Virtuose de la basse (électrique et à six cordes), Alain Caron découvre le jazz grâce à un disque d’Oscar Peterson. Il a 14 ans. En 1977, l’homme fait la connaissance du guitariste Michel Cusson. De cette fructueuse rencontre nait le populaire trio jazz-fusion UZEB qui fait paraître dix albums entre 1981 et 1990 et vend plus de 400 000 exemplaires de ces disques à travers le globe. Après la séparation du groupe en 1992, Caron fonde son étiquette (les disques Norac) et lance un premier album solo en 1993 (Le Band). Enchaînant coup sur coup les collaborations avec de nombreux artistes internationaux, les concerts et la parution d’albums solo, l’artiste se tient fort occupé. Appuyé par ses fidèles collaborateurs (Pierre Côté à la guitare électrique, John Roney aux claviers et Damien Schmitt à la batterie), il proposait en juin dernier Multiple Faces, un huitième opus studio bourré de grooves graves.
« C’est un peu dans la même veine et le même style d’écriture que l’album précédent (Sep7entrions). Puis, c’est la même formation. On a fait une tournée ensemble et le groupe a fini par développer un son que j’ai voulu exploiter sur Multiple Faces. Lorsque j’ai composé la musique du nouveau disque, j’avais ces musiciens en tête. Lorsqu’on écrit, on le fait en ayant le résultat final entre les deux oreilles, tant au niveau des arrangements que de la répartition des solos. En ce qui concerne le style, on pourrait avancer que c’est jazz-rock ou alors fusion, mais le terme est tellement galvaudé. Tous les compositeurs qui ne sont pas restreints à écrire de la musique pour la radio font de la fusion en quelque sorte. Le centre de ma musique est encore jazz. Disons que c’est de la fusion des années 2000, » déclare Caron, amusé.
Récipiendaire du prix Oscar-Peterson lors du dernier Festival International de Jazz de Montréal (UZEB l’avait reçu en 1991), Alain estime que cet honneur lui a fait prendre conscience qu’il y avait une vie après celle du populaire trio. « Tu sais, c’est très difficile de se faire un nom après avoir joint les rangs d’un groupe qui a connu un certain succès. À part peut-être Paul McCartney! On nous colle une étiquette pour la vie et on m’identifie encore régulièrement comme étant le bassiste d’UZEB. Ce prix m’a fait du bien car j’ai réalisé qu’il me restait encore des choses à accomplir. »
Pastorius et compagnie
Si le bassiste américain Jaco Pastorius eut un impact considérable sur l’homme, il ne le considère pas pour autant comme sa principale source d’inspiration. « Lorsque je l’ai entendu, j’ai trouvé ça tellement bon que j’ai cessé de l’écouter immédiatement! Je ne voulais pas être trop influencé par son jeu. Ce fut un choc de l’entendre à cause de son audace. J’ai beaucoup plus écouté Ray Brown, Niels-Henning Ørsted Pedersen, Scott LaFaro, Ron Carter, Eddie Gomez et Stanley Clarke. Ce qui n’enlève rien à l’admiration et au respect que j’ai pour Pastorius. J’ai essayé de diversifier mes influences au niveau de la basse et, afin de développer mon propre langage et j’ai analysé le jeu de nombreux autres musiciens tels que Charlie Parker, John Coltrane, Michael Brecker et Pat Martino, » avance-t-il.
Musicien d’exception ayant joué dans plus de 30 pays, Caron considère que les États-Unis demeurent le marché le plus difficile à percer. « Ils sont très protectionnistes. Il est vraiment difficile de gagner sa vie là-bas à moins de jouer localement dans des grandes villes telles que New-York ou Los Angeles. Mais même les Américains voyagent à l’extérieur du pays pour gagner leur pain et leur beurre. Ils ne restent pas là. Pour un étranger, c’est très compliqué au niveau des papiers et des visas. Les agents sont très protectionnistes. Je les ai tous contactés et ils m’ont répondu : “des bassistes, on en a une tonne!” Un jour, je souhaiterais faire une tournée, mais j’ai cessé de me battre. Je n’appelle plus les gens. Maintenant, j’attends les appels, » avoue l’homme.
Un chemin sans fin
Invitations à offrir des classes de maître à travers de monde, collaborations à une vingtaine d’albums d’artistes variés, obtention de 11 Félix, un prix Gémeaux et deux prix Oscar-Peterson, Alain Caron semble avoir accompli tout ce qu’un artiste peut souhaiter. Si plusieurs le considèrent comme l’un des meilleurs bassistes au monde, l’homme croit que son apprentissage n’est pas terminé. Des rêves de musicien? Il lui en reste encore plein les poches. « Être musicien est un chemin sans fin, la fin étant notre limite personnelle, que j’espère ne pas atteindre. Au niveau de l’expression musicale, j’aimerais développer l’aspect improvisation. Comment jouer précisément, avec justesse et intelligence. On peut avoir de la musique en tête et ne jamais arriver à l’écrire. De plus, j’ai envie d’améliorer mon écriture, m’exprimer le plus précisément possible. Il m’arrive souvent d’écrire et de me dire que j’aurais pu faire mieux. Puis, il y a aussi le travail de réalisateur et d’arrangeur. Il faut avoir du goût et faire des choix éclairés. »
En plus de sa participation au NAMM Show en janvier prochain, le bassiste prépare une tournée européenne prévue pour mars et avril. À 58 ans, Alain Caron ne songe pas un seul instant à la retraite. « Il est évident que j’ai beaucoup d’années derrière moi. J’essaie de me tenir en forme le plus possible. Je sais qu’éventuellement il va falloir que je ralentisse, mais ça ne s’appellerait pas une retraite. Je vais diminuer certaines choses, comme les voyages. J’ai envie de profiter de la vie, mais la musique est un plaisir, alors je vais continuer à en faire le plus longtemps possible. Personne ne m’enlèvera jamais ça! »