est tout le temps de même anyway. Je suis jamais capable de finir une toune d’un seul coup ! Réveille l’enfant, par exemple, je l’ai commencée en février sur mon téléphone. En studio, on l’a twistée, on l’a défaite… Y a rien qui marchait ! Je me suis mis à l’haïr pis j’ai décidé de la scrapper de a à z. C’est là qu’on a eu l’idée d’inclure Koriass dans le projet. Si on avait fait l’album en deux semaines, je sais que je passerais à côté de beaux moments musicaux comme celui-là. »

Renouant avec le réalisateur Alex McMahon et le mixeur Gabriel Gratton, ses complices habituels qui lui ont également prêté main-forte aux arrangements, le Granbyen d’origine flirte davantage avec l’électro, se permettant même quelques clins d’œil à l’indie pop tropical (La beauté) et au dancehall (Nos Eldorados). « On a décidé d’y aller all in, de pousser les tounes aussi loin qu’on voulait les entendre », indique-t-il. « Je trouvais que c’était le pire moment de ma vie pour pas oser des trucs. Si j’étais resté dans le confort de l’autre disque, ça aurait été pathétique. »

Reste que, devant un succès de la sorte, il aurait pu être facile de suivre la même recette gagnante, de renouer avec la formule qui plait aux radios. Franc, Alex Nevsky dit d’ailleurs avoir succombé à cette tentation au début de l’été, en lançant hâtivement le premier extrait Polaroïd.

« Je vivais une pression de performance radio et je voulais m’en débarrasser », confie-t-il. « Polaroïd, c’était une valeur sûre et je savais que les radios allaient embarquer. Quand la toune s’est mise à grimper dans les palmarès, ça m’a enlevé du stress sur les épaules. J’ai pu me permettre de prendre le champ et d’essayer d’autres affaires. »

Bref, comme c’était le cas sur Himalaya mon amour, l’auteur-compositeur-interprète ne voit pas la pop comme une fin en soi, mais plutôt comme un moyen efficace pour accrocher les auditeurs. « La clé, c’est de les hameçonner avec un gros refrain et de leur faire vivre le reste après », soutient-il. « En show, mon plaisir, c’est pas nécessairement de jouer les grosses tounes, mais bien de jouer les plus denses et les plus recherchées poétiquement. Pour moi, ce sont celles-là, les plus significatives. »



Valerie Carpentier a connu le tsunami La Voix en 2013, alors qu’elle remportait les grands honneurs de la première saison de l’édition québécoise de télé-crochet. S’en sont suivi un premier album complet (L’Été des orages, certifié or), de même qu’une tournée dans plus d’une cinquantaine de villes aux quatre coins de la province. Après un silence mérité, la voici qui rebondit avec une fougue de guerrière, et un gravé, Pour Rosie (Productions J, 2016), dont elle signe onze des treize titres. Rencontre avec une auteure-compositrice en plein carpe diem.

« J’ai toujours adoré écrire, depuis que je suis enfant, lance d’emblée la jeune femme. Pour écrire des chansons, ça prend une connexion à soi-même […] je me suis laissée aller aux plaisirs de la vie, j’ai vécu l’amour et la déchirure, et j’ai découvert des côtés inconnus de moi-même. » De toute évidence, Carpentier n’use ni de retenue ni de gants trop blancs pour décrire son processus de création. Elle poursuit : « C’est dans l’épreuve qu’on apprend à se connaître et grandir. » Une quête flagrante d’authenticité qui éclipse un tant soit peu l’aspect parfois cliché d’affirmations aussi convenues, appuyée par une candeur qui désamorce à peu près toute réaction blasée ou morose qui pourrait surgir. « Je suis très optimiste, c’est archi important pour moi ! » Va sans dire.

« Je suis tellement en paix avec la musique que je fais que je pense que je ne lirai même pas les critiques. »

Valérie CarpentierInspirée des récents aléas d’une carrière qui a fait un bond sur les chapeaux de roues, d’une rupture amoureuse particulièrement houleuse, et des voyages qui ont jalonné son parcours, Carpentier est dans une forme stellaire : « Je suis tellement en paix avec la musique que je fais que je pense que je ne lirai même pas les critiques. Avant, j’avais plusieurs grandes insécurités : dans ma féminité, ma musique, etc. On dirait que je faisais beaucoup de choses pour aller chercher une validation du public et je ne sens plus le besoin d’aller chercher tout ça… ça me permet vraiment de renouer avec quelque chose de plus vrai, de plus authentique. »

Un opus soutenu par une constante très claire, aux yeux de la principale intéressée : « Il y a aussi un concept tout au long de l’album. Rosie, c’est quelqu’un qui cherche l’amour à la mauvaise place. C’est un peu mon alter ego, elle est extrême et perdue tout à la fois. Plus l’album avance, plus c’est moi qui parle. Au final, je me retrouve seule, ça revient à trouver l’amour en soi. »

Musicalement, l’artiste se vautre dans une série d’arrangements soyeux et finement texturés, sous la touche de Jean Massicotte (Pierre Lapointe, Lhasa, Patrick Watson) : « Il est fabuleux ! Je suis un peu fuckée par moments et je décrivais mes chansons en paysages, du genre “ il fait beau, mais la fille est triste et elle regarde les bateaux sur le quai ” ou encore “ je suis en train en France dans les années soixante ”, et il comprenait exactement où je voulais aller. »

En phase avec « son cinéma », la paire a trouvé le juste point d’équilibre sur le fond : « Je voulais des ambiances, ça prenait plein de textures, des instruments coquets et Jean a respecté mes intentions à merveille. Je ne voulais pas que la voix se perde dans un mix, je voulais que ça appuie et allège le texte. C’est vraiment construit autour du texte, c’est définitivement de la chanson. » Et, bien sûr, l’instrument de prédilection de Carpentier, sa voix, prend le haut du pavé une fois de plus, rugueuse et charnelle.

Satisfait de déclarations aussi limpides, nous daignons poser la question à savoir si l’écriture d’un livre pourrait être dans l’horizon des possibles ? « Un jour je vais écrire un livre, c’est certain, mais je pense que je suis trop jeune pour le moment. Il faut avoir quelque chose à dire, et un souffle assez important pour le soutenir […] J’aime tellement la langue française que je devrai sentir que je lui fais honneur du mieux que je peux. » Avant de conclure, dans un éclair de lucidité : « Je ne pense pas que ma mission ultime soit de faire de la musique, je pense que ça devrait être plus important. »

Et toc.



Si vous deviez établir la carte routière la plus improbable pour la création d’un simple # 1, c’est l’auteur-compositeur-interprète/DJ/producteur Shaun Frank qui serait au volant de la première voiture à emprunter cette route sinueuse.

« Closer », la chanson d’amour du groupe The Chainsmokers à la sauce EDM et mettant en vedette Halsey, surfe allègrement sur la zeitgeist ambiante. La chanson a été coécrite par Frank et Andrew Taggart (ASCAP). À la mi-octobre 2016, « Closer » avait déjà passé neuf semaines en première position du Billboard Hot 100, six sur le palmarès Canadian Soundscan et deux sur le palmarès Canadian Top 40. La vidéo officielle avec les paroles avait quant à elle cumulé plus de 430 millions de visionnements sur YouTube.

En soi, la pièce est une anomalie, une pièce électro aux saveurs pop qui n’est pas sans rappeler Blink 182, et qui raconte une histoire d’amour semblable à deux navires qui se croisent dans la nuit et qui tient beaucoup plus du registre « emo » que du « dance ».

« ‘Drew et moi avons grandi en écoutant Blink 182, Taking Back Sunday et plein d’autres groupes post-hardcore », raconte Frank à Words & Music entre deux séances d’écritures à Los Angeles. « Mon premier groupe a partagé la scène avec Blink 182 lors d’un Warped Tour, alors c’est un clin d’œil super cool. Pendant que nous écrivions la chanson, on discutait tout le temps des groupes que nous écoutions dans notre jeunesse. Des groupes canadiens comme Alexisonfire, Billy Talent, ce genre de texte, une écriture plus lyrique, mais très honnête?; c’est comme ça que nous sommes arrivés à cette idée. »

Qu’une telle chanson ait été coécrite par Frank, qui a déjà passé quelques en années en tournée avec un groupe rock-ska (Crowned King) et dont le plus récent groupe (The Envy) avait été mis sou contrat par Gene Simmons n’a aucun sens, mais… tombe sous le sens.

Frank explique qu’il produisait constamment des beats sur son portable lorsqu’il était en tournée avec The Envy, mais qu’il n’a « jamais eu l’intention d’en faire une carrière. » Tout cela a changé lorsque le groupe a fini sa tournée et qu’il s’est retrouvé désespérément à la recherche d’argent.

« Tandis que mon dernier groupe se désintégrait tranquillement, je me suis retrouvé à chanter sur plusieurs simples dance afin de joindre les deux bouts », confie-t-il. « On me donnait 500 $ pour chanter sur un disque on mon nom ne figurerait nulle part?; j’avais des comptes à payer. C’est comme ça que je suis arrivé dans le monde du dance music. Je n’avais aucune idée que ça se passerait comme ça. »

Ce qui s’est passé, c’est qu’un des disques sur lequel il a chanté — « Unbreakable » par la DJ espagnole Marien Baker — a connu beaucoup de succès dans sa terre natale. Il est ainsi parti en tournée avec elle et s’est imprégné de la culture EDM. Depuis, il a collaboré avec des artistes tels que BORGEOUS, Oliver Heldens, DVBBS, KSHMR et nul autre que Steve Aoki.

Il faut dire que Frank possède deux avantages tactiques bien distincts pour sa progression au sein du milieu dance.

Premièrement, toutes ces années sur la route en tant que membre d’un groupe rock signifient qu’en comparaison, la vie de DJ globe-trotter est plutôt luxueuse. « On nous traite incroyablement bien, alors je dis toujours à la blague que je prends bientôt ma retraite », lance-t-il en riant. « J’ai tout donné au sein de mes groupes, je suis désormais retraité et cette vie c’est mon cadeau de retraite. » C’est alors qu’il était en tournée avec The Chainsmokers en tant que première partie que Frank a coécrit « Closer » avec Taggart.

Deuxièmement, son désir d’écrire des paroles intelligentes sur un sujet sérieux représente un exploit de taille dans un genre musical où l’accent est plutôt sur le rythme et l’énergie d’une pièce que sur ses paroles.

« Ouais, des paroles honnêtes », explique-t-il pour expliquer l’essence même de son écriture. « Tout le monde est constamment à la recherche d’honnêteté, et je suis constamment à la recherche de quelque chose que je n’ai jamais entendu auparavant, une nouvelle façon de l’exprimer. Il n’y a au fond qu’un certain nombre limité d’émotions humaines auxquelles les gens s’identifient, mais il y a un million de façons différentes d’en parler. »

Une autre des clés du succès de ses textes est que, de plus en plus souvent, ce n’est pas lui qui les chante. Que ce soit Halsey, qui chante sur la pièce des Chainsmokers, Ashe pour le simple « Let You Get Away » ou Delaney Jane, avec qui Frank et KSHMR collaborent fréquemment, notamment sur la pièce « Heaven », c’est une voix féminine qui figure avec prédominance sur les pièces EDM auxquelles il a collaboré jusqu’à maintenant.

« Je m’assois et j’écris avec mon cœur. Je dois être parmi le très rares producteurs de musique électronique qui aiment les textes. »

« J’aime beaucoup la couleur que mes paroles prennent lorsqu’elles sont chantées par une voix féminine », explique Frank. « C’est amusant que les choses arrivent ainsi, car au départ, je pensais toujours chanter ma propre musique. J’en ai bien l’intention, mais jusqu’à maintenant, tout fonctionne mieux lorsque c’est une voix de femme. C’est un des trucs qui est cool de créer du dance music en tant que producteur et en tant qu’artiste. Il n’y a pas vraiment de règles. Il faut simplement faire ce qu’il y a de mieux pour la pièce. Si elle sonne mieux chantée par une autre personne, alors c’est cette personne qui la chante. »

Comme si ça n’était pas suffisant, il y a un dernier secret dans l’écriture de Shaun Frank qui lui confère un avantage distinct parmi ses pairs du monde de l’EDM : la mélancolie. Les chansons auxquelles il a participé sont, avouons-le, pas mal plus tristes que la moyenne quand on parle de musique pour les pistes de danse.

« Je ne sais pas. Peut-être que je suis dépressif », lorsqu’il réfléchit au soupçon de tristesse qui teinte plusieurs de ses créations. « Non, je ne suis pas dépressif. Je m’assois et j’écris avec mon cœur. Je dois être parmi le très rares producteurs de musique électronique qui aiment les textes. Beaucoup de monde se fait offrir des paroles ou ne se soucie que du « beat ». Je m’implique è tous les niveaux, de l’écriture des paroles au mixage et au mastering, du début à la fin. C’est comme ça que mes chansons sont vraiment honnêtes et parlent de choses que je vis. J’utilise mon côté auteur-compositeur-interprète pour créer ces chansons. »

Tandis que chaque nouvelle collaboration, chaque apparition sur disque ou sur scène rend la route de moins en moins sinueuse pour Shaun Frank, une chose demeure mystérieuse pour lui, malgré son expérience de plus de dix ans dans le métier : ce que l’on ressent lorsqu’on a un numéro 1 sur les palmarès.

« Tout le monde disait qu’un numéro 1 changerait ma vie », raconte l’artiste. « Je n’avais toutefois pas réalisé à quelle vitesse cela changerait les choses. »